Le pôle maritime de Sept-Îles

Le pôle maritime de Sept-Îles: solution à long terme et alternative logique à Beauport 2020 du port de Québec

Proposition du GIRAM au gouvernement du Québec dans le cadre de la consultation sur le projet Beauport 2020.

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Pierre-Paul sénéchal

«Beauport 2020» : une résistance insoupçonnée au départ mais tout à fait prévisible.

Après un essai infructueux au cours des années 2000, voilà que l’administration portuaire de Québec (APQ) tente à nouveau de faire accepter par les autorités fédérales son contesté projet d’agrandissement de 18 hectares essentiellement consacrés au transbordement de vrac liquides et solides. Au terme des récentes audiences de l’Agence canadienne de l’évaluation environnementale (ACEE),  il est assez évident que le port de Québec ne peut se réclamer d’une acceptabilité sociale pour son projet d’agrandissement. À l’instar de nombreux  groupes citoyens, les leaders politiques et économiques doivent  prendre conscience que l’entreposage massif, de même que la manutention d’hydrocarbures et de matières dangereuses font de moins en moins partie des activités portuaires des capitales et des villes anciennes.

1/ Le port, un atout économique pérenne mais qui doit changer.

Pour le GIRAM et l’ensemble des organismes actifs dans ce débat, l’existence du port de Québec ne saurait aucunement être remise en question. Il fait partie de l’identité de notre capitale et cela doit demeurer. Ce qui est questionné, c’est cette orientation non avenue d’en faire un important plaque tournante maritime pour le transbordement d’hydrocarbures et de marchandises dangereuses à grande proximité d’un milieu urbain, en façade d’une ville du Patrimoine mondial et identifiée comme « destination touristique internationale ». Toutes les villes anciennes ont été construites en littoral fluvial ou maritime. Les ports de Marseille, de Lisbonne, Porto ou Barcelone tirent leur origine de l’époque gréco-romaine. Pourtant, en 2017, aucune de ces infrastructures portuaires n’a conservé en façade urbaine des activités de manutention lourde de produits toxiques, explosifs ou polluants. Un peu partout, au cours de dernières décennies, les villes ont dû se contraindre à d’importants travaux de reconversion et de relocalisation territoriale. Des décisions courageuses et rentables à terme. À Marseille par exemple, le transbordement des hydrocarbures se fait maintenant à 60 km du site urbain, lequel est  reconverti en terminal de croisières maritimes et de produits alimentaires.

2/ Le transport maritime, un univers en mutation

Pour vendre son projet l’APQ n’a de cesse d’affirmer que le port de Québec est le dernier lieu en eau profonde pour assurer la desserte maritime de l’intérieur du continent. Fort bien. Mais elle omet d’ajouter « pour le moment ». Qu’en sera-t-il dans un avenir probablement  plus rapproché qu’on veut bien l’admettre? Là est la véritable question à soulever. Avant de se lancer dans un projet d’infrastructure d’un demi-milliard$, il faut avoir procédé à un élémentaire exercice de prospective.Depuis les 10 dernières années, la taille moyenne des navires arrivant à Québec ne cesse d’augmenter, selon une étude de monsieur Alain Richard d’Innovation maritime (données de 2013). Les navires qui passent devant Québec mesurent en moyenne 182 mètres de long, soit 6 mètres de plus qu’en 2004. Ils ont également pris 1 mètre de largeur supplémentaire.  Une largeur de 24 m au total représente le  maximum requis pour franchir la voie maritime du Saint-Laurent). (Des navires de plus en plus gros sur le fleuve | Jean-François Cliche. Le Soleil, 28 mai 2015).

Depuis 2013, les règles ont été changées, de plus gros navires sont maintenant  autorisés à remonter vers Montréal  «  tankers » Panamax d’une longueur de 228-294 m, et d’une largeur de 34 m). Toutefois, des navires qu’on ne peut remplir ces navires qu’aux trois-quarts en raison des hauts fonds. Des navires qui en plus, ne peuvent se croiser en raison des limites du chenal, ceci en évocation d’un scénario déjà évoqué de potentielle congestion. N’est-ce pas là le signe de problèmes potentiels à l’horizon?

Quant au transport intercontinental de longue distance, les nouveaux géants des mers sont déjà en augmentation. Ils représentent la nouvelle référence en matière de commerce international. Les grands chantiers maritimes sont remplis de commandes. Ces tankers, vraquiers ou porte-containeurs géants ont une longueur pouvant atteindre 400 m et une largeur de 70 m. (plus d’un demi-million de tonnes de port en lourd). Cette nouvelle génération de navires peut permettre à ses utilisateurs de réduire jusque la moitié de leurs coûts de transport, un enjeu clé dans le contexte économique actuel, et aussi une empreinte écologique moindre.

3/ Nécessité de réaménager le réseau desinstallations portuaires  pour faire face à la croissance.

