La maison historique Lapointe à Clermont
Un massacre appréhendé?
Lévis, le 21 février 2024
Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM)[1], comme beaucoup d’autres organismes protecteurs du patrimoine, s’est intéressé de loin à la survie de la maison Lapointe à Clermont. Comme l’APMAQ (Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec), en mai 2021, nous nous étions réjouis du sauvetage annoncé de cette maison patrimoniale[2].
Une maison, construite en 1811 par Alexis Tremblay dit le Picoté, fondateur de la Société des 21 qui a contribué au peuplement du Saguenay-Lac-Saint-Jean et habitée par la suite par la famille Lapointe à partir de 1860. Quand on se réfère à cette dernière famille, nous vient en tête, le coureur légendaire, Alexis Lapointe dit le Trotteur (1860-1924) dont Le Devoir consacrait récemment un article pour souligner le 100e anniversaire de son décès[3].
Après les ravages causés à la maison à la suite d’un incendie d’une maison du voisinage en mars 2020, tous ont salué les efforts et la détermination de la Société d’histoire de Charlevoix pour épargner cette maison de la démolition.
Soulignons entre autres :
- L’achat de la maison de Marguerite Brassard (veuve de Henri Lapointe), le 16 octobre 2020, pour 5 000$ avec préférence de rachat par la venderesse.
- Les corvées de nettoyage, la collecte de fonds et la préparation de plans de restauration de la maison en vue de créer un centre d’interprétation lié aux deux personnages historiques ayant habité la résidence.
- Les nombreuses démarches pour requérir le soutien de la ville de Clermont et pour obtenir la désignation d’immeuble patrimonial auprès du ministère de la Culture et de la Ville.
Quant à la ville de Clermont, on lui doit d’avoir reconnu la valeur historique de la maison en procédant à un avis de motion à des fins de citation, en vertu de l’article 127 et suivants de la Loi sur le patrimoine culturel, à sa séance du 18 janvier 2021, point 10.3 : « Avis de motion, citation de la maison Lapointe (maison Alexis-Le-Trotteur) — projet de règlement VC-459-21 ».
Pour justifier cette importante désignation, on fait mention de l’histoire liée aux personnages ayant occupé cette imposante maison du début du XVIIIe siècle. Puis, on y souligne la valeur intrinsèque du bâtiment, notamment que :
La maison a été peu transformée au fil des ans quant à sa structure d’origine…
Il s’agit d’une maison se situant dans un cadre urbain. Elle est entourée des maisons composant le centre-ville de Clermont. Elle marque néanmoins une empreinte considérable dans ce secteur dont elle constitue un élément essentiel pour comprendre et saisir l’histoire de cette ville.
Le règlement entrera en vigueur après son adoption à la séance régulière du conseil du 12 avril 2021.
Sur la fiche de l’inventaire du patrimoine bâti de la ville de Clermont (2013-2014), on souligne que :
La valeur patrimoniale supérieure de la maison Lapointe repose sur son histoire, son ancienneté, son style architectural et son authenticité (…). À défaut d’avoir conservé des éléments anciens, la volumétrie et la composition de la maison ont été préservées ce qui lui confère un grand potentiel de mise en valeur.
La vente de la maison et sa rénovation
En septembre 2022, devant les importants défis financiers et l’absence de volonté politique locale de mettre en valeur la maison à des fins culturelles, la Société historique de Charlevoix se résigne à mettre sa propriété en vente au montant de 75 900 dollars.
Après plus d’un an, une acheteuse se présente et la propriété est cédée à un prix de débarras (35 000 $) à une résidente de la ville de Mercier, au sud-ouest de Montréal.
Dans le contrat du 27 novembre 2023, passé devant le notaire Charly Fortin de Brossard (No d’inscription 28 413 740), la Société d’histoire de Charlevoix n’inclut aucune obligation de conserver tout au moins les caractéristiques de l’enveloppe extérieure du bâtiment et n’impose aucune restriction sur les matériaux éventuellement utilisés. Se fie-t-elle au fait que le bâtiment est classé ou cité par la Ville depuis officiellement le 12 avril 2021? Quoi qu’il en soit, le notaire fait une grosse erreur dans le contrat en ne faisant aucunement mention de la citation en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Au contraire, dans les déclarations du vendeur, à l’item 9, il est mentionné que : « L’immeuble n’est pas un bien patrimonial classé ou cité, n’est pas situé dans un site patrimonial, classé, cité ou déclaré, ni dans une aire de protection selon la Loi du patrimoine culturel ».
