Rabaska, un terminal méthanier sur un site inapproprié

MÉMOIRE du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) sur le projet de terminal de gaz naturel liquéfié (Rabaska) dans le secteur Lévis-Beaumont-Île d’Orléans présenté à la commission du bureau d’audiences publiques sur l’environnement

Ce mémoire a été entériné par le CA du GIRAM, le 23 janvier 2007

PRÉSENTATION DU GIRAM

Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) est un organisme sans but lucratif, créé en 1983, au Cégep de Lévis-Lauzon

Il s’est donné comme mission de diffuser des valeurs de qualité de vie, de conservation du patrimoine, de protection de l’environnement et des paysages ; bref, de proposer des aménagements harmonieux dans notre milieu de vie régional qui s’inspire du concept de développement durable.

• A initié des actions de protection et de sensibilisation à la sauvegarde du Saint-Laurent, à la mise en valeur de ses rives par l’aménagement de parcs publics riverains (exemple : Le Parc régional de La Martinière), ainsi que de sauvegarde du patrimoine et des quartiers anciens (demande de création d’un « Arrondissement historique national » dans le secteur traditionnel de la côte lévisienne

Les fondements de ses actions communautaires sont basés sur une volonté d’implication sociale et le bénévolat de ses membres. L’organisme compte actuellement une centaine de membres et beaucoup de sympathisants (des gens partageant nos valeurs et encourageant nos interventions).

RABASKA : Un terminal méthanier sur un site inapproprié, planifié avec des mesures de sécurité pour la population et la navigation de bas standards

Rabaska TABLE DES MATIÈRES

PRINCIPAUX POINTS À RETENIR

CHAPITRE 1 :TERMINAL DE GNL ET RISQUES ASSOCIÉS
De par la nature même du GNL (substance explosive et inflammable) et comme le risque nul n’existe pas, il s’avère primordial d’établir un terminal méthanier le plus loin possible des zones résidentielles. il s’agit là d’une question de gros bon sens et d’une application judicieuse du principe de précaution qui doit prévaloir tant en matière de gestion des risques ou de développement durable. Ce principe est appliqué partout en Europe pour l’établissement des entreprises classées SEVESO, notamment par des mesures de maîtrise de l’urbanisation autour de ces établissements à risque.
Il serait inadmissible qu’au Québec, en 2007, on accepte qu’une 60 de familles vivent dans un rayon d’un kilomètre et plus de 130 dans un rayon de 1,5 km d’un méthanier ou des réservoirs remplis entre 320 000 et 376 000 m3de gaz de Rabaska, soit entre 192 millions et 225 millions de mètres cubes de gaz de consommation

CHAPITRE 2: RABASKA, UN SITE IMPERTINENT ET IRRATIONNEL
Les modalités de sélection du site d’implantation du terminal GNL Rabaska paraissent nébuleuses et peu crédibles, entre autres, en ce qui concerne le rejet de Gros-Cacouna. Le choix de Beaumont-Lévis semble reposer à prime abord sur des facteurs économiques (raccordement du gazoduc moins coûteux) et techniques, mais l’avance prise par Énergie Cacouna pour réserver un espace pour son projet dans le Port de Gros-Cacouna semble avoir été déterminante.
Des trois sites faisant l’objet d’un projet de terminal méthanier, celui de Rabaska est le moins apte sur les plans de l’aménagement du territoire, de la navigation, de la sécurité des populations et de l’acceptabilité sociale.

CHAPITRE 3:UN ENVIRONNEMENT NATUREL, CULTUREL ET PAYSAGER INCOMPATIBLE
La capitale nationale du Québec est réputée pour la beauté de ses paysages naturels et l’intérêt de son patrimoine historique. Porter atteinte à ces ressources par de mauvais aménagements (exemple, un Rabaska dans le décor de l’île d’Orléans), c’est amoindrir notre environnement culturel et, du même coup, le produit touristique de calibre international que constitue notre destination.
L’étude d’impact du promoteur ne tient pas compte de cela, elle cherche plutôt à déprécier l’environnement visuel sous prétexte de la présence actuelle des lignes de transport d’électricité. Rabaska aurait dû savoir que ses installations n’ont aucune capacité d’insertion dans une enveloppe fluviale exceptionnelle sur le plan paysager et témoignant des premières implantations humaines en Amérique.

CHAPITRE 4: UN ENVIRONNEMENT HUMAIN NON RÉCEPTIF
Les résidants de première ligne doivent avoir une acceptation élevée du projet, car c’est leur cadre de vie qui sera affecté. Dans le cas présent, Rabaska a totalement ignoré les populations qui risquent de subir de lourds impacts (qualité de vie, sécurité, valeur de leurs biens). Ce n’est pas avec un programme de compensation invitant les résidants dans un rayon de 1,5 km à une relocalisation ou au déracinement qu’il suscitera leur adhésion.

CHAPITRE 5 : PROBLÉMATIQUES DE NAVIGATION ET DE SÉCURITÉ MARITIME
Déjà, le Saint-Laurent encoure d’énormes risques, notamment avec des pétroliers de plus en plus nombreux qui doivent franchir la Traverse du Nord seulement dans des conditions de marées hautes, en raison de la profondeur insuffisante de ce secteur. Pourquoi devrions-nous ajouter aux risques existants des navires apparentés transportant une substance inflammable et explosive? De plus, la présence de méthaniers jusqu’à Québec, une zone de trafic maritime importante, nécessitera l’application de mesures de sécurité contraignantes pour les autres transporteurs faisant l’aller-retour entre les 65 ports en amont. L’expert en transport fluvial sur le Saint-Laurent, Jean-Claude Lasserre, croit que ce serait catastrophique pour la navigation de croisière et le transport des marchandises sur le Saint-Laurent.

CHAPITRE 6 : UNE JUSTIFICATION ÉNERGÉTIQUE PEU CONVAINCANTE
L’acceptation probable du projet d’Énergie Cacouna et la disponibilité à long terme du gaz naturel de l’Ouest canadien suffiront amplement à la desserte du marché québécois au cours de la prochaine décennie. Advenant des besoins supplémentaires, un inversement du flux gazier dans le gazoduc Portland-Lachenaie (445 km) permettrait de s’approvisionner, selon les besoins, à même le GNL des multiples projets acceptés ou probables dans les Maritimes ou le Maine.
Dans un tel contexte, le terminal de GNL Rabaska devient alors superflu, à moins que les intérêts corporatifs passent avant les intérêts du Québec. Sachant que Gaz de France vise depuis longtemps l’accès au marché énergétique américain, sachant également que la fusion avec Suez, déjà bien implantée en Nouvelle-Angleterre, favorise cette exportation de gaz du nord vers le sud, la vigilance s’impose.

CHAPITRE 7 : BÉNÉFICES ÉCONOMIQUES/ PERTES ET IMPACTS
L’aveuglement face aux éventuelles entrées de taxes, a conduit la Ville de Lévis à se montrer favorable au terminal méthanier, sans même réaliser la moindre étude sur les avantages et les inconvénients de ce projet sur l’utilisation future du sol et les conséquences sur la population concernée.
Sur le plan régional, aucun organisme (CMQ, Office du tourisme et des Congrès, Commission de la capitale nationale) n’a évalué les impacts négatifs sur l’image régionale et le tourisme en particulier qu’un projet aussi mal intégré à l’environnement géographique, culturel et social de l’enveloppe fluviale à l’entrée de Québec, ville du Patrimoine mondial, pourrait avoir dans le futur.

CHAPITRE 8 : UN PROJET NON CONFORME AU DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le projet de terminal méthanier Rabaska ne répond pas aux exigences du développement durable qui se doit d’harmoniser ou d’unifier ses principales composantes environnementales, sociales et économiques.
Comme les aspects négatifs, sur les plans de l’aménagement rationnel du territoire, des impacts et risques pour les populations concernées et pour l’environnement en général, dépassent de beaucoup les avantages économiques liés à l’infrastructure projetée, Rabaska doit être considéré comme un projet non porteur pour la région et ses générations futures. En conséquence, il doit être refusé.

Introduction

C’est avec un grand étonnement que le GIRAM a appris à l’hiver 2004 que le distributeur de gaz naturel québécois, Gaz Métro, cherchait à se doter d’un terminal méthanier sur la rive droite à l’est de Québec, notamment à Lévis-Beaumont ou à Gros-Cacouna. Dès le 6 mars 2004, nous avons émis un communiqué démontrant l’improvisation qui prévalait, notamment dans la région de Québec, pour le choix d’un site de localisation d’une telle infrastructure. Nous écrivions alors ceci : « Voilà, qu’en 2004, se pointe un autre projet socialement et environnementalement inacceptable pour ce milieu riverain d’une grande intégrité naturelle et paysagère. De plus, cette éventuelle implantation méthanière dans un cadre historique et touristique de grande valeur a de quoi surprendre toute la population de la Rive-Sud et de l’île d’Orléans. Doit-on sacrifier nos plus beaux sites au profit d’une entreprise énergétique éprise de globalisation et de rentabilité ou encore, du port de Québec, plus soucieux de ses revenus que de la qualité de l’environnement? N’avons-nous pas suffisamment donné en développement industriel lourd en accueillant une industrie à forts impacts environnementaux comme Ultramar?».

Nous ajoutions que « Ce projet ne peut s’insérer dans cet environnement paysager, récréotouristique et culturel et de celui de l’île d’Orléans, reconnue arrondissement historique en vertu de la Loi des Biens culturels. De plus, sur le plan de l’occupation humaine, se pose toute la question de la sécurité. En effet, à une faible distance (entre 0,5 km et 5 kilomètres) de ce secteur, nous retrouvons des habitations rurales bien sûr, mais également des développements résidentiels, des écoles, des équipements d’hébergement touristique (gîtes, motels, campings, etc.). Or, il est connu de tous qu’une implantation de GNL n’est pas à l’abri de risques majeurs ».

Aujourd’hui, presque trois ans après cette première intervention, une étude exhaustive du dossier d’implantation de Rabaska, une mission en France qui nous a permis de rencontrer 21 intervenants de divers secteurs reliés aux terminaux méthaniers de Fos-sur-Mer et de Montoir-de-Bretagne, la consultation sur Internet de multiples projets de GNL dans le monde et la première partie des audiences du BAPE sur ce projet n’ont fait que renforcer notre position initiale. Dans ce mémoire, nous démontrerons que le terminal projeté par la société en commandite Rabaska dans le secteur Lévis-Beaumont-île d’Orléans doit être rejeté par la présente commission du BAPE.

