Objection à la demande de démolition du bâtiment situé au 32 avenue Bégin

portant le numéro de lot 2 433 355 du cadastre du Québec 

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Comité de démolition, Ville de Lévis, 25 octobre 2023

 Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) s’oppose fermement à la volonté du propriétaire, Les Chocolats favoris Inc., de démolir ce bâtiment monumental à deux étages, situé dans le coeur historique du Vieux-Lévis. Détruire cet immeuble phare, serait une pire aberration que la destruction de la maison Rodolphe Audette (photo 1). Cette maison, jusqu’à récemment, a été bien entretenue, mais des problèmes non résolus par le propriétaire actuel ont conduit à cette demande inacceptable. Cette demande est d’ailleurs aujourd’hui dénoncée par 105 propriétaires de maisons anciennes qui ont à coeur la préservation du caractère patrimonial de leur quartier. Comme le soulignait, l’expert en patrimoine, Michel Lessard, le Vieux-Lévis est le quartier au Québec qui compte la plus grande concentration de bâtiments du XIXe et du début du XXe au Québec, et cela, juste en face de la Capitale nationale, Ville du patrimoine mondial. D’ailleurs, en 2006, à titre de président du GIRAM, j’ai personnellement préparé un dossier visant à faire classer le Vieux-Lévis comme arrondissement historique national par le ministère de la Culture. On connaît la suite, nos élus municipaux n’ont fait aucun effort pour appuyer cette demande, ils ont plutôt contribué à la contrecarrer et, malgré les démarches du ministère de la Culture, la Ville est restée de glace face à l’obtention d’un tel statut1 . 

1 Lire le communiqué du 6 décembre 2011 de Michel Lessard, vice-président du GIRAM : Vieux-Lévis, arrondissement historique national. http://giram.ca/wp/wp-content/uploads/2015/06/vieux-levis-arrond-histo_GIRAM_MLessard-_6dec11finale.pdf 2 

Historicité du terrain et de l’immeuble 

À la lumière de la consultation de l’index des transactions immobilières passées sur les anciens lots 432-1, 432-2, 433 et 434, nous apprenons les informations suivantes : 

16 mai 1903 (acte 42 935) : Donation de Henri Couet à son gendre Charles Eudore Bégin, peintre, de la moitié indivise des lots 433 et 434 avec bâtisses érigées dessus, sous certaines conditions, dont le loger jusqu’à sa mort. D’après des contrats antérieurs, il existe une maison sur le lot 433, avant même 1861 et une autre sur le lot 434 avant même 1865. 

17 avril 1909 (acte 47 276) : Vente d’Eudore Bégin et son épouse Clara Couet à Adélard Turgeon, plâtrier de la ville de Lévis. 

27 avril 1909 (acte 47286) : Vente d’Adélard Turgeon, plâtrier demeurant actuellement à Saint-Raymond de Portneuf, représenté par Jean Labrecque entrepreneur-maçon de la ville de Lévis, à Alfred Roy, médecin de la ville de Lévis. On y lit dans le contrat ceci : 

1e Un lot de terre ou emplacement situé en la ville de Lévis, au coin des rues Saint-Thomas et Eden, soixante pieds de front sur soixante et quatre pieds de profondeur plus ou moins avec bâtisses, borné à l’est à la dite rue St-Thomas et à l’ouest à Georges Bourget, connu sous le numéro 434 du cadastre. 

2e Un lot de terre ou emplacement contigu côté sud de l’emplacement sus décrit, borné à l’est par la rue St-Thomas et au nord du lot sus décrit avec bâtisses, connu sous le no 433 du cadastre du quartier Notre-Dame à Lévis. (Pour un aperçu des maisons existantes alors sur la rue Eden ou Bégin, voir photo 2). Prix : 2 200 $. 

1909-1910 : Construction de l’imposante maison du Dr Alfred Roy pour sa famille et comme bureau de médecin. Les murs de briques ont probablement été construits par l’entrepreneur en maçonnerie, Jean Labrecque. Deux maisons auraient été démolies pour faire place à la nouvelle construction et probablement à des jardins (voir photo 3). 

8 mars 1861 (acte 125 724) : Vente de madame Isabella dite Bella Marie Kiely, « veuve de l’honorable Dr Alfred Roy, médecin-chirurgien et Conseiller législatif » —héritière par testament du 21 novembre 1942—, à monsieur le docteur Maurice Roy (son fils), médecin-chirurgien de la cité de Lévis. La propriété comprend les lots 434, 433, 432 et 431 du cadastre avec les bâtisses y érigées, circonstances et dépendances. Prix : 35 000 $. 

20 janvier 1968 (acte 153 248) : Vente par la succession du Dr Maurice Roy au Dr Robert Powers, domicilié au numéro 30, Avenue Bégin, Lévis. Cela comprend les quatre lots connus avec une maison dessus construite. Prix : 45 000 $. 

