La mairesse de Beloeil à la défense du patrimoine bâti 

Jean-François Nadeau

Le Devoir

26 août 2022

La municipalité de Beloeil entend procéder à la citation en bloc de 55 bâtiments patrimoniaux pour enrayer, sur son territoire, un vent de démolition du patrimoine bâti qui frappe toutes les régions du Québec.

Quelle municipalité québécoise décide, du jour au lendemain, de citer, en vertu de la loi, pas moins de 55 bâtiments patrimoniaux afin d’assurer leur protection en bloc ? « C’est audacieux, j’en conviens », affirme Nadine Viau, la vigoureuse mairesse de Beloeil. La municipalité de 25 000 habitants, située dans la vallée du Richelieu, entend en finir avec les démolitions intempestives qui ravagent le paysage québécois.

« On donne un grand coup parce que trop de citoyens ont accumulé des déceptions. Ces dernières années, les démolitions de bâtiments patrimoniaux se sont multipliées », se désole l’élue.

« Nous avons souvent laissé partir des bâtiments par méconnaissance. Mais aussi, trop souvent, parce que la législation était insuffisante. L’histoire et le patrimoine d’une municipalité, ce sont des générateurs d’appartenance, de cohésion. Il faut que, collectivement, nous le comprenions au plus vite. »

Maison ancestrale située au 200 boul St-Jean Baptiste à Beloeil.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Maison ancestrale située au 200 boul St-Jean Baptiste à Beloeil. 

Avant de se vouer à la conception de stratégies de développement économique pour une firme privée, Nadine Viau a travaillé pendant quelques années en urbanisme pour la municipalité qu’elle dirige aujourd’hui. Elle affirme avoir pris de l’intérieur la mesure du problème. « Je les voyais bien, tous les culs-de-sac politiques et réglementaires auxquels nous faisions face ! On se résignait à abandonner des bâtiments à la démolition alors que personne, pourtant, ne voulait les voir disparaître, sauf un promoteur ! »

La mairesse de Beloeil se souvient d’une démolition qui lui a fait mal au coeur. « Nous avions essayé d’empêcher cette démolition. Mais il y a des promoteurs qui connaissent le vieux truc de laisser de l’eau couler en plein hiver, comme une rivière… Après, on ne peut plus rien faire. Comment peut-on en arriver à faire ça ? »

« Je voyais que les élus ne voulaient pas être obligés d’accepter des projets de démolition, et pourtant, ils étaient forcés d’accepter. Là, la donne a changé. »

La beauté à proximité

Élue pour la première fois en novembre 2021, Nadine Viau déplore le manque de perspective à l’égard de nos propres milieux de vie — et de la valeur qu’on leur accorde.

« Nous faisons des milliers de kilomètres, comme touristes, pour aller voir le monde, ce qu’il a de beau. Mais chez nous, le beau, c’est souvent la première chose que nous effaçons, sous prétexte que ça coûte de l’argent pour le préserver ! Voyons, ça n’a pas de sens ! »

« Il faut, au contraire, maintenir une position forte. Oui, nous avons des choses à protéger et qui en valent la peine », clame-t-elle.

En a-t-elle contre le développement immobilier ? La mairesse n’est pas du tout opposée à l’idée de densifier les municipalités. « Densifier, ça ne veut pas dire obéir à n’importe quelle logique de promoteur. Nous avons des commerces de proximité, un coeur villageois, une histoire, des traces. Il faut savoir ramener du monde au coeur du village, mais en faisant attention à tout ce qui est fragile et précieux. »

Agir en bloc

La mairesse Viau dit répondre à une urgence. « Le message est très fort, le message est clair. C’est : “Réveillez-vous !” »

Partout, dit-elle, les promoteurs ont soif. « Ils veulent construire sur de grands terrains où souvent se trouvent des bâtiments patrimoniaux. Les demandes de démolition sont nombreuses. » Tout cela mérite d’être mieux encadré, en fixant des limites qui protègent le droit du public à la beauté de son milieu, dit-elle. « Nous entrons dans ce dossier avec un élan positif, avec un message qui donne un sens dans la durée à la ville. »

Le conseil municipal la suit volontiers sur cette voie, affirme-t-elle.