Plusieurs intervenants régionaux ou locaux obnubilés par la valeur de l’investissement (650 millions au début à 840 millions aujourd’hui) ou par les 100 000 tonnes de béton prévues sont encore à l’ère du développement à tout prix et d’une croissance économique débridée. La grille d’analyse du GIRAM est toute autre, elle est basée sur une vision globale de l’aménagement du territoire régional et sur des paramètres de développement durable ce qui nous amène à conclure que cette implantation de terminal gazier s’avère inconvenable ou inappropriée notamment sur le plan de sa localisation.

Présenté par le promoteur comme voué aux intérêts du Québec (ce qui n’a pas été démontré de façon convaincante), ce projet vise plutôt l’enrichissement d’un consortium privé aux détriments des intérêts économiques régionaux, d’un aménagement harmonieux du territoire et d’un développement vraiment durable pour la région de la Capitale nationale. Il s’agit d’un dossier si important que les analyses à courte vue et le droit à l’erreur ne sont pas permis.

Le silence de nos élites politiques, de nos intellectuels à l’égard du projet est un signe très parlant que Rabaska, malgré les millions étalés sur la place publique, ne crée pas un consensus régional de la part des instances politiques et d’aménagement régional. Si ce projet était si souhaitable, si structurant, il n’aurait pas été seulement appuyé par les Chambres de commerce, « À bon port » et le port de Québec lequel est directement intéressé par les droits de port annuels. De plus, les politiciens des villes de Québec et de Lévis, les représentants de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ), la direction de la Commission de la Capitale nationale, les économistes et aménagistes de l’Université Laval auraient uni leur voix pour réclamer haut et fort sa réalisation. Au contraire, personne ne veut se prononcer, tous confient cette responsabilité énorme au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Nombre d’entre eux seront soulagés de se faire dire par la commission du BAPE que le projet est inacceptable. Espérons simplement que les membres de cette commission seront plus courageux qu’eux!

1- Aperçu d’un terminal de GNL et des risques inhérents à ce type d’infrastructures

Un terminal méthanier est une infrastructure qui transborde, entrepose et regazéifie du gaz naturel liquéfié (GNL). Il se compose d’un accès maritime (jetée ou quai) où accostent des méthaniers de diverses capacités (100 000 à 216 000 m3) et d’une partie terrestre où se localise les deux ou trois réservoirs (120 000 à 160 000 m3 chacun) et l’usine de regazéification. Sur un site typique, tel que proposé par Rabaska, qui accueille des navires de plus de 160 000 m3 et des capacités d’entreposage de 320 000 m3, cela représente un volume phénoménal de gaz naturel dans un espace géographique restreint. En considérant les volumes à l’intérieur du méthanier à quai et d’un réservoir de GNL rempli, dans le cas du projet Rabaska, cela représenterait un volume de gaz liquéfié oscillant entre 320 000 et 376 000 m3, soit un équivalent de gaz naturel prêt à consommer (volume x par 600) entre 192 millions et 225 millions de mètres cubes de gaz.

Cela représente, pour la sécurité des biens et des personnes et pour la sécurité publique d’une ville, de multiples sources d’inquiétude et un véritable défi advenant un accident catastrophique.

1.1- Caractérisation du GNL et des risques associés

Le GNL est une substance composée principalement de méthane qui prend une forme liquide lorsque refroidit à moins 160 degrés Celsius. Dans le cas d’une fuite, ce liquide transformé en vapeur au contact de l’air pourra s’enflammer ou se disperser dans l’atmosphère. La production de radiations thermiques ou l’inflammation du nuage gazeux, voilà deux situations qui mettraient tous services de protection publique sur le qui-vive, mais dans une situation de quasi impuissance

Environnement Canada dans son mémoire concernant le projet de terminal méthanier de Gros Cacouna en 1981, a bien décrit les risques associés au gaz naturel liquéfié. « Le GNL peut détruire tout tissu vivant avec lequel il fait contact. Le GNL, à l’état de vapeur, est asphyxiant. Lorsqu’il entre en contact avec l’eau, des explosions sans flamme peuvent en résulter. Le nuage de vapeur produit par le GNL est très inflammable et, lorsqu’une partie de ce nuage prend feu, le feu peut se propager alors sur toute l’étendue du nuage jusqu’à la source du gaz » (p. 273) … « Indépendamment du risque estimé, il est évident qu’un déversement de GNL est susceptible de toucher de nombreux individus et pourra être considéré comme une catastrophe » (p.274, BAPE, vol 2, 1981) .

Certes, il n’y a pas eu trop d’accidents importants dans la jeune histoire du GNL, mais l’accident de Skikda en Algérie en janvier 2004 et celui de Funhun en Chine en décembre 2006 fournissent un aperçu des conséquences potentielles d’un accident majeur lié à ce produit. L’accident à l’usine de liquéfaction de gaz naturel de Skikda a causé 27 décès et 74 blessés ainsi que des dommages de 800 millions de dollars à l’usine. « The fire and explosion caused material dommage outside the plan’s boundaries» . Selon le rapport de la compagnie propriétaire, Sonatrach, l’accident serait attribué à « a large amount of liquid gas escaped from a pipe and formed a cloud of highly flammable and explosion vapour that hovered over the facility. The cloud exploded after coming into contact with a flame source » . Pour le Dr James Fay, professeur émérite du Massachusetts Institute of Technology, le fait que l’incendie dura huit heures et que la fuite ne fut pas arrêtée dans les dix minutes comme le requiert la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) aux entreprises de GNL, cela démontre que les équipements de détection de gaz sont loin d’être infaillibles. Il ajoute : « I think this tells us that dealing with LNG is a tricky and dangerous business » .

À une échelle plus réduite, la fuite de GNL ou GPL (propane ou butane) à Fushun dans le nord-est de la Chine le 5 décembre 2006 donne, cette fois, un exemple de la formation d’un nuage gazeux et de ses conséquences éventuelles. Rappelons qu’une fuite de 100 tonnes de liquide réfrigéré stocké dans un réservoir sphérique a eu l’effet suivant : « The LNG combined with the air to form a 30,000 cubic meter cloud of poisonous white fumes shrouding the area » affirma Jiang Yonghe, directeur du service d’incendie de la ville. Le nuage s’étendit sur environ 6 kilomètres carrés et entraîna l’évacuation de centaines de résidants, travailleurs et étudiants. On ajoute que plus de 300 pompiers et policiers ont été requis pour cette opération.

Certes, il existe certaines similitudes entre une fuite de GPL et de GNL au niveau de la formation du nuage gazeux et de son étendue en fonction de la direction des vents, s’il n’y a pas d’inflammation. La seule différence est que le nuage GPL plus dense que l’air ambiant reste collé au sol, alors que le nuage de GNL quittera la surface du sol au début de sa vaporisation. Dès leur réchauffement, les vapeurs de GNL deviennent plus légères que l’air et le nuage se soulève. « Lorsque le GNL (méthane) se vaporise, son volume augmente d’abord de 250 fois et à mesure qu’il se réchauffe pour atteindre la température ambiante, il continue d’augmenter jusqu’à 600 fois son volume liquide » . Le principal danger associé à un nuage de GPL ou de GNL est le risque d’inflammation; sur ce plan, les limites supérieure et inférieure d’inflammabilité du GNL (proportion entre 5%-15% gaz-air) sont plus grandes que celles du propane (2,4% à 9,5%).

1.2- La sécurité des populations avoisinantes, un critère prioritaire de la localisation d’un terminal de GNL

Nulle part dans le monde, on localise aujourd’hui ce type d’infrastructures à proximité des secteurs résidentiels. Certes, il y eut jadis dans le passé des erreurs de localisation, comme le terminal d’Everett, face à Boston qui a été implanté en 1971. Mais la tendance récente ou actuelle est totalement à l’inverse, on cherche à implanter ces complexes gaziers dans des zones industrialo-portuaires éloignées des résidences, ou encore à plusieurs kilomètres des rives urbanisées, comme c’est le cas pour les projets « offshore ». Ici au Québec, avec la disponibilité d’espaces quasi vierges que nous avons dans l’axe du Saint-Laurent ou du Saguenay, la justification de mettre de telles installations à risques près des populations est complètement loufoque et irrationnelle.

1.2.1 L’exemple de la France

En terme de localisation d’un terminal méthanier, l’exemple de la France devrait servir de modèle, d’autant plus que l’actionnaire majoritaire du projet Rabaska est Gaz de France (GDF) avec ses 40% de participation. Nous nous attendons donc que GDF utilise les mêmes critères de localisation qu’en France. Dans ce pays, tous les terminaux méthaniers existants ou projetés se situent dans des zones industrialo-portuaires planifiées par l’État français dès les années 60 (Tableau 1). De plus, ce type d’industrie est considéré « installation classée SEVESO », seuil haut, c’est-à-dire parmi les entreprises présentant les plus grands risques technologiques. En conséquence, des zones de danger 1 et 2 sont déterminées en collaboration avec la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) du ministère de l’Écologie et du Développement durable. De plus, ces entreprises SEVESO font l’objet d’inspections annuelles par les fonctionnaires de ce Ministère et doivent refaire leur étude de danger à tous les cinq ans. Un renforcement de la gestion des risques industriels est survenu en France suite à l’accident de l’usine AZF à Toulouse en 2001. Le gouvernement français adopta en 2003, la « Loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels » dans laquelle il inséra de façon officielle le concept de maîtrise de l’urbanisation dans le voisinage d’industries présentant des dangers pour la sécurité des populations, notamment par la mise en œuvre des plans de préventions des risques technologiques (PPRT) et du « Guide méthodologique » élaboré pour l’application de ces plans.