À la lumière de la rénovation amorcée (non la restauration), il est à se demander si la municipalité a tenu compte du fait qu’elle avait cité ce bâtiment en 2021 et qu’elle devait s’assurer de conserver une certaine authenticité à cette maison historique et patrimoniale. À la lecture de la résolution No 12818-10-23 du 10 octobre, le conseil accepte la demande d’agrandissement dans la partie arrière en référant à son règlement de citation de ladite maison et en précisant qu’en vertu de ce règlement, cela requiert l’avis du comité consultatif d’urbanisme (CCU) qui agit également à titre de comité du patrimoine. Selon la résolution et ses considérants, le CCU considère que le projet (d’agrandissement et de rénovation) respecte les critères du plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) et, selon la résolution, « les membres du CCU estiment que le projet répond aux conditions relatives à la conservation des valeurs patrimoniales de cet immeuble patrimonial au niveau du style, de la volumétrie, des revêtements utilisés, du choix des matériaux ainsi que des ouvertures ».
On ne connaît pas les matériaux qui seront utilisés pour le revêtement des murs et de la toiture, mais au niveau des fenêtres et des ouvertures, selon les photos disponibles, cela ne convient pas à une maison citée dont on veut conserver l’essentiel des caractéristiques d’origine, du moins dans son enveloppe extérieure. On a utilisé des fenêtres modernes, munies de faux baratins et à l’arrière une fenêtre a été réduite, probablement à l’emplacement de la future cuisine. Mais la pire erreur est le grossissement des lucarnes à l’arrière et fort probablement aussi à l’avant. Cela conférera à cette maison traditionnelle une allure de fausse vieille ou d’une mauvaise reproduction.
À notre avis, si l’arrière de la maison est raté; pourrait-on au moins conserver les dimensions des lucarnes anciennes à l’avant pour éviter une « bâtardisation » complète? Au GIRAM, on se demande également si le ministère de la Culture et des Communications a été consulté ou si le service du patrimoine de la MRC de Charlevoix a pu donner son avis. On peut comprendre que dans une petite municipalité les experts-tes en patrimoine bâti sont rares, mais dans le cas d’un bâtiment cité, soumis à la Loi sur le patrimoine culturel, le recours à des avis professionnels serait le minimum. C’est la seule maison classée ou citée à Clermont et vous avez accepté sa dénaturation. Vous aviez une occasion exceptionnelle d’exiger de la propriétaire —qui a eu cette la maison et son emplacement pour une bouchée de pain — qu’elle redonne au bâtiment une partie de son cachet extérieur d’antan, comme l’avait envisagé la Société historique de Charlevoix (voir croquis en annexe, photo 4).
En conclusion, le projet de sauvegarde de la maison Lapointe par la Société d’histoire de Charlevoix était un projet emballant; il est devenu une histoire qui risque de mal finir…
Gaston Cadrin, vice-président patrimoine et environnement (GIRAM)
Cc. M. Mathieu Lacombe, Ministre de la Culture et des Communications
M. Claude Rodrigue, direction générale du ministère de la Culture de la Capitale nationale et de Chaudière-Appalaches
M. Luc Cochon, maire de Clermont
Mme Odile Comeau, Préfète de la MRC de Charlevoix-Est
Annexe : Photos
1-Vue des travaux à l’arrière du 74, rue Lapointe, Clermont. On remarque les lucarnes disproportionnées, une fenêtre rapetissée et l’agrandissement à quatre fenêtres. (Photo : 14 février 2024)
2- L’arrière de la maison en mai 2021 (photo : Diane Jolicoeur, La Lucarne, 26 mai 2021)3- La maison en façade de la rue. Les lucarnes anciennes sont encore présentes. (Photo : 14 février 2024)
3- La maison en façade de la rue. Les lucarnes anciennes sont encore présentes. (Photo : 14 février 2024)
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4- Esquisse de la maison restaurée, selon la vision de la Société d’histoire de Charlevoix. (Dave Kidd, La maison Lapointe pourrait avoir ce look, Le Charlevoisien, le 12 juillet 2022
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5- La maison Lapointe vers 1960, avant sa modernisation des années 1980. (Photo : source inconnue)
6- Patri-Arch, Inventaire du patrimoine bâti de Clermont, février 2014, p. 14. https://www.ville.clermont.qc.ca/public_upload/files/rapport-synthese-clermont-140404-ecran.pdf?v=30790