Centrale hydroélectrique sur la rivière Sainte-Anne à Saint-Joachim
Savoir faire marche arrière face à l’erreur
Mémoire présenté dans la cadre des consultations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le projet d’aménagement d’une centrale hydroélectrique sur la rivière Sainte-Anne à Saint-Joachim
Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM)
Pierre-Paul Sénéchal, vice-président
Château Mont-Saint-Anne
Février et avril 2013
Avant-propos.
Par le titre qu’il a initialement choisi en février pour son mémoire (lequel n’a pas changé à la suite de la décision gouvernementale publiée le 5 février dernier) on comprendra d’emblée le GIRAM sur ne s’attarde pas à proposer des ajustements dans le but de hausser la protection de la vergerette ou du «naseux des rapides» dans le bassin de la rivière Saint-Anne. Non pas qu’il soit peu sensible à la protection de la faune ou de la flore, mais bien plutôt parce qu’à la suite d’un examen de pertinence, le GIRAM en est arrivé à la conclusion ferme que ce projet est inutile et non avenu.
Inutile, parce que cette maigre production de 23.2 MW s’avérera sans réelle signification énergétique et sans effet économique justifiable pour l’ensemble de la collectivité québécoise qui aura à en payer la facture compte tenu du contexte énergétique actuel.
Non avenu il l’est également en raison du modèle de développement proposé, autant au chapitre du développement régional qu’à celui de sa gestion. Ce modèle fait en sorte que les collectivités locales y sont utilisées comme de véritables paravents sans garantie réelle de contrôle.
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1/ Justification énergétique : syndrome de l’aveuglement volontaire
La question de la non-justification énergétique des projets de minicentrales ayant été abondamment traitée au cours des dernières semaines, inutile d’élaborer davantage sur le sujet. Ce qu’il convient néanmoins de rappeler ici c’est qu’entre le moment où le gouvernement précédent a mené sa consultation sur sa politique énergétique (2004) et celui de l’autorisation de construction des minicentrales (2010), la situation des marchés d’exportations s’était suffisamment clarifiée pour que l’on puisse encore faire marche arrière. Dès juillet 2009 en effet, les analystes de marchés sonnent l’alarme sur le coût de un (1) milliard $ qu’allaient représenter les surplus pour l’année suivante. Comment justifier alors, autrement que par le calcul purement électoraliste, cette autorisation, en juillet 2010, de construction de 13 centrales par la ministre Nathalie Normandeau? Un lancement spectacle digne des meilleures pratiques de la firme de communication National, sous les brumes enivrantes des chutes de la Chaudière.
Ce n’est que le 12 février 2013, que le PDG d’Hydro-Québec se verra finalement contraint d’avouer devant une commission parlementaire, que tous ces surplus (24 TWh entre 2013-2020), sont « entièrement imputables aux achats que lui a imposés par décret le gouvernement». Selon les estimations réalisées par Jean-Thomas Bernard, spécialiste en énergie, il sera très difficile de trouver d’ici cette date des acheteurs du nord-est des États-Unis prêts à payer 10 ou 11 cents pour cette électricité d’exportation. Dans cette région, l’électricité se vend actuellement autour de 4 à 6 cents le kWh.
Avantage concurrentiel de tels surplus?
Pour éviter de sombrer dans l’alarmisme ambiant, d’aucuns tentent de se réfugier dans une vision optimiste du développement. Ainsi, les énormes surplus du Québec pourraient à moyen terme lui procurer un « avantage concurrentiel » du fait qu’ils pourraient représenter un facteur d’attraction, nombre de nouvelles entreprises voulant s’implanter en sol québécois? C’est l’argument évoqué par la première ministre du Québec le 30 janvier dernier, lors de son passage à Davos.
