Du devoir de vigilance et de prudence des élus face à une nouvelle opération de séduction du Port de Québec : le projet QSL-conteneurs.

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Lévis 19 septembre 2024

LETTRE AUX ÉLUS DE QUÉBEC ET AUTRES

Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM).

Du devoir de vigilance et de prudence des élus face à une nouvelle opération de séduction du Port de Québec : le projet QSL-conteneurs.

« La fin de la Politique est le bien proprement humain». Aristote.

Après trois projets industriels lourds finalement abandonnés, parce que mal ficelés   et sans véritable acceptabilité sociale[1], voici que la direction de l’Administration portuaire de Québec, Société fédérale exempte de toute réglementation municipale et de lois du Québec, nous revient avec un projet revampé de terminal de conteneurs.

Il est porté cette fois par l’entremise de la firme logistique QSL, davantage connue sous le nom de « Arrimage Québec », l’entreprise des poussières rouges et ses démêlés avec la justice.[2] Pour nous rassurer, ce sera moins gros cette fois, nous dit-on. Seulement 250 000 conteneurs/année.

Ne soyons pas dupes. À terme, ce projet, sera comme les autres, aspiré par la loi naturelle de la croissance. Tout comme pour Laurentia, à l’horizon, il y a perspective d’impacts lourds sur la qualité de vie des citoyens et pour l’avenir de la capitale.

Sérieux doute quant à sa justification et à un prétendu gain environnemental.

Ce projet s’appuie sur l’idée qu’en raison de contraintes de navigation fluviale en amont de Québec, le Port de Montréal ne pourra, à termes, accueillir des porte-conteneurs plus gros, prétendument la voie d’avenir de l’industrie. D’où l’option de déposer au passage une partie importante de la cargaison au port de Québec et de lui faire compléter sa course par camion.

Plus d’un expert, cependant, estiment aujourd’hui que le modèle actuel du navire de taille moyenne est loin d’être dépassé. Il faut même s’attendre à voir ces derniers circuler encore bien longtemps sur les grands axes de navigation de la planète. La plupart des infrastructures de déchargement de ce monde sont en effet conçues pour des navires de cette taille. Même que ces derniers s’avéreraient plus profitables en termes de fiabilité de la chaine d’approvisionnement et finalement plus avantageux sur le plan environnemental. Même réalité que celle observée dans le domaine aérien avec le retour en force des porteurs de taille moyenne. Au départ donc, un argument de vente pas si convainquant.

Par ailleurs, pour que ledit projet ait une justification et qu’il puisse représenter un gain sur le plan environnemental, il faut pouvoir démontrer que plus de 250 000 conteneurs prennent déjà le chemin inverse, celui du Port de Montréal à destination de Québec. Aucune certitude à ce sujet.

Un poisson qui, à terme, pourrait devenir assez gros?

« Il y a des choses qu’on va être capable de récupérer de Laurentia, des choses qu’on va faire différemment, par rapport à la communication ». (Mario Girard Journal de Québec 27 janvier 2023). L’acceptabilité sociale, une affaire de représentations et de discours?

Qui va sérieusement croire que le nombre annoncé de conteneurs va demeurer à cette hauteur de 250 000? Les espaces sont là pour assurer la croissance. QSL dispose de 92 ha sur le domaine fédéral. Elle n’en occupe présentement que la moitié, soit 46 ha. Avec ses 700 000 conteneurs, Laurentia ne réclamait que 19.7 ha. De surcroît, QSL dispose déjà de sa propre ligne de quai à une profondeur de 12.5 mètres. Toutes les possibilités sont là. Dans notre régime de régulation environnementale, une fois démarré, un projet n’a généralement plus à revenir auprès des autorités, on peut facilement doubler, puis tripler.

L’enjeu crucial de la desserte par camions : ce n’est pas le port qui décide, c’est le client.

Mettons les choses au clair. Une fois un conteneur arrivé à sa destination portuaire, c’est le marché qui détermine qui et comment il sera livré. Une réalité de l’économie du Just in time. Une éclairante étude de Transports Canada démontre qu’en deçà de 1000 km, c’est le camion qui devient le moyen de transport le plus économique, en raison de sa versatilité[3]. Quelles autres destinations naturelles que Montréal (250 km), Toronto/Hamilton (800 km), Hamilton, Mississauga (750 km) pour la plus grande partie des conteneurs arrivant à Québec et Montréal?

Un transit-camions de part en part de la Capitale: un scénario au départ irrecevable.

On ne le répètera jamais assez, le port de Québec est confronté à une fatalité géographique quasi-insoluble. Il est coincé à l’est de la ville et encerclé par l’urbanisation, alors que ses marchés sont à l’ouest. Impossible aujourd’hui de construire des voies de contournement alors qu’il y a congestion chronique des artères de la capitale : voilà les carcans qui font la problématique conteneurs à Québec. Tout expert sérieux et indépendant en matière de logistique du conteneur, dira que Québec ne dispose pas des infrastructures routières et ferroviaires lui permettant de concrétiser le rêve de « grande plaque tournante continentale », à moins de sérieux impacts environnementaux.

La santé et la sécurité des citoyens versus les bénéfices économiques

La tête froide, il faut aussi analyser les coûts-bénéfices, la valeur ajoutée d’un tel projet industriel lourd. Au départ, soyons conscients que la baie de Beauport ne sera toujours qu’un site de transit. Aussitôt déchargés, pour la très grande majorité, les conteneurs seront en bonne partie redirigés vers les marchés de Montréal et des Grands Lacs. C’est à ces endroits que sont établis les centres de distribution géants. Que dire du « facteur emplois »? Aujourd’hui, partout dans le monde, la manutention des conteneurs est entièrement robotisée. La perspective de valeur ajoutée s’annonce plutôt marginale sur les plans de l’économie et de l’emploi, tout le contraire au chapitre du développement durable.