Selon  le  Groupe IBI qui a réalisé «l’Étude sur le Corridor de Commerce Saint-Laurent—Grands-Lacs» ( 2008) , le réseau d’installations dédié à la manutention du vrac sur le Saint-Laurent n’est actuellement pas en mesure de faire face à une forte croissance de la demande. Même un port de première importance pour le vrac, comme celui de Québec, a tendance à desservir une clientèle rattachée à certains ports ou captifs de certains ports et il n’est pas en mesure de faire face à la croissance.  Le volume des marchandises demeure relativement petit. Il est convenu que pour faire  face à la croissance, il faudra construire de nouvelles installations ou réaménager leurs installations actuelles pour s’adapter notamment aux pointes de demande. (p23). Le rapport souligne toutefois que « la restriction du tirant d’eau en aval de Québec commence à la Traverse du Nord, où le tirant d’eau disponible à marée haute est de 15,6 mètres (51 pi), ce qui est « convenable » actuellement (2008) pour la plupart des navires entrant dans le système Saint-Laurent–Grands Lacs. Néanmoins, les auteurs de l’étude font remarquer qu’il pourrait y avoir transbordement de marchandises supplémentaires si les navires dont le tirant d’eau est d’environ 15,5 mètres pouvaient accéder au port de Québec sans restrictions dues aux marées ». Mais pour combien de temps encore?

Beauport 2020 a été conçu pour les pétroliers d’hier, non pour ceux de demain. Il est bien évident que ces navires géants nouvelle génération sont loin d’être assurés de pouvoir éventuellement franchir la Traverse du Nord (entre l’Ile-aux-Coudre et l’Île-d’Orléans) pour rejoindre Québec ou un port de desserte de la Voie maritime du Saint-Laurent.

Considérons de plus que l’aire portuaire de Québec est déjà fort restreinte.  Plus de 5000 navires y passent annuellement (sans compter tous les navires de moins de 100 passagers ou ne nécessitant pas l’assistance des pilotes du Saint-Laurent), traversiers de la STQ et autres. Il ne reste que très peu d’espace, pour donner un accès à l’eau à une agglomération qui franchit le cap des 770 000 habitants. De plus, selon la plupart des études consacrées au potentiel du corridor maritime du Saint-Laurent, les espaces de mouillage en eaux profondes manquent au port de Québec. Mis ensemble, tous ces facteurs ne militent absolument pas en faveur de l’hypothèse de faire du port de Québec un super port  dédié aux activités de transbordement d’hydrocarbures ou de vrac liquide ou solides. Pour le GIRAM,  il est temps que nos élus se rendent à l’évidence.

4/ Un projet concurrent risque de rendre Beauport 2020 obsolète avant terme.

Le gouvernement français planche sur très important projet qui, en raison de sa capacité de bouleverser l’actuel échiquier maritime du Saint-Laurent, pourrait faire de Beauport 2020 un projet obsolète avant qu’il ne rapporte.Ce projetimaginé en 2012 par le président de la Nord Atlantic Container Terminal (NACT) et qui a déjà traversé les étapes des études de faisabilité, se déclineainsi : la construction d’unhub portuaire, «une base portuaire avancée»  à Saint-Pierre et Miquelon, dans le but spécifique d’assurer la desserte des « installations portuaires canadiennes du fleuve Saint-Laurent (Québec, Montréal, Grands-Lacs) et aussi de la côte Est américaine »… Ses concepteurs l’affirment, « les grands porte-conteneurs ne pourront bientôt plus remonter le Saint-Laurent pour y décharger leur cargaison, mais pourront le faire  à Saint-Pierre et Miquelon ». La suite se ferait « au moyen de navires de cabotage à destination de ces ports intérieurs ». On parle même d’en faire « une base avant  des ports canadiens vers l’Arctique ». Un important  projet qui a pour horizon,  2020-2021. Et qui a été officialisé par le gouvernement français pas plus loin qu’en octobre 2016. («Un hub portuaire à Saint-Pierre et Miquelon, le Figaro 17 octobre 2016. Pressreader).

5/ La solution logique se trouve définitivement en aval de Québec.

Quand on œuvre dans le domaine des coûteuses infrastructures de transport, on ne peut procéder  à l’aveugle et sans analyse prospective globale et surtout, sans chiffres. Sinon, on recommence à tous les 10 ans. Cela vaut autant pour le port que pour le troisième lien. À Québec, plus de 80 % des marchandises en transit vers la zone des Grands Lacs sont transférées selon le mode « de bateau à bateau » et le phénomène sera croissant. Dans ce contexte de profonde mutation du monde de la navigation commerciale, et pour répondre au défi des prochaines décennies, le temps nous semble venu de penser à long terme « Un port à la bonne place et pour la bonne marchandise». L’impasse qui se dessine potentiellement à Québec et qui, de façon inéluctable, risque d’atteindre Montréal doit nous inciter à examiner toutes les avenues. Et il y a nécessité de faire une analyse réseau et non à la pièce.

À l’ère de la compétition mondiale, il n’y a pas de place pour la mentalité de village. Selon le GIRAM, on ne peut plus accepter que chacun des ports du Saint-Laurent en soit encore à planifier ses activités de façon indépendante, en compétition et sans égards aux enjeux nouveaux qui risquent, à terme, d’affecter leur devenir commun. 