Une des raisons pour laquelle cet argument ne tient pas d’emblée la route, repose sur le fait qu’ici même les PME achètent leur énergie à un coût déjà plus élevé que certains de leurs concurrentes américaines alimentées avec de l’électricité produite au gaz de schiste ou bien avec celle qu’on leur vend à 4 cents du kilowatt-heure. En fait, notre traditionnel avantage concurrentiel de pouvoir alimenter les entreprises à un coût sensiblement plus bas que les États du nord des États-Unis va tenir de moins en moins. Et on pourrait dire qu’on accélère les choses en vendant nos surplus en solde de débarras. Les PME québécoises à grande valeur ajoutée sont par définition des PME exportatrices; elles sont principalement localisées dans cœur industriel du Québec et la grande région de Montréal. En réalité, leur meilleur avantage concurrentiel serait maintenant de se rapprocher encore davantage des grands marchés nord-américains, considérant l’inexorable et constante progression des coûts reliés au transport des marchandises, facteur clé d’une vitalité économique. Quel poids représente ce risque délocalisation versus celui de l’attractivité ? Aucune recherche n’existe à ce sujet, mais le sujet mérite attention.
Que faut-il par contre espérer par contre du côté des entreprises grandes consommatrices d’énergie hydro-électrique, entre autres les alumineries? Là encore, ne faut-il pas ici aussi regarder la situation froidement? Jusqu’à présent, le Québec n’a jamais réussi à s’affirmer avec force dans ses négociations. Bien au contraire, faut-il le rappeler, il a été constamment à la merci des multinationales implantées dans nos régions-ressource nordiques. Ces méga-entreprises, c’est un fait, possèdent toutes des usines dans plusieurs pays du monde, ce qui leur procure un rapport de force extrêmement élevé lorsque vient le temps de négocier les tarifs d’électricité. En général, elles en ont toujours tiré profit. Lors de la consultation sur l’avenir énergétique du Québec en 2005, l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE) ne s’était d’ailleurs pas gênée pour jouer la carte du «déménagement des opérations, voire des usines vers d’autres localisations américaines ou canadiennes» en cas d’« incertitude ou instabilité » dans la politique tarifaire du Québec. C’est cette « loi du plus fort » qui conduisit à des ententes comme celle de 2011 assurant la livraison d’un bloc d’électricité de 500 mégawatts (MW) à Aluminerie Alouette à un tarif « préférentiel amical » jusqu’en 2041, un cadeau entraînant une hausse tarifaire de 2 % (180 millions $ par année) pour l’ensemble des clients que nous sommes.
2/ Efficience économique : démonstration sommairement balayée par le promoteur.
Selon l’exigence de la Loi du développement durable, un projet doit pouvoir faire la démonstration de son « efficience économique ». Ceci, dans le souci d’une « économie innovante et prospère, écologiquement et socialement responsable». Il faut par conséquent, dans l’analyse d’impact d’un projet voir à ce qu’il répondre à un objectif « d’internalisation des coûts », c’est-à dire que « la valeur des biens et des services doit refléter l’ensemble des coûts qu’ils occasionnent à la société durant tout leur cycle de vie, de leur conception jusqu’à leur consommation et leur disposition finale ».
Facture refilée à l’ensemble des citoyens du Québec.
« La non-réalisation du projet aurait pour conséquence de priver la région, et de façon plus immédiate la municipalité de Saint-Joachim, de retombées économiques importantes et structurantes pour son avenir ». Tel est l’argument utilisé par le partenaire Axor dans son prospectus de vente pour démontrer l’efficience économique de son projet. Jamais, on ne soulève le fait que son risque financier est à zéro pour les 20 premières années en raison de l’obligation qui est faite à l’ensemble de la communauté québécoise de prendre en charge le surcoût de production et de distribution de l’énergie produite. Une facture de l’ordre de 5 millions $/an (20 M $ pour les six projets, selon la ministre des Ressources naturelles). La croisade actuellement menée par le président de la Fédération des municipalités (FQM), Bernard Généreux, qui affirme ne pas « réclamer la charité », ne repose sur aucun fondement sérieux sur le plan de la comptabilité nationale.