Tableau 1 : Contexte d’implantation des terminaux méthaniers en France

Terminal existant Projeté Lieu Zonage et affectation Distance des habitations
Fos Tonkin (1976) Fos-sur-Mer en bordure de la Méditerranée Zone industrielle et portuaire de 5400 ha, soit 55% du territoire de la ville, est propriété du Port autonome de Marseille 7 km des quartiers résidentiels
Montoir-de-Bretagne (1980) Embouchure de la Loire à l’est de Saint-Nazaire Sur les 3960 ha de la Commune, une surface d’environ 1500 ha est zonée industriel lourd et portuaire. Propriété du Port autonome Nantes/St-Nazaire Environ 2 km des réservoirs de GDF
Fos Cavaou (décret en 2003) 2008 Fos-sur-Mer
Plage de Cavaou Ancien quai pétrolier, entouré d’une sidérurgie, d’une raffinerie, d’un terminal d’hydrocarbures, etc. Secteur propriété du Port autonome de Marseille Environ 3 km des premières résidences et 1300 mètres de la plage
Verdon X Verdon, 100 km de Bordeau, en bordure de l’Atlantique Zone portuaire existante, expansion du Port autonome de Bordeau Éloignée
Antifer X Près du Havre Grand port d’accueil de pétroliers. Approvisionnement d’importants oléoducs. Propriété du port autonome du Havre Éloignée

Comme nous le remarquons dans le tableau ci-dessus, l’application de cette notion en France est relativement aisée car les terminaux existants ou projetés se situent tous dans des zones industrialo-portuaires reconnues et à distance suffisante de zones habitées.

À Fos-sur-Mer, le terminal en construction dans la presqu’île de Cavaou (repère = petit réservoir blanc au bout de la plage) est situé à 3,2 km des premières résidences et dans une zone industrialo-portuaire où se localisent une aciérie, des raffineries et un terminal pétrolier (Photo : Gaston Cadrin, le 21 mai 2005).

Quel est le principe le plus important à respecter pour le choix d’un site pour un terminal méthanier? À cette question, l’ex-directeur du Port Nantes/Saint-Nazaire, monsieur André Graillot, répond que « c’est d’abord la distance séparatrice qui pourra être établie entre la substance GNL (transport, déchargement et entreposage) et les premières habitations humaines. Cette distance séparatrice ne peut, selon lui, être inférieure à 1.5 ou 2 kilomètres. Il s’agit d’un minimum » . Selon ce même expert des questions maritimes, le principal danger ou le maillon le plus faible du terminal, ce sont les bras de déchargement, ce lien entre le navire accosté et la ligne cryogénique. « Ce point de contact est toujours fragile. Le tout peut arracher très facilement sous l’effet de facteurs imprévus (conditions ou activités de navigation). C’est donc à ce niveau qu’un déversement accidentel peut se produire » .

Le double système de bras de déchargement et de conduites au quai de Montoir-de-Bretagne.

L’approbation des installations à risques technologiques importants est devenue de plus en plus sévère en France. Dans le cas d’installations nouvelles présentant des risques notables, l’autorisation d’exploiter peut être assortie de servitudes d’utilité publique. Les critères d’acceptation du nouveau projet à Fos Cavaou (Fos-sur-Mer) sont assez révélateurs des précautions qui entourent l’autorisation d’un lieu de transbordement de gaz naturel liquéfié. Selon le rapport de l’Ingénieur de l’Industrie et des Mines (dit Inspecteur des Installations Classées) , préparé en vue de l’arrêté préfectoral du terminal de GDF à Cavaou, les prescriptions établies (notamment les distances d’éloignement) visent une implantation respectueuse de la sécurité des personnes. Les conditions détaillées d’implantation se retrouvent en annexe 1, mais en voici les grandes lignes:

 La zone 1 comporte des distances d’éloignement de la canalisation aérienne (750 mm) ou de déchargement de 650 mètres pour le rayonnement thermique (5 kW sur 60 secondes) et de 750 mètres à 1005 mètres pour un éventuel nuage de gaz susceptible de s’enflammer.
 La zone 2 est définie par une distance d’éloignement de 830 mètres par rapport à la canalisation aérienne (750 mm) soit la distance correspondant à un rayonnement thermique de 3 kW sur 60 secondes. Cette zone n’a pas de vocation pour la construction ou pour des lieux recevant le public. De plus, aucune voie de circulation publique de plus de 2000 véhicules par jour ne doit y être aménagé.
 La zone 3 est définie par une distance d’éloignement de 1120 mètres par rapport à la canalisation aérienne (rayonnement thermique de 1,6 kW par 60 seconde). Cette zone est non propice à des rassemblements (stade, terrain de jeu ou théâtre) et les personnes doivent être pourvues de vêtements protecteurs pour franchir cette zone. Le plan particulier d’intervention (PPI) applicable à une zone industrielle à risques correspond à cette zone.

Selon la DRIRE PACA , comme le site de GDF est très vaste (80 ha) la zone 1 se trouve à l’intérieur du site du futur terminal et la zone 2 déborde d’environ 100 mètres la limite de propriété. Toutefois, en raison de la plage, fort fréquentée à proximité, les fonctionnaires ont exigé qu’on inclue dans l’arrêté préfectoral de décembre 2003, une zone de protection éloignée (ZPÉ) de 600 mètres à titre préventif .

Dans son témoignage, à l’audience du BAPE sur le projet d’Énergie Cacouna, le représentant-consultant Jacques Trollux, de la firme Sofres Gaz associée à la construction du terminal de Fos-Cavaou, a confirmé la zone d’éloignement ci-haut citée en ces termes : « En fait, le site de Fos-Cavaou est un site assez grand, il fait à peu près huit cents mètres (800 m) de large. Il est vrai qu’à partir de ce site de huit cents mètres (800 m) l’administration a demandé une zone de six mètres (600 m) qu’on appelle zone de protection éloignée. Et pratiquement, cela veut dire concrètement qu’à partir du milieu du site, on a donc huit cents mètres (800 m) plus quatre cents mètres (400 m) comme distance moyenne par rapport aux installations. Cette zone de protection éloignée n’est pas la zone de maîtrise d’urbanisation, c’est juste une zone dans laquelle l’administration se réserve le droit de, premièrement, regarder toute nouvelle implantation industrielle et deuxièmement, dans laquelle il est interdit en fait les rassemblements publics nombreux comme des stades » .

Contexte géographique de l’application de la zone de protection éloignée de 600 mètres sur la plage de Fos Cavaou. Les premières résidences se trouvent en fond de scène à 3,2 km

À Lévis-Beaumont, en considérant un seuil de rayonnement thermique de 3Kw/m2 (soit l’équivalent de la Zone 2 en France) plus de 60 familles et une école se trouveraient à une distance d’éloignement de moins 1 100 mètres du méthanier (voir tableau 2). Quant à la ligne cryogénique, qui devrait être distante en France de 830 mètres des résidences ou d’une route achalandée; ici dans ce rayon d’éloignement, on comptera 80 familles et une route nationale ayant un débit de 4000 à 6000 véhicules par jour!

Dans sa réponse à la Commission (QE-0047) sur le dépôt de l’arrêté préfectoral du 15 décembre 2003 concernant le projet à Fos Cavaou, Rabaska confirme que la distance d’exclusion qu’il évalue à 500 mètres de la jetée s’ajoute une zone de protection éloignée (ZPÉ) de 600 mètres, ce qui totalise une distance d’éloignement d’environ 1100 mètres de toute population. Le promoteur nous informe que la ZPÉ fait référence à la norme EN 1473 qui définit une zone critique ainsi : « Il s’agit d’une zone non protégée d’importance critique dans laquelle des personnes dépourvues de vêtements de protection sont susceptibles de pénétrer à tout moment même lors de situations d’urgences, soit d’un endroit difficile ou dangereux à évacuer dans un bref délai (par exemple stade, terrain de jeu, théâtre de plein air) » .

Pourtant cette zone correspond à un rayonnement de 1,6 kW par 60 secondes, que monsieur Kelly du consortium Rabaska associe à un réchauffement «pas mal équivalent au soleil sur une plage d’été » ; ce dernier reconnaît toutefois qu’en cas d’accident au quai (fuite avec perforation de 750 mm), ce rayonnement pourrait atteindre l’école Sainte Famille (100 élèves) et de nombreuses résidences situées dans le voisinage. Mais, si la fuite provenait d’une perforation de 1500 mm du méthanier?
Advenant la réalisation du projet Rabaska, est-ce que cela signifie que les promeneurs en bordure du fleuve, les kayakistes et même les résidants situés à moins de 1100 mètres devront porter en permanence des vêtements de protection???

Mais, il faut toujours se rappeler que le pire peut se produire… Par exemple, qu’une fuite de 1500 mm à un méthanier de 160 000 m3 provoquerait le même rayonnement de 1,6 kW à 1280 mètres pour un feu de nappe et à 2430 mètres pour un feu de nappe initiale . Ces valeurs augmenteraient légèrement pour un méthanier QFlex de 216 000 m3.

Enfin, si le promoteur trouve exagérer l’utilisation d’un seuil de rayonnement de 1,6 Kw/m2 , on peut se référer à ses données pour les seuils de 3 et 5 Kw/m2 de rayonnement, provoqués par une fuite de 750 mm ou de 1500 mm d’un méthanier de référence et QFlex. Dans ces cas, nous verrons que le nombre de résidences dans le rayon de danger de la nappe initiale (norme couramment utilisée aux Etats-Unis) pourrait atteindre jusqu’à plus de 250 résidences et une école de 100 élèves. Il est évident qu’en appliquant les critères d’implantation d’un terminal méthanier en Europe, le projet Rabaska ne serait jamais accepté!

Tableau 2: Résidences dans le rayon de danger d’un rayonnement thermique de 5 Kw/m2 ou 3 Kw/m2, d’une fuite en provenance d’un méthanier au quai, selon les scénarios conservateurs du promoteur

Type de méthanier Taille de la brèche Seuil thermique Nappe initiale Nappe à l’équilibre Limite d’inflammabilité Résidences concernées
(Nappe initiale)
Méthanier de 160 000 m3
750 mm 5 Kw/m2 870 m 450 m 1 000 m Env. 25
3 Kw/m2 1 075 m 570 m 1 000 m Env. 55 et une école
1 500 mm 5 Kw/m2 1 500 m 790 m 2 100 m Env. 90
1 500 mm 3 Kw/m2 1 865 m 970 m 2 100 Env. 200
Méthanier QFLEX
750 mm 5 Kw/m2 910 m 480 m 1 100 m Env 40
3 Kw/m2 1 130 m 600 1 100 m Env 60 et une école
1 500 mm 5 Kw/m2 1 570 m 820 m 2 200 m Env. 115 et une école
3 Kw/m2 1 940 m 1 020 m 2 200 m Env 250 et une école


1.2.2 Le concept de la maîtrise de l’urbanisation

Ce concept nous paraît d’une importance cruciale dans le processus d’implantation d’un terminal méthanier. Il s’applique en France aux industries existantes, mais de facto, il est pris en compte pour l’établissement d’une nouvelle industrie classée SEVESO. Il s’avère fort pertinent d’y référer avant d’analyser le projet Rabaska et son contexte d’implantation.

