Code de procédure civile et les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique

Être victime d’une poursuite stratégique et se voir arbitrairement confiné au mutisme pour un motif aussi loufoque qu’on ne doit plus « faire des commentaires » sur les conditions de la navigation commerciale sur le Saint-Laurent.(SLAPP).

Mémoire présenté à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec sur la réforme du Code de procédure civile et les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique.

Rédaction : Pierre-Paul Sénéchal, pour le GIRAM

31 janvier 2008

Introduction

La définition du «SLAPP» telle que généralement acceptée dans la littérature correspond en tous points à ce dont a été victime le GIRAM le 3 novembre 2006 : une poursuite ou action en justice visant à entraver la participation politique ou sociale et le militantisme d’un organisme.

Organisme sans but lucratif, fonctionnant généralement avec les seules cotisations de ses membres et grâce à des activités bénéfices, donc avec de très faibles moyens financiers, le GIRAM est principalement engagé dans les causes environnementales, patrimoniales ou reliées à l’aménagement urbain et rural. Fondé en 1982, l’organisme a réalisé un grand nombres d’études techniques, il a  même collaboré avec le milieu municipal ( création du Parc de la Martinière à Lévis. À l’occasion, avec le milieu de l’industrie ( participation de son président au sein du comité sécurité d’ Ultramar, participation au soutien de la relance  du Chantier Davie).         

Il n’est donc pas étonnant qu’au début de l’année 2004, le GIRAM, ait été le premier organisme du milieu régional (Québec et Chaudière-Appalaches) à questionner dans ses fondements le projet de terminal méthanier que le consortium Rabaska voulait implanter à Beaumont ( puis ultérieurement à Lévis en 2005, après que la population de Beaumont l’eût rejeté à 72% par référendum. Grâce aux connaissances et à l’expertise sur les question de GNL, développées principalement en 2005, à la suite d’une mission d’étude des ports méthaniers de Gaz de France en territoire français, l’organisme a acquis une certaine crédibilité dans l’opinion publique autant régionale que nationale, en rapport avec ce dossier. L’organisme a régulièrement contesté publiquement les prétentions du promoteur en rapport avec les questions de sécurité des populations, d’environnement et aussi, avec les contraintes que peut imposer un terminal de GNL sur le transport des marchandises et des personnes.

Le 3 novembre 2006, soit à peine quatre semaines avant le début des audiences publiques de la Commission conjointe ( BAPE / ACÉE) chargée de l’étude du projet Rabaska, le GIRAM  est victime d’une requête en injonction interlocutoire initiée par l’Administration portuaire de Québec, en rapport avec la zone fluviale dans laquelle est anticipée la construction du terminal méthanier Rabaska et qui est empruntée par les paquebots de croisières maritimes. Cette intervention extraordinaire du Port de Québec semble avoir été initiée et menée sous la seule initiative du pdg, donc sans avoir été préalablement soumise au conseil d’administration.

Comment le GIRAM a-t-il été ainsi ciblé par le Port de Québec (lequel par l’entremise de son pdg, M. M.Ross Gaudreault s’affiche comme partenaire du projet, prêtant même son nom et celui du port de Québec un document promotionnel)? De façon purement arbitraire, selon les témoignages entendus en Cour supérieure. En l’occurrence,  tout simplement en raison du fait que le nom du GIRAM apparaissait sur le site d’information de LACPM, autre association engagée dans le débat contre l’implantation du terminal .

1/ Rappel de la cause inscrite en Cour supérieure par l’Administration portuaire de Québec contre le GIRAM.

Une action démesurée eu égard au caractère anodin des  faits mis en cause.

Outre le GIRAM, la requête  en injonction interlocutoire du 3 novembre 2006, vise conjointement :  M.Patrick Plante de l’association de l’Île d’Orléans contre le port méthanier(ACPM), le «défendeur»,  les Amis de la Terre, ainsi que M.Yves St-Laurent représentant la Coalition Rabat-joie, autre association créée pour combattre le projet de port méthanier.