Risque de cannibalisation des emplois touristiques
Le développement régional tel qu’on nous l’a toujours présenté au Québec, repose sur la théorie du « développement endogène », ou plus concrètement sur le développement du capital humain et le savoir-faire de chacun des milieux. Une fois les opérations de génie conseil réalisées dans le bureau montréalais et une fois terminée la « phase béton »des infrastructures (plus ou moins huit mois) que reste-t-il en termes d’emplois locaux et en termes d’expertise acquise dans les mains de la collectivité locale? Le dépliant promotionnel du projet Canyon Saint-Anne est au moins franc là-dessus et il faudrait que les élus municipaux le lisent; on fait référence à la création de deux (2) maigres emplois. Et encore, on ne précise pas s’il s’agit de temps complets et à quels niveaux de compétence ils feront appel. Selon une évaluation réalisée par l’ingénieur Réal Reid, il faut estimer que la création nette résultant de la construction d’une minicentrale sera toujours en moyenne de un (1) emploi et demi durant toute la phase d’exploitation anticipée de 40 ans. L’expert a même pu observer, à partir du vécu de celles qui sont déjà en opération que certaines firmes réussiront à gérer une dizaine de petits barrages avec seulement 4 opérateurs qui se relaient 7 jours semaine, 24 heures par jour. Une performance tout à fait édifiante d’un point de vue du rendement financier, mais tout à fait insignifiante au chapitre du développement local. Comparés à la dizaine d’emplois que nécessite actuellement l’exploitation du site du Canyon à des fins touristiques et pour qui la dénaturalisation constitue une menace réelle, ces 1 ou 2 emplois ne font pas le poids, ils représentent davantage une menace.
3/ Télescopage de l’acceptabilité sociale
« Le projet d’aménagement hydroélectrique du Canyon Sainte-Anne semble bien accepté par la population locale. Celle-ci a manifesté un soutien presque unanime lors des trois séances d’information et par le biais des formulaires de réponses distribués dans l’ensemble de la MRC. » (Tiré de l’étude d’impact). Selon le GIRAM, réserver l’évaluation de l’acceptabilité sociale aux seuls contribuables de la municipalité concernée représente une façon résolument simpliste de se dédouaner. Qui sera affecté principalement par l’artificialisation du site du Canyon une fois complétées les infrastructures de la centrale hydraulique? Les quelque 700 contribuables de Saint-Joachim à qui on a signifié la chose par un avis affiché à l’entrée du bureau municipal ou davantage la grande communauté des utilisateurs? En effet, selon une analyse réalisée sur la fréquentation touristique du site du Canyon, plus de 100,000 visiteurs utilisent annuellement les sentiers et les promontoires. De cet ensemble, 88 % proviennent d’un bassin national et international et seulement 12 % de la grande ville de Québec et de la Côte de Beaupré, ce qui laisse deviner que bien peu sont des « gens de la place ». On peut noter le même défaut d’évaluation dans le dossier Val-Jalbert. L’évaluation de l’acceptabilité sociale aura été principalement basée sur un sondage réalisé avant même la tenue des séances d’information publiques sur le projet. Sondage non seulement prématuré dans le processus d’approbation, mais réalisé au moyen d’un échantillon des 382 répondants non représentatifs du public utilisateur du site.
