Arguments complémentaires à la demande de classement du Château Beauce et des meubles
adressée à la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, le 18 octobre 2018
Lévis, le 13 décembre 2018
Conseil du patrimoine culturel du Québec
Madame Line Ouellet, présidente
225, Grande-Allée Est, Québec
(Québec) G1R 5G5
Objet : Arguments complémentaires à la demande de classement du Château Beauce et des meubles, envoyée à la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, le 18 octobre 2018.
Madame la présidente et membres du CPCQ
Le 18 octobre dernier, le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) a fait parvenir un dossier avec annexes demandant le classement du Château Beauce et son environnement, ainsi que son mobilier, en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Notre but était de renforcer la demande initiale (17 septembre 2018) d’intervention urgente en vertu de l’article 76, alinéa 1 de la Loi sur le patrimoine culturel de l’avocat Charles Breton-Demeule et de l’urbaniste Guillaume St-Jean et de s’assurer du classement de l’immeuble comme bien patrimonial.
Avec l’avis d’intention de classement de la ministre, du 18 octobre 2018, le bâtiment est sous protection temporaire, mais seul un classement définitif permettra d’empêcher la démolition autorisée par la Ville de Sainte-Marie, le 11 septembre 2018.
Voici quelques arguments complémentaires :
La localisation géographique
Le château Beauce se situe dans un cœur institutionnel ancien. Il est entouré du presbytère en briques d’Écosse (construit vers 1861 et agrandi en 1887), de l’église (1857-1859) dessinée par l’architecte Charles Baillargé et classée (ainsi que la sacristie) bien patrimonial depuis 2001, d’une ancienne caserne de pompiers de 1926 et du coté nord-ouest d’un centre récréatif Art déco de 1930. Le tout forme un ensemble de bâtiments dont le caractère monumental dégage un fort impact visuel et une lecture exceptionnelle de l’histoire du lieu (Annexe 1 : photo #1).
De la rue Notre-Dame Sud, on peut voir que le Château Beauce fait partie de la trame urbaine et de l’alignement des bâtiments de la Fabrique: presbytère, sacristie, église (A1 : photo #2).
Des architectes de renom
Les plans d’origine du Château Beauce ont été conçus par des architectes de renom, Jean-Omer Marchand et Samuel S. Haskell, qui figurent parmi les premiers architectes canadiens diplômés à l’École des beaux-arts de Paris. Jean-Omer Marchand est reconnu comme l’un des plus grands architectes québécois, ayant dessiné les plans de plusieurs bâtiments prestigieux, dont la maison mère des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, en 1908 (devenu le collège Dawson), le parlement du Canada en 1915-1916 et plusieurs autres édifices d’envergure nationale. Comme l’affirme l’architecte George Leahy, la Ville de Sainte-Marie « peut s’enorgueillir de conserver l’une de ses rares œuvres résidentielles ».
Une architecture impressionnante
L’architecture du bâtiment emprunte au courant éclectique. Malgré sa désignation pompeuse de « Château Beauce » qui démontrait que son architecture était particulièrement impressionnante et distinctive pour le milieu beauceron, l’immeuble n’est pas du style château, mais plutôt du courant néo-médiéval inspiré d’ouvrages militaires avec ses couronnements crénelés en toiture (A 1: photo #3). George Leahy qualifie ce style de « Troubadour », tel l’ancien palais de justice de Kamouraska, ce qui rend le bâtiment encore plus unique sur le plan national. Bien que le bâtiment ait été relevé d’un étage vers 1937, la lecture de ce style a été conservée de l’intérieur et de l’extérieur (A 1: photo #4).