Il faut rappeler ici, le caractère assez exceptionnel de l’action du Port de Québec. La requête en injonction interlocutoire est couplée d’une requête introductive d’instance en injonction permanente. Rien de moins. L’objet en litige est mineur : une demande d’information adressée à une compagnie de croisières maritimes par M.Patrick Plante de l’ACPM. En l’occurrence M.Plante voulait savoir si l’administration de la  dite compagnie était au courant que ses navires de passagers allaient être contraints de naviguer à proximité d’un terminal méthanier et de naviguer dans l’environnement immédiat de méthaniers dans le corridor sud de l’Île d’Orléans, là où l’espace en eau profonde ( 15 mètre et plus) est à maint endroits à mois de 800 et même de 600 mètres de largeur seulement. (Au terme de sa mission d’étude de 2005 au port de Marseille-Fos, le rapport  GIRAM avait en effet indiqué que les couloirs de navigation des méthaniers et ceux des paquebots de croisières sont des couloirs de navigation séparés (quelque 50 kilomètres), car on ne mélange pas personnes et matières explosives sur un même trajet.

Le GIRAM n’était absolument pas au courant à ce moment de l’initiative, par ailleurs fort anodine, de M.Plante. Le GIRAM n’avait jamais communiqué avec quelque entreprise de croisières maritimes et aucun  de ses membres ne semblait connaître M. Plante. Pourquoi alors le GIRAM été mis en cause par le port de Québec dans cette requête en injonction interlocutoire?

En l’espace de quelques heures,  un  débat public relié à l’implantation d’une zone portuaire sur le Saint-Laurent en face de Lévis/île d’Orléans est soudainement transformé  en litige de nature strictement privée.

En déposant sa requête en injonction, l’Administration du port de Québec s’est trouvée à s’approprier l’exclusivité du contenu du discours public en ce qui concerne la question centrale de la compatibilité de l’industrie du transbordement du GNL avec celle des croisières maritimes, dans ce lieu précis que constitue le site de Lévis-Ville-Guay.

Dans la requête du port de Québec, il est demandé que le GIRAM, à titre d’organisme mis en cause, ne puisse plus communiquer «directement ou indirectement» avec des entreprises de croisières et,  ici on pousse très loin, on demande qu’il s’abstienne de faire des commentaires publics relativement aux éléments suivants :

  • l’impact négatif du projet Rabaska sur I’industrie des croisières en
  • général;
  • le support des autorités régionales et de la population de la région de Québec concernant le projet Rabaska;
  • le temps d’attente des navires de croisière;
  • la possibilité pour les navires de croisières de ne pas pouvoir accostera ux heures prévues;
  • les mesures de sécurité mises en place par Rabaska sur I’impact des activités de croisière;
  • la zone de séparation de trafic et la zone d’exclusion quant à leur impact sur I’activité des navires de croisières.

Toutes des questions d’intérêt public.

Les poursuites stratégiques, plusieurs l’on souligné, sont la résultante de nos nouvelles formes de gouvernance. L’état se désengage complètement des obligations qui sont les siennes en matière d’analyse d’impact pour les infrastructures de ce genre, laissant au promoteur toute latitude pour produire les données qu’il veut bien produire. Et ce sont ces données qui font loi. Même un organisme public comme le BAPE , chargé de donner avis au gouvernement  a refusé de faire appel à des experts indépendants pour valider les prétention du consortium Rabaska. C’est précisément ce désengagement de l’État qui amène des organismes comme le GIRAM et autres ONG à réaliser eux-mêmes des analyses, états de situations, prenant ainsi la relève de l’État en matière de défense des droits des citoyens et des intérêts du public.

En ce qui concerne la question de l’avenir de l’industrie des croisières maritimes à Québec dans un espace qui pourrait être bientôt investi par un terminal méthanier,  ni le port de Québec, ni le promoteur, ni l’Office du tourisme de la Capitale, ni le ministère du Tourisme, ni Transports-Canada, n’avaient, en date de novembre 2006, jugé utile de s’enquérir de la réaction des lignes de croisière maritimes quant aux impacts qu’une telle infrastructure portuaire à haut risque pourrait éventuellement entraîner.

2/ Une requête de nature exceptionnelle parce qu’initiée non par une entreprise privée mais par une société publique mandataire du gouvernement.

À notre connaissance, c’est la première fois qu’une société publique mandataire du gouvernement s’engageait dans une poursuite aussi promptement et aussi brutalement contre des organismes de citoyens et ce, en contravention assez évidente avec les dispositions de la Charte des droits et des libertés,  au chapitre de la liberté d’expression. 