La première référence à cette notion provient de la Directive SEVESO II élaborée le 9 décembre 1996. Cette directive renforce les obligations de l’exploitant d’un établissement à risques, notamment par une meilleure gestion des dangers impliquant des substances dangereuses, des programmes d’inspection, les risques d’effet domino et incite les communes à appliquer des mesures de maîtrise de l’urbanisation. Concernant ce dernier aspect, sur le territoire de l’Union européenne, on précise que « les États membres doivent veiller à ce que leur politique d’affectation ou d’utilisation des sols tiennent compte de la nécessité, à long terme, de maintenir des distances appropriées entre les établissements Seveso et les zones d’habitation, immeubles et zones fréquentées par le public, voies de transport importantes (si possible), zones de loisirs et zones présentant un intérêt naturel particulier. Ils doivent également contrôler l’implantation des nouveaux établissements, des modifications des établissements existants et des nouveaux aménagements réalisés autour d’établissements existants (voies de communication, zones d’habitations…) susceptibles d’accroître le risque d’accident majeur ou d’en aggraver les conséquences » .

Quelques accidents technologiques du passé (Bhopal et Mexico en 1984, Toulouse en 2001) ont contribué à démontrer l’aggravation des conséquences lorsque ces sites dangereux étaient situés à proximité des populations. L’exemple de Toulouse a constitué un accélérateur de la mise en œuvre de la maîtrise de l’urbanisation comme une des solutions idéales pour une meilleure gestion des risques technologiques. Le rapport de recherche bibliographique de Daniel Maillard en 2002 démontre de façon éloquente l’évolution de la notion de maîtrise de l’urbanisation autour des sites industriels à haut risque. Certes, les lois antérieures cherchaient à réduire à la source les risques associés à divers types d’industries et à planifier les secours, mais on s’est aperçu que ces mesures pouvaient s’avérer insuffisantes à assurer la sécurité des populations avoisinantes dans les cas d’accidents majeurs. « Dans bien des cas, le délai nécessaire à la mise en œuvre des plans d’intervention extérieurs à l’entreprise et à l’arrivée des secours peut ne pas permettre de faire face à la rapidité de la cinétique des phénomènes qui caractérisent certains accidents majeurs (explosion, nuage toxique, …) ni à la gravité de leurs conséquences (nombre élevé de victimes, …) » .

La maîtrise de l’urbanisation devient alors un axe prioritaire dans l’arsenal des moyens de prévention à mettre en œuvre autour des industries existantes à haut risque. Le corollaire de cela, c’est qu’on ne doit pas favoriser l’implantation de nouvelles industries de ce type à proximité des populations. Comme le signalent si bien les auteurs Larrouy-Castera et Ourillac : « Le risque nul n’existant pas, maintenir l’éloignement entre les usines et les habitations permet, en cas d’accident majeur, de limiter et de gérer les conséquences sur les populations susceptibles d’être concernées » .

L’adoption de la Loi Bachelot ou Loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages le 31 juillet 2003, a eu pour effet de renforcer considérablement cette notion de maîtrise de l’urbanisation, afin d’éviter d’autres catastrophes industrielles comme celle de Toulouse. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui découlent de cette loi constituent justement le nouvel outil pour faciliter la maîtrise de l’urbanisation autour des sites à haut risque. Les PPRT sont également un outil réglementaire, qui détermine la délimitation du périmètre d’exposition potentielle aux risques technologiques. À l’intérieur de ce périmètre des mesures de préemption, de délaissement ou d’expropriation des secteurs habités peuvent être prises par la Commune ou les autorités publiques en vue de réduire les risques pour la sécurité des personnes.

Selon une brochure de la DRIRE des Bouches du Rhône publié en 2006, il est expliqué que le risque doit être pris en compte par l’urbanisme, notamment par « L’éloignement de la population par rapport aux sites SEVESO et la limitation de sa densité sont aujourd’hui des critères largement pris en compte, tant pour les autorisations d’exploitation de nouveaux sites, que pour la délivrance de permis de construire une habitation ou un établissement recevant du public » .

C’est à ce titre, qu’un décret (2005-1130) sur les plans de prévention des risques technologiques a institué la possibilité d’expropriation ou de délaissement d’habitations trop exposées au risque technologique. Au Québec, rien de cela; aucune zone tampon ne sépare les résidences des raffineries ou des lieux d’entreposage de produits pétroliers comme c’est le cas pour Ultramar ou Canterm. La vie et la santé d’un Québécois a-t-elle moins de valeur que celles d’un Européen? Et même si on appliquait ces mesures de prévention dans le cas de Rabaska, le problème du choix de site demeurerait entier.

1.2.3 Tendances récentes en Amérique du Nord

Les tendances actuelles de localisation des terminaux méthaniers en Amérique du Nord ne privilégient pas des sites à proximité de zones habitées. Les deux projets acceptés dans les provinces maritimes (Canaport à St-John au Nouveau-Brunswick ou Anadarco à Bear Head en Nouvelle-Écosse) se localiseront dans des zones industrielles lourdes et portuaires aménagées de longue date. Il en est ainsi pour la plupart des nouveaux projets états-uniens qui se localisent également sur des sites industriels reconvertis ou à une certaine distance des quartiers urbains à cause entre autre de la menace terroriste. Devant la faible acceptation sociale de ces projets de GNL, nombre de compagnies initiatrices de projet ont choisi d‘établir leur terminal loin des côtes ou des zones riveraines habitées, ce sont des projets offshore. Dans cette catégorie, deux filiales de Suez Energy ont reçu les autorisations de construire soit, Neptune au large de Boston et Calypso situé à 16 kilomètres de la côte sud-est de la Floride . Voici une brève description du projet Neptune :
« Le port de Neptune utilisera des méthaniers spécialement conçus pour stocker, transporter et vaporiser le GNL en gaz naturel, qui peut être envoyé aux consommateurs à l’aide du gazoduc sous-marin existant, HubLineSM. Les méthaniers mouilleront dans le port GNL offshore proposé, au moyen d’un système de déchargement composé de deux bouées submergées. En général, les méthaniers resteront amarrés pendant quatre à huit jours pour décharger leur cargaison de GNL, en fonction de la demande du marché. Les deux bouées séparées permettront de garantir la fourniture continue du gaz naturel en retenant simultanément, pendant un court laps de temps, les méthaniers entrant et sortant. Le coût du projet, en incluant les méthaniers spécialement conçus pour répondre aux normes environnementales strictes du Massachusetts, le système à bouées et la connexion au gazoduc HubLineSM, est estimé à environ 1 milliard d’USD » .

D’autres projets sont en cours d’étude par le Federal Energy Regulatory Commission (FERC) comme le projet Cabrillo Port localisé à 22 kilomètres de la côte ouest de Malibu en Californie. Malgré cette localisation excentrique des inquiétudes subsistent comme le démontre l’extrait de l’article suivant :
« A government re-examination of the liquefied natural gas terminal proposed for 13.8 miles off Malibu’s western
coast predicts BHP Billito’s Cabrillo Port « would result in both short- and long-terme adverse impacts » to the coast an dits residents that cannot posssibly be mitigated.
Increased smogs levels, the intrusion of a 14-story-high factory ship on Malibu’s coasta horizon, and the extremely remote possibility of a 14-mile-wide flash fire reaching to whithin seven miles of the city limits are among negative impacts that cannot corrected or avoided, identified in the report.
The revised environnemental impact report was prepared by independent engineers and analysts working for the state and federal governments » .

Avec le projet Freeport approuvé en janvier 2007, au moins trois projets « offshore » seraient déjà autorisés dans le golfe du Mexique. Un autre projet américain « offshore » à l’étude est le Port Long Island Sound’s, un projet « Floating Storage and Regasification Unit » de Broadwater Energy à laquelle est associée TransCanada Pipe Lines USA. Cette plate-forme de 370 mètres de long et de 60 mètres de large, qui pourrait accueillir des méthaniers de 125 000 à 250 000 m3, serait située approximativement au centre de la baie du Long Island à 8.9 milles de la rive nord du côté de l’État de New York et à 10.2 milles de la rive sud limitrophe à l’État du Connecticut. Malgré cette localisation, ce projet accepté par la Garde côtière ne fait pas l’unanimité dans les populations riveraines du pourtour de la baie.

Plusieurs projets situés sur les rives de l’Atlantique ou dans des estuaires de la Nouvelle-Angleterre ont été rejetés ou sont fortement contestés par la population ou par leurs représentants politiques (maires, sénateurs, gouverneurs). Parmi les projets rejetés par référendum, il y a eu celui de Harpswell dans le Maine en 2004. Parmi les contestés, celui de Fall River, situé sur un ancien terminal pétrolier, malgré son approbation par le FERC, continue de faire l’objet d’une vigoureuse opposition des autorités politiques car sa proximité des résidants va à l’encontre des tendances actuelles de localisation de ce type de complexe.

Un dernier exemple de contestation de site de GNL par l’autorité politique est l’exemple du projet Sparrow Point, au sud de Baltimore dans l’État du Maryland. Le 15 juin, 2006, la sénatrice Barbara A. Mikulski s’inquiète de la sécurité des populations avoisinantes du projet et du gazoduc et des impacts sur la navigation en ces termes :
« I am deeply concerned for the safety of communities surrounding the site as well as for all areas through which the pipeline alignment is proposed. The neighborhood of Turner Station in less than two miles away from the proposed site, with major populations just beyond in Dundalk and throughout Southeastern Baltimore City and County.
The site is at the mouth of our Baltimore Harbor and one of the national’s largest seaports. Tankers would travel under the Bay Bridge, the major connector between Maryland’s western and eastern shores and trough heavily used commercial fishing and recreational boating areas » .
Le président du Conseil d’agglomération se prépare à bannir par résolution tout projet du genre du grand Baltimore . « County Council Chairman John A.Olszewski Sr. has proposed what could effectively be a countywide ban – limiting natural gaz facilities to industrial sites at least five miles away from homes » .