3 septembre 1976 (acte 200 818) : Vente du Dr Robert Powers à Louis-Gérard Bélanger. Prix : 65 000 $. 3 

Entre 1977 et 1978, M. Bélanger fera l’objet de saisie pour insolvabilité à l’égard de son institution prêteuse et en raison de la non remise de la balance de paiement à l’ancien propriétaire. 

Entre 1979 et 1985, les Immeubles Panorama sont les propriétaires et une vente à l’entreprise funéraires Lépine et Cloutier est conclue le 8 août 1985. 

Entre 1988 et 1996, plusieurs propriétaires se succèderont jusqu’à l’acquisition par Les Chocolats favoris, Inc., propriété alors de la famille Vézina, le 23 avril 1996. 

En 2012, le bâtiment et son terrain sont acquis par les nouveaux acquéreurs de l’entreprise Les Chocolats favoris. 

Description architecturale 

Ce bâtiment prestigieux a été érigé au début du 20e siècle au moment où la ville de Lévis connaissait une grande prospérité découlant de ses chantiers maritimes, de son carrefour ferroviaire, de ses commerces et de ses institutions (hôpital, couvents, collèges). C’est cette période qui a structuré la nouvelle morphologie urbaine sur la rue Fraser et sur des rues plus commerciales comme l’avenue Bégin. Le bâtiment du 32 avenue Bégin représente ce courant où les entrepreneurs, médecins et autres professionnels se faisaient construire des maisons bourgeoises au style plus éclectique les unes des autres pour se distinguer. La maison construite en 1909 par le Dr Alfred Roy et habitée par sa famille durant près de 60 ans illustre bien ce phénomène. Une habitation de briques à étage avec un toit à quatre versants, orné de quelques lucarnes dont une en façade plus richement décorée. Le bâtiment se caractérise par sa fenestration originale, dont un oeil de boeuf en façade, par ses galeries et terrasses et par sa distinction de l’espace bureau sur le coin de rue et le corps principal consacré à la résidence familiale. On y remarque aussi plusieurs colonnes et un fronton à l’entrée d’inspiration néo-classique. Dans ce type de maison, la hauteur des pièces, souvent de 11 à 12 pieds au rez-de-chaussée exprime la volonté de confort et un certain prestige. 

La présence dans cette maison d’un commerce ouvert au public depuis 1996 a permis à tous d’apprécier ce patrimoine bâti, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bâtiment. La fondatrice de Chocolats favoris, Christine Beaulieu, ne manquait pas de souligner dans une brochure sur le patrimoine bâti de la Ville de Lévis, en 2008, que « l’image de marque de Chocolats Favoris est intimement liée à la notion de mise en valeur du patrimoine » (voir photo 4). 4 

Motifs de notre opposition 

Malgré les nombreuses déficiences dévoilées par le propriétaire ou ses professionnels, le bâtiment, plus particulièrement ses murs sont encore bien droits et son toit recouvert de tôle à la québécoise semble en excellent état. S’il y a eu des infiltrations d’eau du côté nord-est, il faut y remédier sans être obligé de détruire tout l’immeuble. Le fait d’avoir peint la brique ne peut être un argument valable de la part du propriétaire pour condamner cette maison. Devrons-nous démolir toutes les maisons anciennes du Vieux-Lévis ou du Vieux-Lauzon qui ont reçu dans le passé des couches de peinture sur leurs murs? Cette maison doit absolument être épargnée d’une démolition, car nous croyons que des solutions existent pour sa remise en état; l’acceptation par le Comité de démolition enverrait un drôle de signal aux promoteurs et entrepreneurs avides de profits sur le désir réel de la Ville de Lévis de conserver son patrimoine exceptionnel. 

Il faut saluer la volonté de l’entreprise Les Chocolats Favoris à revenir à leur lieu fondateur dans le Vieux-Lévis et à contribuer à la vitalité commerciale de l’avenue Bégin (photo 5). Par contre, nous ne pouvons appuyer leurs efforts de tenter de remplacer ce bâtiment à l’architecture exclusive et remarquable par une simili reconstruction, un immeuble pastiche en volume, mais dont les caractéristiques architecturales sont loin d’atteindre en qualité et en grâce, celles de l’actuel bâtiment (voir illustration 6)

NOUS RECOMMANDONS : 

Que le propriétaire, avec ses professionnels, explique dans le bâtiment même à des représentants d’opposants, dont le GIRAM, les principales déficiences du bâtiment qui rendent sa réparation impensable. 

Que le Comité de démolition de la Ville de Lévis commande à des experts (architectes et ingénieurs) une analyse approfondie des déficiences inventoriées par le propriétaire. 

Pour toutes les raisons énumérées ci-haut, nous croyons que le Comité de démolition devrait catégoriquement refuser la présente demande. 

Gaston Cadrin, vice-président du GIRAM 

annexe photographique:

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