Simple affaire de sondages, la mesure de l’acceptabilité sociale? Faux. Il est reconnu que l’appréciation d’un projet devrait être faite en prenant en considération les craintes et contraintes se rapportant à l’environnement humain immédiat mais également, cela nous semble incontournable, en référence aux valeurs communes de l’ensemble de la communauté. Selon notre appréciation, les intérêts financiers et d’affaires ne peuvent prendre le pas de façon unilatérale sur les valeurs collectives qui sont à la base de notre fonctionnement social et national. Ces principes doivent toujours occuper une grande place dans l’évaluation de la justification de tout projet, surtout lorsque celui-ci est davantage dans la catégorie « opportunité d’affaires » que dans celle de la nécessité publique. C’est ce qui permet d’éviter que les 300 habitants de Port-Menier, seul village de la grande municipalité de l’Ile d’Anticosti soient finalement les seuls habilités à décider du projet d’exploitation des 30 milliards de barils d’hydrocarbures enfermés dans le sous-sol de ce vaste territoire?
4/ Une formule de partenariat public-privé porteuse de risques sur le plan éthique
Objets de contestation et de controverses depuis nombre d’années, les minicentrales sont difficiles à insérer dans la politique énergétique de 2006. Pour ne plus avoir les écologistes directement dans les pattes, le gouvernement prendra alors soin de les enrober d’un vertueux vernis, la « reprise en main des régions par et pour les collectivités régionales ». Dorénavant, les municipalités devront être « grandes partenaires » des firmes de génie-conseil pour mettre en œuvre tout projet de centrale. Une nouvelle coquille appelée la « Société de développement du projet inc. » servira d’ossature à ce partenariat entreprise-municipalité.
Municipalités utilisées comme simples paravents par l’industrie
Ce que l’on ignore généralement, c’est qu’en vertu de ce modèle tout à fait inusité de « partenariat », la municipalité n’aura finalement aucun sou à injecter dans le projet. La généreuse Axor prend à sa charge 100% des coûts tout en octroyant à cette dernière le prestigieux statut d’actionnaire majoritaire de la Société Hydro-Canyon Sainte-Anne. Trop beau pour être vrai. L’entente contractuelle entre les parties révèle toutefois la véritable nature du montage corporatif. Détenteur de 51 % des parts, le « partenaire municipal » (Saint-Joachim et MRC) recevra 6% des revenus bruts contre 94% pour Axor. Le siège social et administratif de la coquille corporative est inscrit au 4050 Sherbrooke, 4e étage, soit l’adresse de la firme Axor. C’est cette dernière qui conçoit l’armature du projet, confectionne les devis d’ingénierie, tient la comptabilité, construit, gère l’exploitation, négocie les droits hydrauliques et immobiliers, négocie les conventions avec Hydro-Québec.
L’entreprise pourrait-elle à un moment ou l’autre tomber sous le contrôle du partenaire municipale détenteur de 51% des actions? Impossible. L’entente prévoit que toute décision réputée « importante » au gré de la firme devra être prise à 75% des voix, ce qui à toute fin utile rend purement virtuel le statut d’actionnaire majoritaire accordé au «partenaire» municipal. Cette entente confère à Axor un droit de veto sur à peu près tout.
Pour coiffer le tout, Axor s’octroie le privilège d’émettre à titre exclusif, pour son compte propre, des blocs d’actions pouvant servir à recapitaliser sa participation dans le projet du Canyon en plus d’un pouvoir de vendre à un tiers ses «droits et obligation» de propriétaire.
Lors de l’assemblée de consultation du 27 mars dernier, réagissant à la décision gouvernementale du 5 février, le maire de Saint-Joachim décrit sa position comme en étant une d’appui à la décision du promoteur de persister dans la démarche du BAPE. A-t-il déjà oublié que c’est sa municipalité qui est la promotrice du projet?
Défaut de transparence et porte ouverte aux conflits d’intérêts
Le « inc. » rattaché à la raison sociale de la nouvelle Société Hydro-Canyon Sainte-Anne est lourd de conséquences. Il signifie que les représentants municipaux sont dégagés de toutes les obligations éthiques qui sont normalement les leurs en matière de gestion publique. Ainsi, pour tous les ouvrages de conception, de gestion, de construction, de surveillance du projet du Canyon, les contrats pourront être adjugés directement dans le réseau étroit des entrepreneurs, en dehors de toute contrainte d’appels d’offres publics, et sans égard à l’obligation de transparence administrative normalement attendue de la part d’une entité municipale. En même temps, la Société du Canyon est mise à l’abri de toute demande d’information qui pourrait lui être adressée par quiconque en référence à la Loi d’accès à l’information. « Contrôle du projet par la collectivité locale », avait promis le gouvernement. Laquelle, celle des citoyens ou celle des entrepreneurs?