À Beaumont-Lévis où le site choisi pour un projet de GNL se situe non pas à 3,2 kilomètres des habitations, mais à 650 mètres et de surcroît sur un parcours fluvial long, étroit, parfois englacé et très achalandé pour la navigation commerciale et de plaisance, a-t-on entendu bien des politiciens (mis à part Thomas Mulcair), de quelque niveau de gouvernement que ce soit, faire des interventions de cette nature? C’est à croire que le courage en politique n’a pas traversé la frontière…

À RETENIR :

De par la nature même du GNL (substance explosive et inflammable) et comme le risque nul n’existe pas, il s’avère primordial d’établir un terminal méthanier le plus loin possible des zones résidentielles. il s’agit là d’une question de gros bon sens et d’une application judicieuse du principe de précaution qui doit prévaloir tant en matière de gestion des risques ou de développement durable. Ce principe est appliqué partout en Europe pour l’établissement des entreprises classées SEVESO, notamment par des mesures de maîtrise de l’urbanisation autour de ces établissements à risque.
Il serait inadmissible qu’au Québec, en 2007, on accepte qu’une 60 de familles vivent dans un rayon d’un kilomètre et plus de 130 dans un rayon de 1,5 km d’un méthanier ou des réservoirs remplis entre 320 000 et 376 000 m3de gaz de Rabaska, soit entre 192 millions et 225 millions de mètres cubes de gaz de consommation

2- Rabaska : un choix de site impertinent et irrationnel

Dans cette partie, nous examinerons le contexte et le processus utilisé par Rabaska pour arrêter son choix sur le site de Beaumont-Lévis pour ses installations de GNL. Nous démontrerons que dans la région de Québec, une tendance lourde d’improvisation prévaut pour l’accueil des grands projets industriels et que la vision sur le développement et l’aménagement du territoire des décideurs politiques locaux ou régionaux est souvent mise en retrait pour laisser le champ libre aux intérêts économiques et financiers.

2.1 Une procédure de choix du site contestable et peu crédible

En premier lieu, il convient de préciser que les démarches initiales de Gaz Métro la compagnie initiatrice du projet, visaient au départ un partenariat avec son fournisseur exclusif de gaz TransCanada. Comme les deux compagnies ne se sont pas entendues sur un taux respectif de participation au projet de terminal méthanier commun, chacun décida de mener son projet « à bon port »… Plusieurs prétendent que Gaz Métro n’avait pas réellement le choix de ne pas retenir le site de Gros-Cacouna en raison des initiatives précoces entreprises par TransCanada pour réserver un espace dans le port de Gros Cacouna pour la réalisation de son projet. C’est l’opinion du maire Jacques Michaud de Cacouna Paroisse et président de la Commission de développement du parc portuaire de Gros-Cacouna (Communication téléphonique, 25 mai 2004), mais c’est aussi ce que sous-entend Transports Canada. Une lettre adressée au président du GIRAM précise ceci :
« Au printemps 2003, TransCanada PipeLines s’est adressée à Transports Canada afin de s’informer sur la possibilité d’implanter un terminal méthanier au port de Gros-Cacouna. À cette époque, cette entreprise comparait différents sites pour son projet et avait demandé à Transports Canada de traiter ce dossier avec discrétion.
Au cours de l’hiver 2003-2004, le promoteur nous a demandé une option de bail. Cependant, en considération d’annonces de Gaz Métro faites durant les mois précédents, nous avons convenu d’une entente, en mai 2004, stipulant que le site convoité serait temporairement réservé pour un un projet de terminal méthanier, sans toutefois accorder l’exclusivité à TransCanada PipeLines » .

De plus, il n’est pas certain que Gaz Métro avait engagé des pourparlers sérieux ou manifesté un réel intérêt pour le site de Gros-Cacouna, même si M. Kelly affirme que la compagnie a rencontré des représentants de Transports Canada. À la question posée à Transports Canada, le 24 janvier 2005, « est-ce que Gaz métro a déjà adressé une demande écrite ou verbale en vue de réserver une option sur les terrains convoités par TransCanada », la réponse fut : « Gaz Métro ou un de ses mandataires, ne nous a jamais adressé de demande » .

Comme TransCanada PipeLines lorgnait le site de Cacouna depuis le printemps 2003, serait-il possible que les études commandées par Gaz Métro à la firme Roche n’aient été faites que pour la forme, pour justifier le choix de Beaumont? D’ailleurs, dans leur présentation faite aux organismes à Lévis, le 29 septembre 2004, les porte-parole de Rabaska et de la firme Roche n’ont fait valoir que des arguments de fiabilité d’approvisionnement notamment par des données météorologiques (vents, vagues, glaces) moins propices à Cacouna par rapport à Lévis. En fait, il ressort des différents représentants de Rabaska que ce sont les éléments techniques et économiques qui ont prévalu dans les critères retenus pour la sélection du site d’implantation. Ces données météos dépréciant le site de Gros Cacouna ont été contestées quelques semaines après l’annonce du choix de Beaumont par Jacques Michaud, lequel précisa que les données de vents de l’étude de Roche ne provenaient pas du port de Cacouna mais de l’île Rouge, au centre du fleuve à proximité du Saguenay où la vélocité est toujours forte . Jacques Michaud allant même jusqu’à ajouter : « Le projet sera certainement entendu au BAPE. S’ils y présentent cette étude erronée, nous serons là pour tout contredire. Ils ont besoin d’un site alternatif et c’est le nôtre » . Les données météos rendues publiques par Rabaska ont suscité une réaction cinglante d’Énergie Cacouna. En effet, Rabaska, venait d’annoncer quelques semaines auparavant que les méthaniers ne pourraient accoster à Gros-Cacouna 30 % du temps en hiver; ce à quoi Andrew Pelletier, responsable du projet pour Pétro Canada, répliqua : « Franchement, je ne sais pas où ils ont pris ce 30 %. Nous avons nos propres études qui ne disent pas du tout la même chose » et il ajoute plus loin : « Oui il y a des commentaires négatifs face à notre projet, mais seulement de la part de Gaz Métro » .

La démarche de sélection d’un site de la part de Gaz Métro a perdu d’autant en crédibilité que le fournisseur de gaz naturel de l’ouest, TransCanada, en compétition avec le distributeur exclusif de gaz naturel au Québec pour l’implantation d’un terminal de GNL au Québec, a choisi le site rejeté par ce dernier. Bref, que ce soit à l’intérieur de leur étude d’impact respective ou des premières parties des audiences du BAPE à Rivière-du-Loup ou à Lévis, les contradictions, dans les propos comme dans les textes, entre les deux promoteurs sur les justifications de leur choix de site sont frappantes et étonnantes.

Énergie Cacouna voit comme désavantages au site de Ville-Guay-Beaumont « le long temps de transit des méthaniers, l’exposition maximale des méthaniers aux glaces pendant le transit, la densité de population élevée et l’incompatibilité avec l’utilisation actuelle des terres » (Tableau 2.1.2) . À une question posée au BAPE-Cacouna sur les critères prépondérants ayant prévalus pour le choix de Gros-Cacouna de la part d’Énergie Cacouna, le répondant, M. Van der Put, précisa qu’un des facteurs qui a pesé lourd dans le choix de Cacouna est le fait que le site soit un site industrialo-portuaire . Il ajouta que des facteurs liés à la navigation ont contribué au rejet du site Beaumont-Lévis par rapport à Gros-Cacouna: « la vitesse des courants plus élevée et la distance entre le poste d’amarrage et la voie de navigation moins importante dans le cas de Lévis-Beaumont .

À l’inverse, selon Rabaska, les conditions de navigation seraient plus favorables à Lévis-Beaumont, ce qui est loin d’être évident si on considère l’étroitesse du chenal et l’importance du trafic maritime. En d’autres termes, ce sont des facteurs techniques (vent, glace, visibilité) et un facteur économique (raccordement de 45 km au lieu de 250 km avec l’extrémité du réseau à Saint-Nicolas) qui ont été prépondérants. Cet aspect économique est clairement exprimé en ces termes : « La proximité du réseau de transports de gaz existant permet de réduire le coût et la longueur du gazoduc de raccordement ainsi que ses impacts environnementaux » . Les facteurs environnementaux et humains ont eu un poids négligeable dans la sélection du site comme nous le démontre le rapport final de Roche de février 2004 qui en fait pratiquement pas allusion.

En se fiant exclusivement à la norme canadienne sur la zone d’exclusion (en révision présentement) et sur un zonage incertain (le premier projet était carrément dans une zone agricole au nord ou au sud de la 132), Rabaska a fait une grande erreur de localisation. Le promoteur cherche à faire croire que cette industrie est pratiquement sans danger, que des gens peuvent vivre, se recréer à 600, 800 ou 1000 mètres comme si rien n’était. Il s’agit d’un comportement inconscient ou irresponsable, motivé par un seul but la profitabilité de l’investissement et dont l’intérêt énergétique du Québec sert de paravent.

2.2 L’importance d’un choix de site judicieux aux plans humain, environnemental et de la navigation

Compte tenu de la nature de la substance et des risques qui y sont associés, le choix du site d’accueil ne peut reposer sur les seuls critères techniques et économiques. Malheureusement, au Québec, contrairement à plusieurs pays, le gouvernement du Québec n’a fourni aucune orientation, aucun critère aux promoteurs pour l’implantation de terminaux méthaniers comme nous avons pu le constater dans les réponses fournies lors des premières parties des audiences publiques d’Énergie Cacouna ou de Rabaska, tenues par le BAPE en 2006 .
Il semble que depuis l’abolition de l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) vers 1984, il n’y a aucun organisme gouvernemental qui a pris la relève. Aucune orientation, aucune directive ne sont données aux promoteurs de projets de terminaux méthaniers afin que ces projets si nécessaires se localisent dans des lieux acceptables sur le plan de l’aménagement du territoire et de la sécurité publique. Nous assistons à la même improvisation que pour les parcs éoliens, mais avec des conséquences potentielles beaucoup plus dramatiques. Les projets sont analysés dans un prisme sectoriel, ministère par ministère; même le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, responsable de l’étude d’impacts, se contente d’émettre une directive, une fois le projet soumis et situé dans un site précis.
Du côté fédéral, l’accompagnement des promoteurs est aussi faible, voire même inexistant, mis à part certains documents produits par des fonctionnaires du ministère des Transports par le biais des recommandations eu égard avec le processus d’examen TERMPOL. Mais le code TERMPOL s’applique sur une base volontaire. À l’item 3.15.12, on énumère 24 exemples de mesures d’atténuation des risques liés à un terminal méthanier, deux propositions seulement concernent la sélection de l’emplacement, notamment:
 Construire le terminal dans un endroit éloigné ou à l’écart d’agglomérations urbaines ou de la banlieue;
 Faire passer les navires transportant des cargaisons dangereuses loin des routes maritimes principales et des principaux points de convergence lorsque cela est possible pour réduire les rapprochements dangereux.