6/  Sept-Îles comme grand port pivot pour assurer la jonction entre l’Atlantique et le Corridor maritime Saint-Laurent-Grands-Lacs.

Les solutions les plus évidentes ne sont pas toujours à inventer. Le port Sept-Îles  a déjà été identifié comme option «en aval de Québec» pour le transbordement de vrac dans l’«Étude sur le Corridor de commerce Saint-Laurent-Grands Lacs» (2008). Étude d’ailleurs financée en partie par Transports Québec.

Il suffit à quiconque de visionner en photos les emplacements de Sept-Îles et de la Baie de Beauport pour convaincre à l’évidence: créer à forts coûts une nouvelle aire portuaire pour accroitre les opérations de transbordement à Québec, alors que tout cet espace est déjà fonctionnel au port de Sept-Îles, relève d’un manque de vision globale.

Le 16 octobre 2013, il accueillait  son premier Chinamax, un vraquier de plus de 360 m  de longueur et 57 m de largeur, jaugeant 300 000 tonnes. Ce faisant, le port faisait la démonstration qu’il dispose d’atouts dont le port de Québec n’arrivera jamais à se doter. Sept-Îles dispose d’une large étendue naturelle en eau profonde (25 mètres sans aucune nécessité de dragage), des espaces de quais et d’entreposage déjà largement disponibles et facilement extensibles pour répondre aux exigences du futur, et cela, loin de toute zone urbaine. Cette infrastructure portuaire est définitivement la seule de tout le corridor Saint-Laurent-Grands lacs à pouvoir accueillir les plus gros navires sur le marché mondial du transport maritime et donc pouvant aspirer au titre de grand hub portuaire de l’Est du continent.

Autre retombée positive attendue de « l’option Sept-Îles » : le nouveau système de cabotage sur l’axe Sept-Iles-Montréal-Grand-lacs entraînerait une réduction significative des poussières dans le quartier central de Québec; il signifierait également moins d’engorgement pour le chemin de fer urbain de Québec. En effet, une partie importante des marchandises destinées au marché industriel des régions de Montréal et Toronto et autres villes de la région des GrandsLacs, se ferait sans l’escale de Québec au moyen de navires de cabotage aptes à emprunter la Voie maritime durant tous les mois où elle est en service.

Sur le plan de la navigation, elle bénéficie de surcroît d’un avantage concurrentiel important sur Saint-Pierre-et-Miquelon, en offrant, en provenance du continent,  le trajet le plus court pour rejoindre la côte-est, le Canal de Panama (Asie-Pacifique), l’Amérique du Sud et l’Afrique.

7/ Documenter une alternative logique, durable et surtout, visionnaire à Beauport 2020.

Depuis que ce projet Beauport 2020 a été annoncé par l’APQ en 2015, un trop grand nombre lui ont donné un appui et ce, en l’absence de toute analyse le moindrement documentée et sans considération aucune, de tout scénario alternatif pouvant offrir beaucoup plus au chapitre du développement régional et en termes d’impacts économiques globaux. Une telle démarche est absolument contraire à la pratique établie dans tous les ministères du gouvernement du Québec en matière d’énoncés politiques : avant que de financer un nouveau programme, tout scénario alternatif doit être scruté.

Ce projet Beauport 2020 interroge les bases mêmes de la Stratégie maritime du Québec, ainsi que le devenir du Corridor maritime Saint-Laurent-Grands Lacs. Enfin, il nous ramène à ce grand défi de développer dans l’est du Québec, un nouveau pôle d’activité économique. Dans ce contexte, le scénario Sept-Îles est une perche tendue aux élus à Québec. Ces derniers vont-ils la saisir?

Recommandation

Le GIRAM invite le gouvernement du Québec, à titre de premier gestionnaire de la Stratégie de la maritime, et de première autorité responsable des intérêts économiques de tout le Québec, à s’investir dans ce dossier Beauport 2020. Prenant une distance critique par rapport à ce contesté projet, il doit:

  • Créer un groupe d’experts indépendants chargé de mener pour une fois, un véritable exercice de prospective en vue de documenter les avantages d’un site plus structurant que Beauport 2020, et pour le réseau portuaire québécois et pour le corridor Saint-Laurent-Grands-Lacs, dans une optique de consolidation à long terme de la Stratégie maritime du Québec. Le scénario Sept-Îles comme future grande plaque tournante sur l’Atlantique doit être considéré de façon privilégiée, en symbiose avec deux ports de proximité, Baie Comeau et Port Cartier.
  • Faire valoir le poids politique et économique du Québec, en invitant le gouvernement fédéral à un moratoire concernant toute décision de financement du projet Beauport 2020 par Infrastructure Canada, le temps que le gouvernement du Québec  fasse état de sa propre vision des choses.

Ce grand fleuve n’appartient ni aux PDG de ports fédéraux, ni aux armateurs, ni à Transport Canada, il est le fondement du Québec. C’est le devoir de notre gouvernement de voir à ce qu’il soit géré en fonction des meilleurs intérêts de l’ensemble. Son importance, autant historique, géographique qu’économique mérite un développement appuyé sur une vision d’avenir.

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