Une telle initiative est en effet éloignée de nos mœurs politiques. Peut-on imaginer la Société Hydro-Québec initier une requête en injonction interlocutoire permanente contre les groupe opposés à la construction de la ligne Hertel-les-Cantons, sous prétexte que leur discours peut mettre la sécurité énergétique du Québec en danger? Face à un tel égarement, un débat s’en serait aussitôt suivi à l’Assemblée nationale du Québec. Aussi, le silence des députés à Ottawa, tout autant que celui du ministre responsable du port de Québec, le ministre fédéral des Transports, doit-il lui aussi être questionné.

Nous sommes également d’avis que l’administrateur général du port de Québec n’a pas agi dans le sens de la principale ligne directrice du Code d’éthique de l’administration générale de la Fonction publique de Canada, particulièrement, l’obligation «d’agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public».

3/ La liberté d’expression et la liberté de participer aux affaires publiques

Au terme d’un procès qui, finalement a été relativement peu médiatisé dans la région de Québec, le port de Québec, qui jouit traditionnellement d’une crédibilité certaine dans son milieu, a été totalement débouté.

Dans son analyse, le juge Caron rappelle un principe de droit déjà connu : «La liberté de discussion est essentielle, dans un État démocratique, pour éclairer l’opinion publique; on ne peut la restreindre sans toucher au droit du peuple d’être informé, en ce qui concerne des matières d’intérêt public, grâce à des sources indépendantes du gouvernement».

Mentionnant que cette liberté de parole, «n’est pas absolue», il rappellera toutefois que «le projet de port méthanier dans la région de Québec fait l’objet d’un débat public, lequel sera bientôt porté devant le bureau des audiences publiques en environnement. Les arguments, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont du domaine public», conclut-il.

4/ Conséquence immédiate du jugement et préjudices subis par le GIRAM

Quelle conséquence apparaît comme la plus manifeste au terme de ce malheureux épisode judiciaire? La crainte. La crainte certaine chez les militants d’aborder dorénavant tel ou tel sujet relié au projet Rabaska, soit dans un écrit, soit au cours d’une entrevue, d’intervention publique. Les intervenants aux audiences du Bape qui débutaient le 4 décembre 2006, soit quatre semaines plus tard, se sont mis à s’imaginer que leur intervention pourrait éventuellement être utilisée contre eux.  Dès le début des audiences, à la suite de requêtes faites par des citoyens, les commissaires ont dû procéder aux vérifications de natures juridiques afin de donner aux participants l’assurance qu’ils pourraient traiter sans contrainte, des questions de navigation et de sécurité maritime.

Quant aux préjudices plus factuels subits par le GIRAM, de même que par les trois autres parties mises en cause.

Il y a d’abord les coûts d’avocats. Une somme de plusieurs milliers de dollars qu’on avaient pas. Ce qui n’est pas rien pour des organisme qui ne vivent que grâce aux contributions de leur membres. Au début de l’année 2008, le règlement de la facture n’est pas encore complété.

Autre préjudice, la réputation de l’organisme. Très peu de publicité a été faite du jugement Caron. Le pdg du port aurait normalement dû être honni publiquement. Au contraire, les média lui ont offert une tribune qu’il a utilisée dire qu’il avait sauvé l’industrie des croisières maritimes. En ce qui concerne le GIRAM, il y a eu effet contraire. On dirait même que cette malencontreuse épisode judiciaire, a accentué l’image «d’empêcheurs de développement économique» qu’un certain milieu des affaires tentait de coller au GIRAM. »

Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose»

Autre préjudice co-latéral, le 4 mai 2007, le GIRAM se voyait avisé par sa compagnie d’assurance que dorénavant, il n’était plus couvert par la clause relative au préjudice personnel imputable à la publicité ou résultant de «paroles ou d’écrits mensongers». Pourtant la Cour l’avait blanchi de toute accusation et de tout soupçon. Le nuage de suspicion avait fait son chemin jusqu’à la compagnie d’assurance.

Le GIRAM, tout comme les quatre autres organismes ou individus mis en cause injustement par l’administration du Port de Québec aurait été légitimé et en bonne posture pour poursuivre à son tour le Port de Québec, considérant l’extrême faiblesse de la preuve et le jugement sans équivoque du juge Caron. S,il s’en est abstenu, c’est uniquement parce qu’il n’a pas la capacité financière de soutenir, même temporairement les coûts juridique de telle procédure (qui ont toujours longues et coûteuses).

4/ De l’intrumentalisation du juridique au profit des intérêts corporatifs ou politiques.

