Subventions de Transports Québec à trois agences portuaires fédérales : prodigalité douteuse et imprudente.

Lévis 4 décembre 2023

Subventions de Transports Québec à trois agences portuaires fédérales : prodigalité douteuse et imprudente.

Les Port de Québec, Montréal et Trois-Rivières sont les heureux bénéficiaires de ces subventions pour un montant de plus de 116 M$, dont 94.4 M$ pour le service de la dette, auxquels s’ajoutent les frais et les intérêts d’une durée pouvant aller jusqu’à 20 ans, pour des travaux de construction ou de mise à niveau d’infrastructures portuaires. [1]

 1/ L’art de faire payer les contribuables du Québec en double. À titrede propriétaire,de 4 ports de mer (Rimouski, Matane, Gaspé, Gros-Cacouna), du port de Bécancour et des 13 liaisons de la Société des Traversiers, le Québec assume une part importante des infrastructures maritimes. Comment expliquer ce choix de subventionner des agences fédérales relevant à 100% de Transports Canada et déjà financées par des fonds fédéraux auxquels contribuent déjà les Québécois? Selon le professeur en droit constitutionnel Patrick Taillon, même si cette nouvelle pratique n’a rien d’illégal, « nous sommes devant un exemple emblématique des dysfonctionnements du fédéralisme ».[2]

Une générosité de Transports Québec qui n’est pas sans effets sur la capacité de   financement de ses propres réseaux de transport en commun et des réseaux routiers   sous sa responsabilité (la Vérificatrice générale nous informe que plus de la moitié sont en mauvais état et une proportion importante ont atteint la fin de leur durée de vie »).

2/ Possible transgression aux règles du programme? Sous toutes réserves, ces 116M$ octroyés en vertu du Programme d’investissement en infrastructures maritimes (PIIM), pourraient être en majorité dérogatoires : l’article 7 du programme rend inadmissibles le financement d’une dette ou le remboursement d’un emprunt. Un aspect qui, pour le GIRAM, appelle un examen de la part de la  Vérificatrice  générale.

Autres questions. Quelles études internes à Transports Québec sont à l’appui de l’octroi de ces subventions? Quels moyens pour en exercer contrôle et suivi? Les ports fédéraux sont tenus d’ouvrir leurs livres à Infrastructures Canada et Transports Canada, mais pas aux ministères québécois, encore moins au Vérificateur général du Québec.

3/ Une largesse qui tombe à point pour le Port de Québec. Après deux échecs visant une expansion territoriale du côté de la baie de Beauport (remblayage du Saint-Laurent   sur 17 hectares), le Port tente désespérément sa chance en 2017 sur la rive sud en signant une entente d’une durée de cinq ans avec la Société Rabaska avec option d’achat de la totalité de ses 272 hectares. Une occasion en or de multiplier par deux son territoire.

Début 2022, la période pour exercer son option est écoulée. Confronté à deux déficits annuels successifs, tout semble sur pause. Puis, le 23 mars, tombe une providentielle subvention de 10.8 M$ de Transport Québec. Comme par magie, la roue se remet à tourner : Transport Canada accorde son autorisation pour l’acquisition desdits espaces (mars 2023), l’option d’achat est officialisée le 20 avril avec en poche une hypothèque de 8.1 M$ prise par le Port. Le 29 mai, dans le cadre d’une rencontre avec le ministère de l’Économie et de l’Innovation et la ville de Lévis, le Port laisse savoir qu’il «procèdera formellement à l’acquisition de l’ensemble des Immeubles à courte échéance, la seule formalité restante étant la signature de l’acte notarié».

4/ Une indifférence qui questionne. Au cours de cette période de cinq ans,était-ce illusoire d’espérer de la part du gouvernement national du Québec une prise de consciencequant à l’impact de l’extinction de sa juridiction sur un site d’une importance aussi stratégique? Il s’en sera plutôt lavé les mains en laissant entièrement la décision aux élus de Lévis. Qu’est-il advenu des grands principes ayant antérieurement guidé l’action du Québec? Celui de l’applicabilité de ses lois sur son territoire, celui du libre exercice de ses choix stratégiques en matière de développement économique et territorial notamment au chapitre de la protection du territoire agricole?

Rompre avec le réflexe du laisser-faire. Sans un ressaisissement in extremis du Conseil municipal de Lévis, le 2 juin 2023, par l’adoption d’un avis d’expropriation de la moitié de la superficie, il y a fort à parier que les terres Rabaska seraient déjà sous contrôle fédéral avec la perspective toujours possible d’un gâchis sur le plan environnemental. Il reste entre les mains du gouvernement du Québec, une ultime poignée: refuser de céder à l’agence portuaire fédérale la seule partie de terrain dont il est propriétaire, le rivage.

En décembre 2023, trois procédures sont en cours :

  • UPA vs Société Rabaska (refus d’honorer ses engagements inscrits dans une entente bilatérale visant le retour des espaces en zone agricole).
  • Société Rabaska vs Ville de Lévis (contestation de son droit à l’expropriation).
  • GIRAM devant la CPTAQ (requête en faveur d’une ré-inclusion en zone         agricole. 

Pierre-Paul Sénéchal pour le GIRAM


[1] Décrets 588-2022/1415-2020/1262-2022/929-2021).

[2] Journal de Québec. Infrastructures portuaires fédérales : 8,7M$ ou Québec pour payer les dettes du Port.  Le choix du gouvernement Legault de subventionner un organisme fédéral fait sourciller. Stéphanie Martin, 14 octobre 2023.

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