5/ Où sont passés les beaux principes sur le développement régional?
Considérant le caractère particulier racoleur ou trompeur de la formule PPP accrochée à la politique libérale des minicentrales, on se serait normalement attendu à davantage d’analyse et de perspicacité chez les intervenants régionaux, en particulier la FQM. Après une décennie de savants colloques et d’études commanditées sur les conditions à mettre en œuvre pour créer une véritable dynamique du développement local et régional au Québec, il faut se demander ce qu’il reste de tout cela. La réaction fort émotive de Bernard Généreux, président de la FQM, au lendemain de la mise au rancart des minicentrales par le gouvernement du Parti québécois étonne encore: « victoire des écolos sur le monde rural, suprématie des urbains sur les régions » (Le Soleil, 5 février 2013). Cette attitude est en soi assez illustrative d’un courant de pensée à saveur régionaliste qui a circulé pendant un temps dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et voulant que l’usufruit des ressources naturelles doive d’abord retourner à la région.
Ce principe est pourtant questionnable à plus d’un égard. Il fait en sorte qu’il y aurait au Québec un petit nombre de municipalités bénies des dieux du seul fait que, ô miracle, une rivière à potentiel énergétique traverse leur territoire. Heureuse fatalité procurant automatiquement aux contribuables qui y résident (et à leurs descendants sur une période de 40 ans dans le cas des minicentrales) le droit à des « redevances ».
Et l’approche territoriale du développement?
Depuis des années, on nous enseigne qu’un projet structurant est d’abord celui qui, une fois inscrit dans son milieu, saura produire un ensemble de rapports économiques ou commerciaux apte à créer une réelle synergie avec d’autres entreprises locales ou régionales, dans le dessein de favoriser, de façon pérenne, la production et le développement de l’emploi. Une véritable politique régionale doit en conséquence se traduire par une amélioration des services aux personnes et aux familles, par une amélioration de la qualité du cadre de vie (qualité de l’environnement, protection et mise en valeur des paysages locaux, naturels et bâtis), par une meilleure offre de services aux entreprises, par des programmes adaptés sur les plans agricole, forestier et touristique. Autant de conditions essentielles au rehaussement de l’attractivité territoriale de nos collectivités locales et de nos régions.
Considérant ces principes, quel impact peut bien avoir à long terme sur une collectivité régionale un projet de minicentrale comme celui du Canyon de la rivière Saint-Anne? Nous l’avons dit, toutes les opérations de conception, de génie-conseil, de négociation d’ententes, de gestion comptable, de négociation des droits hydrauliques et immobiliers, de signature de conventions, tout cela est entièrement réalisé à Montréal. À part une insignifiante participation aux profits, que reste-il à la région après 40 ans?
Que reste-il à la région après 40 ans?