Mais en considérant le site sélectionné par Rabaska, il est clair que ces recommandations « facultatives » n’ont pas été prises au sérieux.

Pourtant, lors de la première tentative d’implantation d’un terminal méthanier au Québec en 1979, pour le projet de TransCanada PipeLines à la Pointe de Lamartinière (Lauzon), un comité de la Direction générale du ministère de l’Énergie du Québec avait été formé afin « d’étudier le phénomène du gaz naturel liquéfié et le problème de la sécurité entourant la localisation des installations servant à la manutention, au stockage et à la fabrication du GNL » . Les objectifs visés par le comité étaient de conseiller le gouvernement, d’accompagner les éventuels promoteurs afin que les projets répondent aux besoins de sécurité des personnes et des biens et de « servir de base à une éventuelle étude de sélection des sites les plus sécuritaires sur les rives du Saint-Laurent pour l’implantation d’installations de GNL » .

Le groupe de travail avait énoncé certains critères généraux qui ne tenaient pas compte d’un projet de GNL en particulier, ce qui permet de prolonger dans le temps la pertinence des recommandations d’implantation. Le tableau ci-dessous présente un aperçu des principaux critères retenus pour l’analyse et la sélection d’un site au niveau du transbordement du GNL et du transport maritime.

Tableau 3 : Critères énoncés en 1979 par la Direction générale du ministère de l’Énergie du Québec

CRITÈRES ÉLÉMENTS À RETENIR
1- Les tremblements de terre – Les deux rives du Saint-Laurent entre Québec, Sept-Îles et Rimouski sont des zones d’intensité maximale pour le Québec

  • Construire les installations de GNL ayant la capacité de supporter ces phénomènes.
    2- Les vents dominants – Advenant un accident majeur aux installations terrestres, la direction et la force des vents dominants auraient pour effet d’intensifier les radiations thermiques et le déplacement du nuage de vapeur dans leur direction
  • Dans l’estuaire du Saint-Laurent, les vents dominants sont du sud ouest et de l’ouest. De plus, la rive sud du fleuve est soumise à des vents plus directs pouvant nuire aux opérations de transbordement. En cas de vents de l’ouest en hiver, les concentrations de glaces sur la rive sud sont plus importantes que sur la rive nord.
    3- La superficie de terrain – Une superficie de terrain suffisante pour loger les unités, mais aussi pour offrir une zone tampon sécuritaire entre les installations et le voisinage.
    4- Le développement urbain – Compte tenu des risques identifiés pour le public, il va de soi que tout développement urbain de même que toutes zones habitées devraient idéalement se situer hors de la portée du nuage de vapeur combustible
  • Sur le plan maritime, aucun développement urbain ne devrait se trouver à portée des effets d’un épanchement de GNL sur l’eau. Par conséquent, l’accès au site des installations terrestres devrait se faire par voie maritime suffisamment éloignée des régions côtières urbanisées.
    5- La navigation – Les critères tels : la densité de la circulation maritime, les marées, la visibilité, les glaces, le nombre d’intersections maritimes sur le parcours, la largeur du chenal principal et la complexité du chenal d’approche, sont autant de considérations qui pourront avantager ou désavantager un site par rapport à un autre, du point de vue de la sécurité
  • Le site de réception de GNL devra donc permettre un parcours de difficulté minimum pour les méthaniers.
    6- La direction et la vitesse du courant – Les courants, particulièrement dans les aires de manœuvre, devraient de préférence s’écouler toujours dans le même sens malgré le jeu des marées et les plus parallèles au quai possible
  • Transports Canada recommande que la vitesse des courants lors des opérations ne dépasse pas deux nœuds en période de bonne visibilité et un nœud lorsque la visibilité est réduite.
    7- La distance entre les rives et la course maritime – Sur l’eau, la distance à laquelle se fera sentir les radiations thermiques et le déplacement du nuage de vapeur inflammable est fonction du volume de l’épanchement de GNL provoqué lors d’un accident
  • À mesure que les rives du Saint-Laurent se rapprochent, les risques d’un épanchement sur l’eau augmentent et la capacité du méthanier devient un des critères de sécurité important pour le choix d’un site d’installations de GNL.

À la lumière de ces critères toujours d’actualité, il est évident que le projet Rabaska tant pour les installations terrestres que pour le transport maritime ne saurait répondre à ces critères. Certes, monsieur Kelly, comme vendeur de projet peut bien arguer « que l’étude d’impact dans sa totalité confirme les critères soulevés » , sauf que son objectivité et sa rigueur sont ici mises en doute.

Il est déplorable qu’en 2007 des projets de cette nature ne fassent pas l’objet au préalable d’orientations précises de la part d’un Comité interministériel sur le choix d’un emplacement géographique de moindres impacts. Des pays ayant beaucoup moins de superficie territoriale que le Québec et beaucoup plus densément peuplés (c’est le cas de la France) trouvent le moyen de localiser ces installations à hauts risques technologiques loin des populations et dans des corridors maritimes rapprochés de la mer ou à l’extérieur des zones de trafic maritime de forte affluence. De plus, plusieurs pays n’hésitent pas à créer en amont des projets de GNL, des comités gouvernementaux ou en partenariat avec le privé afin de déterminer sur leur territoire le site idéal, advenant qu’un projet sérieux de terminal méthanier se manifeste.

À titre d’exemples, une telle convention vient d’être signée entre le ministère de l’Énergie et des Mines du Maroc, l’Office national d’électricité et deux autres partenaires afin d’effectuer une étude de faisabilité pour un projet de GNL. « L’étude doit donc déterminer le site idéal pour la construction d’une structure où sera installé un terminal gazier destiné à accueillir les méthaniers » . En Croatie, l’association Eko Kvarner, félicite le gouvernement de Croatie pour la création d’un Groupe de travail afin d’établir un processus transparent et créer « the necessarily conditions for quality selection of location of the Terminal ». Cette association souhaite l’implantation d’un terminal « offshore » à au moins 30 km des rives de l’Adriatique. Et si un site terrestre est choisi, elle précise : « it is removed at least 8 kilometers from nearest bigger settlement or similar facility » .

Plus près de nous, en Nouvelle-Angleterre, face aux controverses récentes entourant les projets de GNL, la Législature du Massachussetts a approuvé la création d’une commission d’étude sur la localisation des terminaux méthaniers. L’objectif est de développer « a much more comprehensive view about how we go about siting terminals in commonwealth . Dans le Maine, The Brunswick Conservation Fondation réclame une approche régionale pour la localisation de ces infrastructures gazières, si elles sont nécessaires. Cette façon de faire permettrait de déterminer « the specific sites for an LNG import facility based upon rigorously developed criteria that adress both public safety and environmental protection » .

Au Québec, il est incompréhensible que les promoteurs de projets de GNL choisissent seuls le site. Cela nous ramène à l’époque de l’établissement de la raffinerie Ultramar en 1969 où l’improvisation et les critères exclusifs de la compagnie Golden Eagle ont prévalu. Le comité du ministère de l’Énergie de 1979 marquait un net progrès par rapport à la situation actuelle. Présentement, les trois initiatives de terminaux méthaniers au Québec n’ont fait l’objet d’aucune orientation gouvernementale et le Gouvernement n’est actif que pour affirmer que ces projets peuvent contribuer à l’économie et au développement régional. Aucune priorité sur des bases de localisation rationnelle n’a été établie par rapport à la pertinence des sites choisis.

Pourtant, à l’examen de certains critères relevant du Comité de 1979 et des modalités d’implantation des terminaux méthaniers en France ou ailleurs, il aurait été possible d’identifier le site parmi les trois projetés, celui correspondant le mieux à la meilleure localisation sur le plan de l’aménagement du territoire, du transport maritime, de la sécurité des populations et de l’acceptation sociale. À partir de nos connaissances, nous pouvons au moins brosser un portrait comparatif des trois projets en lice.

Tableau 4 : Comparaison des trois projets de terminaux méthaniers à partir de quelques critères avantageux (+) ou désavantageux (-)

CRITÈRES RABASKA
secteur Lévis-Beaumont/île d’Orléans ÉNERGIE CACOUNA, Port de Gros Cacouna ÉNERGIE GRANDE-ANSE, Port Saguenay, secteur La Baie
Contexte géographique et économique + Faible coût du gazoduc, 45 km du réseau

  • Taux de chômage faible, impacts moins importants + Contribution au développement régional
  • Coût élevé du gazoduc, 240 km du réseau
    • Contribution au développement régional
  • Coût élevé du gazoduc, 250 km du réseau

Navigation et transports maritime -Plus longue distance de l’océan (1200 km), env 11 h de plus

  • Voie fluviale très étroite (305 m) sur environ 35 km et fort trafic maritime (6500 passages)
  • Faible profondeur (12,5 m) de certains secteurs nécessite une marée minimale et une jetée de 500 m
    +- Navigation hivernale dans un chenal plus entretenu, mais non sans risque + Plus courte distance de l’océan (950 km)
  • Voie navigable large et peu fréquentée (120 passages)
  • Profondeur adéquate pour l’accès au port, nécessite une jetée de 500 m
  • Navigation hivernale et conditions des glaces + Distance plus courte que Rabaska, environ 6 h de plus
  • Voie navigable d’environ 2 km de large, plus étroit 1,3 km et peu fréquentée (200 passages par an)
  • Profondeur de plus de 15 m partout (fjord), nécessite une jetée d’environ 35 m
  • Navigation hivernale nécessite la présence d’un brise-glace
    Aménagement du territoire et zonage – Absence de port, zonage incertain et aucune vocation industrielle apparente (parc industriel à créer)
  • Faible capacité d’intégration au paysage et des unités paysagères régionales à forte valeur emblématique (île, Québec) + Port aménagé et zonage industriel existant, et grand espace industriel existant en périphérie du port
  • Capacité d’absorption paysagère plus grande, impacts visuels sur le village + Port aménagé et espace industriel de port Saguenay de 400 ha avec possibilité d’expansion
  • L’isolement du lieu facilite la capacité d’absorption, impacts visuels faibles de la rive de Saint-Fulgence
    Sécurité des populations – Projet localisé parmi la population (133 familles dans un rayon de 1,5 km) de la jetée où des réservoirs
  • Le méthanier longe et expose les populations riveraines de plusieurs municipalités +- Projet localisé assez près de la population villageoise (distance d’environ 1,5 km) et quelques résidences, chalets et sentiers écologiques assez rapprochés
  • Le méthanier ne présente aucun risque pour les populations riveraines sur son parcours + Projet localisé loin des secteurs habités: une ferme à 1,7 km et 6 chalets à 2,2 km
  • Le méthanier présente peu de risques pour les populations riveraines en raison de la largeur du fjord
    Acceptabilité sociale – Projet rejeté par référendum à 72,4 % à Beaumont et à environ 75 % par la population la plus concernée (5 km) + Le projet a été contesté par plusieurs citoyens, mais un référendum l’a endossé à 57,2 % + La population locale et régionale et les groupes sociaux semblent endosser le projet , mais sans centrale au gaz