De plus, l’intérieur du Château Beauce a conservé la plupart de ses caractéristiques d’origine, tant sur le plan des divisions, de la mouluration, de ses manteaux de cheminée en marbre et de ses lustres d’origine (voir description des meubles). De tels intérieurs de la « Belle Époque », d’une aussi grande richesse et dans leur état du début du XXe siècle, sont rarissimes au Québec. Laisser démolir un tel monument exprimant le bon gout et l’esthétisme de cette période serait un affront à la culture et à l’histoire. C’est pourtant ce pas qu’a franchi la Ville de Sainte-Marie[1], à la veille du 275e anniversaire de l’érection canonique de la paroisse, démontrant une fois de plus que les municipalités ne sont pas aptes à protéger et mettre en valeur leur patrimoine bâti. Elles ont peine à l’identifier et ne font rien pour le conserver, même lorsqu’un bâtiment est dans son plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) et fait partie de son circuit patrimonial…
Des propriétaires influents
George-Siméon Théberge, né à Sainte-Marie en 1849, a des origines très modestes, fils d’un cultivateur et commerçant d’animaux. Après ses études notariales, il trouve important de venir établir sa pratique dans son milieu, dès 1881. Il est très entreprenant et devient un homme d’affaires avisé à Sainte-Marie. Il acquiert graduellement la seigneurie de Sainte-Marie et deviendra propriétaire de l’aqueduc du village entre 1900 et 1924. On ne peut connaître précisément la date de son association avec le notaire Ernest Damase Élusippe Larue, né à Saint-Augustin-de-Desmaures et son cadet d’environ 13 ans, mais il reçu officiellement notaire environ cinq ans plus tard, soit en 1884 (Annexe 2, pièce 1 : Portrait des deux notaires).
Il est plausible que le notaire Théberge ait fait construire seul sa maison cossue, car il avait acquis à ce moment une grande aisance financière, mais une vente de terrain sur le site actuel, à Me Larue en 1917, démontre que leur association existe également sur le plan immobilier
Les deux notaires sont demeurés célibataires, mais cela ne les a pas empêchés de côtoyer les dames de la haute société de Sainte-Marie et de la région, comme le démontre cette photo de l’heure du thé sur la devanture du Château Beauce (A1 : photos # 5).
Une collection unique de meubles à classer
Il est très rare, au Québec, de se retrouver avec des meubles du début du XXe siècle, appartenant aux premiers propriétaires, encore présents dans une résidence. Cette extraordinaire chance est due aux conditions de donation liées au contrat des notaires Théberge et Larue, le 29 septembre 1932 (acte 112 706 du Registre foncier du Québec).
Se réservant les donateurs, la jouissance et l’usufruit leur vie durant, et jusqu’au décès du survivant des deux, de tout ce que ci dessous donné moins cependant le monastère, situé en arrière de la bâtisse dite « Château Beauce » dont la dite Corporation (des Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception) aura l’entière propriété à compter des présentes et la Corporation n’aura la propriété des dits immeubles réservés en usufruit jusqu’au décès du survivant des deux. Il est entendu, en outre, que les donateurs se réservent tous les meubles, meubles de ménage et autres effets mobiliers qui sont dans les dites bâtisses, moins ceux qui sont dans le monastère, de même que les meubles qui sont fixés à perpétuelle demeure, tel que miroirs, tableaux, lustres et autres meubles tant ceux fixés à clous ou fixés autrement dans la bâtisse connue sous le nom de « Château Beauce ».
« Il est spécialement convenu que si ladite Corporation, pour quelques raisons que ce soit, venait à quitter la paroisse de Ste-Marie et cesser d’habiter les propriétés ci-dessus données, elle ne pourra pas vendre ces propriétés à qui que ce soit, mais elle devra les donner gratuitement à une autre communauté religieuse, soit d’hommes ou de femmes, avec tous les meubles garnissant actuellement le monastère, afin que le désir des donateurs soit rempli, à savoir qu’il y ait toujours une communauté qui occupera les terrains et habitera les bâtisses ci-dessus données comme établissement religieux, ladite Corporation ne devant alors enlever que les biens meubles qu’elle y aura apportés ou ceux qu’elle aura achetés elle-même par la suite.
Dans un avis récent acheminé au CPCQ, le 4 décembre 2018, l’architecte George Leahy[2] souligne ceci :
« Le Château Beauce possède une architecture intérieure et un décor unique qui de surcroit sont rehaussés de meubles miraculeusement conservés sur place depuis l’occupation d’origine de la résidence. Dans la salle à manger, entre autres, on retrouve deux pièces de mobilier de bois noirci et d’influence Eastlake qui, par leur appartenance à une époque victorienne tardive, sont annonciateurs de l’Art nouveau, notamment des chapiteaux ornant des pilastres du vestibule et de la tapisserie de style Liberty, variante anglaise de l’Art nouveau, ornant les murs de la cage d’escaliers. Il est à mentionner également la recherche de qualité dans le dessin et les matériaux utilisés des manteaux de cheminée qui sont toujours surmontés de leurs magnifiques miroirs dorés d’origine et datant de la Belle Époque»
Ne pas reconnaitre ces biens uniques comme « objets patrimoniaux », c’est les condamner à la dispersion, à leur vente sur le marché de l’antiquité (Annexe 2, pièce 2 : Description des meubles et tableaux).