6/ Un rapport au patrimoine naturel plutôt équivoque chez nombre d’élus municipaux. « Le tourisme durable est un tourisme qui contribue au développement économique et culturel des territoires ainsi qu’au développement humain des populations qui y vivent, travaillent ou séjournent. Il permet une répartition équitable des revenus touristiques, protège l’environnement local et planétaire en préservant l’équilibre des écosystèmes et en optimisant l’utilisation des ressources. » Barcelone. 2004, l’Agenda 21 de la culture. Difficile d’expliquer comment un sentiment de fierté longuement entretenu et manifesté l’égard des plus beaux attraits naturels locaux peut soudainement s’avérer si fragile face à la promesse d’un providentiel « développeur ». C’est cette réalité que j’ai constatée avec stupéfaction en 2008 relativement au parc Vincennes de Beaumont que certains élus ont rendu disponible pour un plat de lentilles. Décidément, on a encore de sérieux problèmes d’appréciation des valeurs chez nombre de nos représentants. Presque partout sur la planète, les cascades et les chutes d’eau sont soigneusement préservées pour être exploitées à des fins de marketing local et d’attrait touristique. Il faut savoir que de tout temps, elles ont inspiré les poètes et attiré les voyageurs. Chaque Québécois doit absolument visiter le Canyon Sainte-Anne. Résultat d’une érosion qui creuse la roche depuis environ un milliard d’années, le site offre un spectacle naturel absolument saisissant. En 1850, le géographe et écrivain américain Henry David Thoreau décrit le site en ces mots : « Un abîme des plus sauvages, des plus frustes et des plus prodigieux, très étroit et profond, où une rivière s’était frayé un passage à travers une montagne de roc ». C’est ce canyon exceptionnel qu’on voudraient convertir en site énergétique pour un maigre 23 MW à exporter à perte. On planifie y couler quelque 6 200 m³ de béton (prise d’eau, déversoir, ouvrages d’amenée) et se connecter au réseau de distribution d’Hydro-Québec au moyen de lignes aériennes. Pour donner bonne conscience, l’étude d’impact tente de faire croire que par des fausses roches en béton projeté autour du barrage de retenue et par le maintien d’un «débit esthétique», on s’assure de conserver intégralement le spectacle unique et exceptionnel du phénomène naturel des chutes (brumes et effets sonores des bouillonnements d’eau). Pourtant il suffit d’aller voir les chutes de la Chaudière à Lévis, pour anticiper le résultat que cela peut donner. En détournant une partie du débit de la rivière vers la centrale, le débit a été affecté suffisamment pour affecter la magie qu’offrait jadis ce site naturel. D’où vient ce manque d’analyse et d’appréciation de la valeur éternelle de nos sites remarquables? Comment expliquer que la culture, la nature, ne soient pas plus sérieusement identifiées comme sources ou facteurs importants du développement? Qu’est-ce qui attire les nouvelles cohortes de touristes dans un pays, une région si ce n’est la découverte de patrimoines et de paysages différents? Bref, tout le contraire de ce que tentent de nous laisser croire bien des organismes locaux de promotion économique en quête d’argent vite fait. À la fin des années 90, l’OCDE avait lancé un avertissement à ses États membres à l’effet qu’au cours des prochaines décennies, c’est le tourisme culturel qui allait s’avérer la principale source de richesse des économies régionales. Plus récemment une autre instance organisation mondiale du tourisme (OMT) rappelait que «le tourisme est devenu l’un des principaux postes du commerce international. (Faits saillants du tourisme – Édition 2008, Organisation mondiale du tourisme). Conclusion L’eau, un patrimoine commun Depuis la Révolution tranquille nous assumions qu’il existait un solide consensus autour de l’idée que l’eau, source d’énergie et de vie, constitue le patrimoine collectif de tous les Québécois. Une ressource qui ne saurait être appropriée, ni en tout, ni en partie, par quiconque : groupes d’investisseurs, contribuables locaux ou autres utilisateurs qui voudraient en tirer un avantage privilégié. Il s’agit là d’un principe d’équité fondamentale que le GIRAM demande au BAPE de réaffirmer solennellement dans son rapport d’examen du projet du Canyon de la Rivière-Sainte-Anne. Le