De ce tableau, il ressort que les projets à Grande-Anse et Gros-Cacouna s’équivalent, quoi que ce dernier est plus vulnérable ou moins propice sur le plan de la proximité de la population et des impacts sur le paysage local. Bien que Gaz Métro ait identifié le site de Port Saguenay (Grande-Anse) comme offrant un certain potentiel dans ces variantes de choix de site, il est évident que les contraintes topographiques évoquées sont loin d’être insurmontables; ce sont plutôt des motifs économiques qui ont entraîné le rejet du site. Dans l’étude d’impact de Rabaska, on reconnaît que cet endroit offre de bonnes conditions pour la construction d’une jetée et que le zonage est compatible. « Toutefois, en raison de son éloignement du réseau de Gazoduc TQM ainsi que des conditions géologiques et topographiques difficiles, ce site n’était pas viable au point de vue économique » .

2.3 Un autre grand projet improvisé vu sous l’angle de l’aménagement régional

Depuis quarante ans, les instances économiques régionales se targuent de la difficulté de faire accepter des grands projets industriels dans la région de Québec. Cela tient d’une part aux vocations spécifiques qui se sont développées dans la zone métropolitaine de Québec, basées entre autres sur la fonction publique ou parapublique, le tourisme, les nouvelles technologies et les emplois concentrés à 85% dans le secteur des services. De plus, l’encadrement géographique fluvial d’intérêt exceptionnel, jumelé à un caractère patrimonial de grande valeur rendent difficile l’insertion d’industries lourdes polluantes et à forts impacts paysagers.

Mais, il y a plus, entre autres l’improvisation et la démarche qui prévalent dans les initiatives des promoteurs de projets. Ceux-ci croient que les rencontres en catimini de quelques maires, de représentants des Chambres de commerce ou du directeur général du Port de Québec suffisent pour faire accepter leur projet, comme dans le bon vieux temps de l’implantation de la raffinerie Golden Eagle. Les consultations des populations concernées ou des groupes environnementaux paraissent comme superflues ou pure perte de temps. Pourtant, au début des années 90, la Chambre de Commerce de Québec avait initié une concertation avec les groupes environnementaux afin d’élaborer une Charte d’accueil des entreprises à fortes incidences environnementales et favoriser une consultation en amont des projets. Par contre, le refus des projets découle le plus souvent, du fait, que ceux-ci présentent d’énormes problèmes d’intégration et ne concordent pas avec les objectifs de planification de l’utilisation du sol dans un espace donné.

Un rappel de l’improvisation qui a prévalu dans la région de Québec peut être utile pour comprendre l’origine des réactions défensives et contestataires passées et actuelles. Voici quelques initiatives improvisées, réalisées ou avortées, le plus souvent sans tenir compte des populations concernées.

• La construction, en 1970, d’une raffinerie en plein milieu urbain ou urbanisable entre Lévis et Saint-Romuald;
• Une tentative avortée, en 1979, d’implantation d’un terminal méthanier et d’une usine de liquéfaction du gaz naturel à la Pointe de La Martinière, l’un des plus beaux sites riverains du Québec;
• Une expropriation inutile , à même des fonds publics, de 312 acres de terrain dans ce secteur par la Société Interport, entre 1981 et 1984, au coût de près de cinq millions de dollars, occasionnant la démolition de maisons patrimoniales et de chalets et la déstructuration de l’agriculture du secteur et de la vie sociale. La majeure partie de cet espace sera cédée à la Ville de Lévis par le gouvernement du Québec en 2006 à des fins de parc urbain.
• Le déplacement plus à l’est, quelques années plus tard (vers 1986-87), du rêve industrialo-portuaire des CRD et du port de Québec, qui persistait toujours en 1998, comme en faisait foi la dernière brochure publiée sur le sujet;
• L’appui de certains politiciens et bien sûr du Port de Québec vers 1990, à l’installation d’un terminal de coke calciné et d’alumine, à l’anse aux Foulons (Sillery), en vue de l’approvisionnement de l’aluminerie de Deschambault. Aujourd’hui, alors que l’on cherche à revaloriser la bordure du fleuve du secteur (Promenade-Samuel De Champlain), serions-nous fiers de cet aménagement?
• L’affectation par la Ville de Lévis, en 1992, d’un zonage IC-93-99 « Industries lourdes et grand gabarit » pour toute la bordure fluviale en direction est (sur 2 km), jusqu’à la limite de Beaumont, et cela, sans aucune étude d’impact préalable et malgré le dépôt d’une pétition d’une centaine de propriétaires du secteur, lors de la consultation sur le plan d’urbanisme de la Ville de Lévis.

Cette improvisation sur le plan de la localisation des grands projets dans la région métropolitaine de Québec a été dénoncée par des spécialistes de l’aménagement du territoire comme François Hulbert et par le Conseil de développement du Québec Métropolitain (CDQM) qui dénonce le manque de planification et la stratégie du Port de Québec à l’égard de développement industrialo-portuaire. Dans un document préparé en 1982, le CDQM conclut son essai en ces termes :
« L’agglomération de Québec est un tout qui comprend également la Rive-Sud et la planification doit aussi porter sur un ensemble urbain. Il faut refuser de se laisser enfermer dans l’étude d’un projet isolé et en particulier de considérer les projets du Port et ceux de la société Interport (abolie en 1988); il faut aussi refuser d’apporter sa caution à quelque site que ce soit en l’absence d’un schéma d’aménagement de l’agglomération dans son ensemble. Dans ce cadre il est essentiel de faire participer les populations concernées au processus de développement et d’aménagement… » .

La situation n’a guère changé depuis le rêve du port de Québec et de certains leaders économiques de créer un grand parc industrialo-portuaire sur la Rive-Sud, face à l’île d’Orléans, pour accueillir des industries lourdes ou indésirables, il a simplement été ravivé par l’annonce du projet Rabaska. Est-ce logique de vouloir réaliser cet espace industriel avec une industrie peu structurante qui a de surcroît un effet répulsif en raison de la zone tampon ou de sécurité qu’elle exige? De plus, la configuration topographique riveraine, l’occupation actuelle du territoire et la faible disponibilité d’espaces rendent utopique l’idée de créer ce grand parc industriel et portuaire comme à Bécancour (3200 ha) ou en France (5000 à 10 000 ha). Dans une étude commandée par la ville de Lévis-Lauzon, en 1990, à la firme Daniel Arbour et Associés, sur les perspectives de développement industriel de ce secteur, on peut entre autres, y lire ceci :
« La mise en valeur du secteur Ville-Guay est fondée sur la prémisse d’un parc industrialo-portuaire qui permettra d’y établir de très grands complexes industriels. Or, peu de secteurs industriels commandent la présence d’installations portuaires et seule une infime minorité de projets justifient la mise en place d’équipements portuaires. Dans de tels cas, il s’agira souvent d’installations privées très spécialisées, dimensionnées et conçues aux seules fins de l’entreprise en cause et donc peu susceptibles de devenir un équipement polyvalent attrayant pour une seconde implantation » .

Cette description correspond parfaitement au projet de terminal méthanier proposé par le consortium Gaz Métro, Gaz de France et Enbridge. Est-ce logique de gâcher autant d’espace, au moins 270 ha, sans compter l’emprise de la route d’accès se raccordant à la route Lallemand, pour une industrie si peu structurante et si peu créatrice d’emplois? Sans compter les balafres au paysage et les atteintes à l’environnement naturel d’une grande intégrité. Est-ce bien cela un aménagement du territoire rationnel et un développement vraiment durable?

2.4 Questions de zonage et de schémas d’aménagement

Le débat sur la permissivité du zonage en rapport avec le projet Rabaska a fait l’objet de beaucoup d’information et de questionnement durant la première partie du BAPE. Nous pouvons affirmer cependant que si les élus ou leurs représentants s’acharnent à défendre le schéma de 1987 pour affirmer que le projet est presque conforme, ils le font par opportunisme politique. Dans l’ancienne Ville de Lévis, à l’élection de 1998, le maire sortant Denis Guay affirmait vouloir revoir le zonage IC-93, le zonage industriel de la bordure fluviale du secteur. En 2001, le schéma de la MRC de Desjardins, dûment adopté le 14 février 2001 (résolution No 01-17) par les élus mandatés, n’intègre plus au schéma d’aménagement cette volonté de réserver une zone destinée à la création d’un parc industriel et portuaire. L’adoption de ce schéma constitue une orientation très claire des intentions des représentants de la population à l’égard de la vocation de ce secteur, soit agricole au sud de la route 132 et périurbaine au nord. Comme l’adoption du schéma a été retardée en raison des fusions municipales, cela ne justifie pas un retour au schéma de 1987 et encore moins une révision du nouveau schéma qu’on se prépare à adopter en 2007 en fonction du projet Rabaska et des gazodollars connexes. D’ailleurs, la Ville de Lévis n’a pas encore procédé aux consultations publiques obligatoires sur ce schéma en révision qu’elle doit faire en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

De plus, ce schéma révisé doit être approuvé par le ministère des Affaires municipales et analysé par quelques autres ministères avant d’entrer en vigueur. Comme la ville de Lévis fait partie de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ), il est également important que ce nouveau schéma soit concordant avec le schéma d’aménagement global que la CMQ doit réaliser incessamment. Cette instance régionale a réalisé à l’automne 2004, une consultation sur la « Vision stratégique du développement » à adopter au cours des vingt prochaines années dans le territoire sous sa juridiction. Ce document constitue le prélude à la consultation pour l’adoption du schéma métropolitain d’aménagement et de développement qui devrait survenir en 2007.