« On a entamé lundi le processus. Le projet de règlement est déposé. Beloeil est rendue là. Et ça représente la volonté de la population de défendre son coeur, ses commerces de proximité, ses bâtiments, ce qui fait sa beauté. »

Beloeil compte environ 25 000 habitants, et « nous n’avions aucun bâtiment cité ! Aucun ! » s’exclame l’élue. « On comprend qu’en citer un à la fois, ça ne changera rien. On ne peut pas protéger à la pièce, en espérant que tout ira bien. C’est un tout dont il faut s’occuper, qu’il faut protéger. Parce que c’est l’ensemble qui donne un sens à notre communauté, qui fait sa richesse. »

Protection et subventions

À son sens, « le patrimoine, ça peut être une source d’inspiration collective. Le patrimoine, c’est ce qui fait le cachet de nos villes, de nos villages. Beloeil est située sur la route du Richelieu. On a une histoire. Faut-il abandonner le beau en se racontant que ça coûte moins cher de démolir puis de construire du neuf ? C’est un mensonge. C’est avoir une courte vue. Je pense qu’il faut avoir plus de précautions à l’égard de notre environnement, de notre milieu. Le beau doit être défendu ».

La municipalité s’est basée sur un inventaire patrimonial réalisé par la MRC en 2015. « Tous les bâtiments à valeur forte, supérieure ou exceptionnelle vont être protégés, affirme la mairesse Viau. On les a regardés partir, un à un, depuis des années. Mais je pense qu’on a évolué. »

Une première étape a été franchie le 21 août dernier devant le conseil municipal. « Nous aurons des consultations publiques le 14 septembre pour répondre aux questions [des citoyens]. Tous les propriétaires ont été prévenus par une lettre. Jusqu’ici, le sentiment général est plutôt celui d’un soulagement. Tout le monde voudrait pouvoir préserver de beaux bâtiments. Avec la citation, cela va nous donner des moyens collectifs. »

Ces citations permettront d’ailleurs aux propriétaires des bâtiments patrimoniaux d’obtenir des subventions considérables pour leur mise en valeur. La mairesse prévoit que tout sera en vigueur d’ici octobre.

« Je ne sais pas si nous sommes les premiers à agir de la sorte, mais je serais très heureuse de faire école. Peut-être que nous sommes des précurseurs. En tout cas, les nouveaux conseils municipaux m’inspirent ; les préoccupations ont évolué. L’identité des municipalités est désormais un sujet de préoccupation. Le beau, on veut le garder ! »

Des avantages et des questions

À la suite de l’entrée en force de ces citations, les travaux de rénovation de l’enveloppe extérieure des bâtiments patrimoniaux de Beloeil pourront bénéficier de subventions du ministère québécois de la Culture et de la municipalité.

« En citant et en protégeant les bâtiments, on peut contribuer à améliorer leur condition et assurer leur préservation, explique la mairesse. Moi, je veux travailler dans la durée, pas pour que tout soit toujours à recommencer. »

Ne s’inquiète-t-elle pas du fait que les administrations qui succéderont à la sienne pourront balayer cette initiative sous le tapis ? Le cas de Stanstead, qui avait cité le plus vieux poste de douane au Canada pour le protéger, mais qui entend désormais le démolir, n’est-il pas un exemple de ce qui peut survenir ?

« Il y a un pouvoir de défaire ce qu’on fait. C’est vrai. Si le gouvernement nous encourage à citer des bâtiments pour les protéger et préserver l’allure de nos villes et villages, il ne faudrait pas que ce soit soumis à des décisions farfelues, pour tout changer ensuite. »

« Je dois dire que je n’avais pas pensé à cette éventualité… C’est malheureux de penser à ça. En fait, certains éléments, dans la loi, restent à clarifier… Nous avons de bonnes questions à poser au gouvernement ! Il faut aussi se donner les moyens de faire des suivis dans l’avenir sur ce qu’on tient à protéger, au bénéfice de tous les citoyens. »

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