soir du 22 janvier 2013, devant les commissaires du BAPE, en nous présentant comme porte-paroles du GIRAM, nous avons eu la sourde impression que certains élus municipaux, certains membres de groupes d’intérêts locaux présents (chambre de commerce, entrepreneurs) nous regardaient d’un œil un peu suspect, sans doute des« urbains » pour reprendre le terme de Bernard Généreux, venant mettre leur nez dans une affaire qui ne les concerne pas. Mais a-t-on informé les populations correctement du côté de la FQM et de la firme de génie-conseil? Dans les prospectus, on parle allègrement de « redevances municipales » comme s’il s’agissait d’une réalité admise. Pourtant, dans cet univers de l’exploitation des ressources naturelles et dans notre régime de droits, le principe de la redevance fait essentiellement référence à ce que l’État a l’obligation de prélever comme compensation, au nom de l’ensemble des citoyens du Québec, seuls véritables propriétaires de la ressource. On fait confusion entre « redevances » et compensations financières devant obligatoirement être consenties par un promoteur à tout groupe de citoyens qui, pour quelque raison, pourraient subir préjudice au chapitre de la qualité de vie à la suite d’une nouvelle activité industrielle. Et les minicentrales n’entrent manifestement pas dans cette catégorie de situations. En même temps, cet épisode des mini-centrales aura fait voir l’ambigüité et aussi la fragilité de considération qu’une part importante de nos élus locaux ou nationaux entretient encore à l’égard de la ressource culturelle et patrimoniale du territoire. Les sites exceptionnels de notre paysage naturel et culturel, tout comme le patrimoine bâti, ne participent-ils pas largement à donner une âme au Québec? Bref, encore une fois, on aura constaté une absence de sentiment national et de vision de pays. Recommandations 1-Certificat d’autorisation. Pour toutes les raisons évoquées dans le présent mémoire, le GIRAM demande au BAPE de recommander au gouvernement du Québec de ne pas émettre de certificat d’autorisation à la Société Hydro-Canyon de la rivière Sainte-Anne. 2-Indemnisation Lors de l’annonce de sa décision de suspendre le programme des minicentrales, le gouvernement du Québec a évoqué la question d’une indemnisation des promoteurs. Dans une lettre datée du 22 mars 2013 le MER invite la Société Hydro-Canyon à chiffrer le montant des sommes investies dans la conception du projet. Il s’agit à ce moment-là d’un principe en théorie tout à fait défendable. Toutefois, à partir du moment où la Société Hydro-Canyon refuse d’adhérer à la décision gouvernementale en exigeant, comme c’est son droit en vertu de la loi, la poursuite des audiences du BAPE, la donne n’est plus la même, selon nous. Toute décision d’investissement comporte son risque financier, y compris celui de ne pas franchir la barrière de l’obtention d’un permis d’exploitation à la suite d’une analyse environnementale. Advenant l’hypothèse que le rapport du BAPE s’avère défavorable au promoteur, il y a problème à voir le gouvernement du Québec persister dans son intention de compensation. L’obligation contractuelle convenue entre Hydro-Canyon et Hydro-Québec ne tenant légalement qu’à la condition que le promoteur obtienne tous les permis nécessaires, pourquoi en serait-il différent pour le MER? Une telle compensation pourrait, selon le GIRAM, amener un précédent lourd de conséquences pour l’avenir. En n’acceptant pas l’offre du gouvernement, le promoteur, croyons-nous, a pris un risque qu’il doit assumer. Pour cette raison, le GIRAM demande au BAPE de recommander au gouvernement de sursoir à son offre de compensation financière au promoteur dans l’éventualité où son rapport devait s’avérer défavorable au projet du promoteur. 3-L’eau patrimoine collectif. Dans la conclusion de son mémoire, le GIRAM déclare que l’eau constitue un patrimoine collectif appartenant à l’ensemble des Québécois, donc une ressource naturelle qui ne saurait être appropriée, ni en tout, ni en partie, par quiconque (groupes d’investisseurs, contribuables locaux ou autres utilisateurs) qui voudraient en tirer un avantage privilégié. Le GIRAM demande que dans son rapport d’examen, le BAPE prévoit énoncer quelques balises pouvant guider l’action du gouvernement du Québec en cette matière. |