Le GIRAM souscrit entièrement à la définition d’un SLAPP telle que présentée dans le Rapport transmis au ministre de la Justice du Québec par le Comité Macdonald, intitulé «Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ( Rapport. Les poursuites bâillon. Montréal, 15 mars 2007).

Le Comité constate que «sur le strict plan des ressources financières, il est patent que la grande majorité des groupes non gouvernementaux ont accès à des moyens beaucoup moins considérables que la majorité des entreprises dont ils contestent l’activité ( p. 7).

En contrepartie, affirme le rapport,  les nouvelles pratiques de consultation et de participation publique donnent une « visibilité » nouvelle et une plus grande légitimité à de nombreux groupes dont l’influence serait autrement moins importante. Le capital de sympathie sur lequel plusieurs de ces groupes peuvent compter dans l’opinion publique constitue souvent une ressource politique suffisante pour contrebalancer, en partie du moins, le pouvoir économique des acteurs issus du secteur privé. Inutile de dire qu’à la lumière de l’expérience qu’il a vécu en 2006, le GIRAM ne souscrit pas à une telle vision des choses. Un mouvement d’opinion a en effet été lancé à la grandeur du Québec à l’effet que le développement économique est dorénavant hypothéqué par l’action des groupes environnementaux, lesquelles auraient pour effet de freiner la croissance et le développement économique. Cette thèse est largement soutenue par les groupes d’affaires et savamment relyaée par les grand médias nationaux qui sont eux aussi de grands groupes d’affaires. Nous n’avons pas observé ici comme ce fût le cas britannique cité (p. 7) ce « curieux retour des choses, qui redonnerait justement à la partie fragilisée une légitimité politique plus forte» à la suite d’une instrumentalisation du judiciaire par une corporation. En tout cas, ce n’est pas ce qui a été observé dans le cas de la requête en injonction du Port de Québec.

5/ conclusion et recommandation

Le GIRAM souscrit entièrement aux moyens que le Comité Macdonald propose de mettre de l’avant pour déterminer un modus vivendi démocratique dans ce nouvel univers des SLAPP, soit :

  • l’établissement d’un fondement normatif (d’une définition et d’une qualification) susceptible de faciliter l’évaluation d’une poursuite entreprise pour des raisons stratégiques;
  • la définition d’une procédure accélérée qui ne soit pas administrée au détriment des droits d’une partie de faire valoir son point de vue;
  • la reconnaissance de l’initiative du juge d’intervenir de façon plus directive pour contrer les procédures visant un détournement de l’activité judiciaire;
  • l’attribution de ressources financières ou professionnelles concrètes destinées aux victimes de SLAPP, et susceptibles de faciliter la préparation d’une défense;
  • l’imposition de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires susceptibles de limiter la tentation de recourir à répétition aux poursuites-bâillons.

Tous ces principes nous apparaissent éminemment importants pour un organisme comme le nôtre, particulièrement ceux qui se rapportent aux ressource financières et aux dommages-intérêts. Nous ne détenons toutefois pas l’expertise juridique suffisante pour recommander au gouvernement du Québec l’une ou l’autre des trois option ou stratégies stratégiques possibles, soit :

  • l’établissement d’un texte législatif spécifique au SLAPP;
  • une modification du Code de procédure civile;
  • l’adoption d’une loi anti-SLAPP nommément établie.

Nous faisons confiance aux experts juristes pour trouver les outils les plus appropriés et compatibles avec le droit québécois.

Le GIRAM note toutefois que la question des poursuite abusives intentées par des sociétés publiques n’a pas fait l’objet d’une attention spécifique de la part du Rapport Macdonald. Celle qui a justement confrontée notre organisme au cours de l’année 2006.

Tout en souhaitant que les moyens mis de l’avant dans le Rapport Macdonald s’appliquent intégralement à ces derniers. Le GIRAM recommande au gouvernement du Québec (peut-être via la Loi du Conseil exécutif) d’établir une règle claire à l’effet qu’aucun organisme publics, sociétés d’État , organisme mandataire du gouvernement, établissement, ne puisse engager quelque poursuite stratégique ou action juridique s’y assimilant, contre un organisme social, environnement ou politique.  Dans un cas exceptionnel où une intervention juridique devrait être engager d’urgence pour assurer l’ordre public ou la sauvegarde du bien commun, aucune intervention de ce type ne devrait pouvoir être entreprise, sans que le conseil d’administration du dit organisme n’en ait été saisi et qu’un avis n’ait été transmis au ministre responsable.

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