Une fois qu’on a regardé les coûts d’une industrie du conteneur sur la santé et la sécurité (amplement démontrés dans le rapport de l’Agence fédérale d’évaluation d’impact (AÉIC-Laurentia), il faut absolument se pencher sur la question des coûts économiques. L’impact d’un camion lourd sur la chaussée est celui de 60 000 voitures. De plus, l’espace routier représente à Québec une ressource de plus en plus rare. La congestion, résultat de son utilisation excessive coûte déjà très cher. Uniquement pour la partie ouest de l’agglomération (zone élargie des ponts), les retards annuels cumulent 3 millions d’heures uniquement pour les automobilistes, excluant tout le reste. Une perte économique de 42.8M$. (Calcul des coûts de la congestion routière causée par les ponts reliant Québec et Lévis. Marc Therrien 2017).

Qui va payer pour l’ajout de ces cohortes de camions lourds? Le Fédéral, le Port de Québec?

 « Je veux tout ».

Québec est un joyau, une ville heureuse. Le sait-elle? Elle est la plus ancienne ville d’Amérique du Nord, elle a statut de Capitale nationale, Ville du patrimoine mondial de l’UNESCO, championne en patrimoine historique, prospère par la nouvelle diversité de son économie, destination touristique mondiale et privilégiée des croisiéristes d’Amérique, elle trône au beau milieu de grands espaces naturels de qualité et baignés par le Saint-Laurent. Évitons de tout gâcher. Pas de place pour le Think Big, pour des gratte-ciels de 70 étages et plus, pas davantage pour le « plus gros tunnel sous-fluvial au monde » ou un chimérique « plus gros port industriel du Saint-Laurent ».

À cet égard, nos élus, ont un devoir de vigilance et d’œil averti, celui qui sait différencier le blé de l’ivraie, qui sait reconnaitre le chant séducteur des sirènes. Il faut se garder de tout saut d’enthousiasme, de tout pari à haut risques.

Pierre-Paul Sénéchal, président.

En guise d’annexe.

Commentaire de l’expert en conteneurisation du transport, Brian Slack.

 « Moins de 10% des conteneurs qui seraient transportés au port de Québec viendraient du marché local. La grande majorité des conteneurs devraient être transportés dans la région de Montréal et en Ontario. Les liaisons ferroviaires à Québec sont mauvaises et, par conséquent, la plupart des conteneurs seraient transportés par camion vers Montréal et au-delà. L’utilisation inévitable du camionnage par la plupart des conteneurs manutentionnés au port de Québec représente un enjeu environnemental et sécuritaire important». (Brian Slack, Ph.D. Professeur Université Concordia et professeur associé, Département de géographie, Université de Montréal, en marge du projet Laurentia).

Une illustration de ce que le transit-camion-conteneur peut représenter dans le quotidien.

« Camionnage: jusqu’à 5 heures d’attente pour entrer au port de Montréal.  (Extrait). La Presse. Bruno Bisson, 3 avril 2018.

« Les entreprises de camionnage sont aux prises avec d’importants problèmes de congestion depuis plusieurs semaines au port de Montréal. En plus d’étirer les délais de réception de leur cargaison jusqu’à cinq heures, cette congestion incite déjà des transporteurs à imposer une surcharge à leurs clients pour y ramasser des conteneurs.

Le président du Groupe TYT et président du conseil de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), Patrick Turcotte, affirme que ces problèmes, qui deviennent chroniques, ont été exacerbés, ces dernières semaines, par de nouvelles consignes d’un transporteur maritime, qui exige que les conteneurs vides soient ramenés directement au port plutôt que dans un des lieux de dépôt habituels, situés dans l’est et l’ouest de l’île de Montréal.

L’ACQ réclame au Port et aux opérateurs des terminaux une prolongation des heures d’ouverture pour les camions, qui sont présentement limitées entre 6h et 15h. M. Turcotte insiste toutefois pour que ces heures ajoutées deviennent permanentes, et non pas temporaires, le temps de faire baisser la pression dans les terminaux.

Surcharge et sécurité

 «C’est un problème qu’on vit depuis longtemps au port, dit-il, et qui crée souvent des embouteillages et des débordements sur l’autoroute 25 ou dans la rue Notre-Dame. Cela crée des situations qui peuvent mettre en péril la sécurité des usagers de la route.

Plusieurs navires ont été retardés ces dernières semaines à cause des conditions de navigation difficiles sur le Saint-Laurent en cette fin d’hiver. « Ça fait beaucoup de cargos qui débarquent en même temps sur nos quais et cela appelle beaucoup de camions dans nos installations ».

Environ 20% des camions (soit un poids lourd sur cinq) ont connu des temps d’attente de plus de 90 minutes, ces dernières semaines. On compte jusqu’à 2500 camions qui entrent dans le port de Montréal et en sortent chaque jour…


[1] Parc de silos d’alumine (Sillery 1999) sur un site qui, pour le plus grand bonheur de la Capitale, deviendra celui de la Promenade Samuel de Champlain; agrandissement du parc de silos d’hydrocarbures (Beauport 2020 en 2015); Laurentia et ses 700 000 conteneurs devant transiter au cœur de secteurs habités de la ville.

[2] Condamnée à verser : 1.7M$ en dédommagements aux citoyens de Limoilou (2019), 3.8 M$ à Revenu Québec pour fraude fiscale (2017), 675,000$ à Environnement Canada pour pollution suite à un déversement d’engrais chimiques dans les eaux du fleuve (2017).

[3] Frais d’exploitation du camionnage et du transport intermodal de surface au Canada. Transports Canada Mars 2008).

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