Conclusion
Le château Beauce et son environnement doivent être reconnus comme bâtiments patrimoniaux (A1 : photo #6). À notre avis, ce classement devrait inclure le monastère en arrière du bâtiment bourgeois, ainsi que l’écurie en brique (A1 : photo #7) devenue garage avec le temps. À notre avis, les ajouts contemporains pourraient être recyclés ou démolis, bien qu’ils s’inscrivent dans l’évolution du site à des fins religieuses (Annexe 2, pièce 3 : Tableau-synthèse de l’évolution historique des bâtiments sur le site du Château Beauce).
Quant aux meubles et accessoires, ils font partie intégrante de la résidence du début du XXe siècle et grâce aux conditions fixées par les donateurs en 1932, nous avons la chance qu’ils aient été conservés jusqu’à ce jour, ce qui constitue un cas assez exceptionnel pour l’ensemble du Québec.
Après la démolition sauvage de la maison du patriote Boileau à Chambly, devant les multiples insouciances des municipalités du Québec à l’égard de leur patrimoine bâti, même pour des bâtiments solides et prestigieux ou pour d’autres à forte valeur symbolique, il est grand temps que le ministère de la Culture envoie un signal clair que le temps des démolitions frivoles est terminé. Il faut que ce ministère, ayant la responsabilité de la pérennité du patrimoine québécois, révise ses politiques et ses actions, notamment celles auprès des municipalités, qui baissent les bras devant les promoteurs avides de patrimoine, mais exclusivement de leur patrimoine financier …
À titre d’exemple, à Lévis, pour une maison qu’on réussit à sauver de la démolition, la ville autorise des permis pour vingt autres. Souvent des petites maisons ouvrières restaurables sont livrées en pâture à des spéculateurs ou à des entrepreneurs immobiliers qui détruisent peu à peu les vieux quartiers par l’insertion de nouvelles constructions rarement intégrées au bâti traditionnel avoisinant et à l’esprit du lieu.
Le Château Beauce a acquis, depuis la menace de démolition qui pèse sur lui, une notoriété nationale. On en a fait référence dans Le Devoir, dans la revue L’Actualité, à l’émission de Joël Le Bigot (Radio-Canada), la caméra du Téléjournal Québec (Radio-Canada) a pénétré à l’intérieur pour montrer à tous son riche décor. Qu’un organisme comme le Conseil du patrimoine culturel du Québec refuse pour quelques motifs que ce soit de le classer, serait une preuve de plus qu’il n’y a, au Québec, aucun rempart contre les destructions insensées, même lorsqu’il s’agit d’un bâtiment solide, ayant du panache et qui coûterait une fortune à reconstruire, aujourd’hui. Heureusement, ce Château Beauce sera fort probablement sauvé, mais qu’arrivera-t-il aux autres bâtiments patrimoniaux de nos villes, nos villages et nos rangs qui mériteraient d’être conservés? Quelqu’un pourra-t-il un jour arrêter ce saccage de nos bâtiments anciens qui prévaut depuis quelques décennies ? Ne l’oublions pas, en Amérique du Nord, notre architecture particulière et distinctive est en symbiose avec notre langue et notre culture françaises.
Espérant que ces informations pourront vous permettre de prendre la décision la plus judicieuse possible.
Gaston Cadrin, vice-président au Patrimoine et à l’Environnement
4870, boul. Guillaume-Couture,
C.P. 202,
Lévis (QC), G6V 6N8
Entrevue de Sonia Nadeau, 23 octobre avec Patrick Moore
studio@coolfm.biz
En Beauce
Alexandre Poulin communiques@enbeauce.com
Beauce Média www.beaucemedia.ca
Hubert Lapointe : hlapointe@beaucemedia.ca
André Boutin : aboutin@beaucemedia.ca