À la lecture de la « Vision stratégique du développement » en 2025, adoptée par la CMQ le 25 août 2005, on se demande si un projet comme Rabaska peut correspondre à cette vision rêvée… Voici comment est décrit ce territoire de l’avenir :
« Exemplaire, centré sur les besoins de la personne, complémentaire et durable sont les qualificatifs utilisés pour décrire l’aménagement du territoire de la CMQ. Le statut de capitale nationale du Québec est pleinement assumé par la communauté. La mise en valeur exemplaire de tous les milieux, de leurs attraits naturels, de leurs paysages et de leurs richesses historiques s’ajoute à une cohérence d’actions des diverses composantes du territoire de la CMQ. Toutes en tirent profit.
L’évolution des besoins des personnes et les préoccupations de développement durable auront été au centre des choix d’aménagement et de développement du territoire. Les milieux de vie urbains, villageois et ruraux sont attrayants et offrent une qualité et un cadre de vie exceptionnels pour retenir la population résidente et attirer dans la CMQ une main-d’œuvre à la recherche d’un milieu stimulant… » .

Il est tout de même étonnant que personne de la CMQ ou de la Ville de Québec, ne soit venue pour défendre cette vision, pour nous préciser comment Rabaska pourra éventuellement s’insérer sur le territoire régional en respectant ces principes et préoccupations.
À RETENIR
Les modalités de sélection du site d’implantation du terminal GNL Rabaska paraissent nébuleuses et peu crédibles, entre autres, en ce qui concerne le rejet de Gros-Cacouna. Le choix de Beaumont-Lévis semble reposer à prime abord sur des facteurs économiques (raccordement du gazoduc moins coûteux) et techniques, mais l’avance prise par Énergie Cacouna pour réserver un espace pour son projet dans le Port de Gros-Cacouna semble avoir été déterminante.
Des trois sites faisant l’objet d’un projet de terminal méthanier, celui de Rabaska est le moins apte sur les plans de l’aménagement du territoire, de la navigation, de la sécurité des populations et de l’acceptabilité sociale.

3- Un environnement naturel, paysager et culturel incompatible avec un terminal méthanier

Que ce soit en vertu de ses particularités géographiques ou historiques et de ses panoramas, le secteur Ville-Guay/Beaumont constitue pour les résidants, les automobilistes en transit ou les touristes un spectacle paysager exceptionnel dont le décor évolue au gré des saisons. Ce paysage fait partie d’un ensemble, lequel entre la pointe de La Martinière et la pointe Saint-Vallier, offre une grande homogénéité de par sa prédominance rurale, ses caractères patrimoniaux et ses points de vue sur l’île d’Orléans. En raison de cette unité paysagère de grande valeur, le GIRAM a amorcé l’an dernier le montage d’un dossier pour faire reconnaître ce secteur fluvial « Paysage humanisé » en vertu de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel.

3.1 Le paysage dans le secteur d’étude

De la pointe de La Martinière au parc Vincennes (camping municipal de Beaumont), que ce soit sur la route, la piste cyclable ou la grève, l’intérêt paysager y est omniprésent. Les vues d’ensemble sur le fleuve, l’île d’Orléans, le plateau laurentien, la côte de Beauport offrent à l’observateur parmi les plus beaux paysages de l’axe fluvial, notamment en raison des promontoires naturels qui s’y retrouvent. Le Saint-Laurent dans ce secteur présente un espace bleu étroit encadré de petites anses en amphithéâtre découpées dans des falaises abruptes ou en gradins. De ses falaises dévalent sous forme de chutes, les ruisseaux Lallemand, Ville-Guay, Saint-Claude et nombre d’autres sans dénomination. Dans la partie plus à l’ouest, les vues sur la chute Montmorency et la colline de Québec ajoutent d’autres éléments d’intérêt visuel.

Sur le plan écologique, la création du Parc régional de La Martinière (environ 140 ha) au cours des dernières années, par la cession des terrains publics de la Société industrielle et portuaire de Québec-Sud et l’achat de la propriété Irving, permettront de mettre en valeur cet espace qui offre un environnement naturel remarquable . Mis à part l’enclave riveraine développée en zone de villégiature et résidentielle à l’embouchure du ruisseau Lallemand, toute la côte conserve une grande intégrité sur au moins quatre (4) kilomètres tant par ses falaises boisées que par la diversité des plantes rares, menacées ou à statut précaire présentes sur le littoral moyen ou supérieur. Certaines de ces espèces floristiques d’intérêt ont des habitats très restreints dans l’estuaire d’eau douce et parfois à l’échelle mondiale.

Au milieu naturel ambiant se greffe une trame cadastrale et patrimoniale façonnée sur environ 350 ans. C’est dans ce secteur qu’ont été concédées les toutes premières terres de la seigneurie de Lauzon et de la Rive-Sud. Il s’agissait du débordement naturel des terres déjà en partie occupées sur la côte de Beaupré et l’île d’Orléans. Il s’agit d’un lieu de valeur identitaire aussi forte que l’île elle-même. Enfin, des vestiges patrimoniaux se retrouvent dans l’architecture domestique (maisons et granges patrimoniales), au fort de La Martinière et au moulin Vincennes (reconstruit récemment), sans compter les potentiels archéologiques liés à la présence amérindienne.

Dans l’étude réalisée sur le paysage de Ville-Guay/Beaumont pour le GIRAM en 1994, la description fort appropriée de la beauté du secteur demeure toujours d’actualité.
« À proximité du cœur de la capitale, il est possible de découvrir un milieu champêtre, encore peu touché par l’urbanisation, où la topographie procure des vues spectaculaires et uniques sur le tracé du Saint-Laurent, l’île d’Orléans et les Laurentides. Ce paysage marqué par la prédominance des éléments naturels constitue un potentiel culturel et touristique de grande valeur à sauvegarder, non seulement pour la Rive-Sud, mais pour l’ensemble de l’agglomération de Québec » .

Cette étude effectuée par deux architectes du paysage présente une vision globale de la valeur paysagère de cet espace riverain à caractère rural de grande qualité. De plus, « Elle met en lumière l’importance que revêt tant dans le paysage interne de ce secteur riverain que le paysage externe (panoramas, morphologie contrastante de la Rive-Nord, ce dernier lui conférant un caractère d’unicité » . Les auteurs voient dans ce paysage une résistance au changement et une faible capacité d’absorption en ces termes :
« Les qualités visuelles et patrimoniales indéniables de l’un et l’autre de ces paysages (interne ou externe) accusent une résistance aux changements de par les sensibilités identifiées. Les impacts appréhendés y sont élevés dus à l’accessibilité visuelle induite par la morphologie du secteur et son développement extensif, à une faible capacité d’absorption découlant entre autres de ces mêmes observations et à la présence sporadique de végétation mature de même qu’à l’importance de la valeur accordée par le milieu » .

Dans une autre étude réalisée par « Les consultants en environnement Argus » pour le GIRAM, le concept de conservation et mise en valeur du secteur Ville-Guay ne laisse aucune place pour un projet de l’envergure d’un terminal méthanier. On y retient comme orientations (p. 33) :
• Assurer la protection des habitats aquatiques, riverains et terrestres dans les falaises, le long des ruisseaux et du fleuve
• Protéger la qualité visuelle au nord de la route 132 et mettre en valeur les points de vue d’intérêt (halte routière, kiosque touristique, etc.)
• Assurer la conservation des espaces boisés (peuplements forestiers d’intérêt) comme l’érablière, la bétulaie à cèdre au centre de la zone d’étude où une faune et une flore diversifiées pourront se développer
• Restreindre ou prohiber les activités qui pourraient mettre en danger l’intégrité des éléments naturels et patrimoniaux du milieu.

3.2 Rabaska et l’île d’Orléans

L’arrondissement historique national de l’île d’Orléans a été créé en 1970 en raison de la force et la valeur de son patrimoine, ses paysages et sa référence identitaire pour l’ensemble du Québec. Face aux nombreux impacts appréhendés du projet Rabaska, il aurait été normal de s’attendre à une analyse exhaustive de la part du ministère de la Culture et des Communications ou de la Commission des biens culturels des conséquences visuelles ou environnementales que ce projet pourrait générer, notamment pour ce milieu culturel protégé qu’est l’île d’Orléans. Dans une lettre, en date du 12 mai, monsieur Serge Mongeau demande à ces instances « de tenir des audiences publiques sur les conséquences de l’établissement d’une zone industrialo-portuaire à proximité de cet arrondissement historique ». Dans une réponse en date du 26 mai 2006, la Commission justifia son incapacité d’intervenir en ces termes : « Dans le cas qui nous concerne, la ministre et, par conséquence, la Commission des biens culturels, n’ont juridiction qu’à l’intérieur du territoire de l’arrondissement historique. Ces limites sont définies par le contour de l’Île. La Loi (sur les Biens culturels) ne peut s’appliquer hors de ces limites » .

Or, il est complètement anormal qu’un site ou un monument protégé ne puisse bénéficier d’aucune protection paysagère hors ses limites. Dans le schéma de développement de l’espace régional en Wallonie, une fiche sur la protection des paysages précise :
« Le classement de monuments et sites est une procédure efficace de protection notamment sur le plan esthétique et paysager. Toutefois, le périmètre de protection qui entoure un élément classé doit être déterminé d’après des critères plus objectifs. L’aspect paysager doit être apprécié en fonction des conditions du terrain et des vues offertes. Une enveloppe paysagère doit donc être fixée » .

Le 27 septembre 2006, le GIRAM proposait à la Ministre d’adopter « un décret élargissant l’arrondissement historique aux rives fluviales de la rive sud et de la rive nord, c’est-à-dire à toute l’enveloppe paysagère de l’île? » . Nous ajoutions que si cette proposition s’avérait irréalisable à court terme, pourquoi alors ne pas demander un avis à la Commission des biens culturels du Québec sur les inquiétudes des citoyens de l’Île d’Orléans en rapport avec Rabaska? Nous suggérions que la Commission des biens culturels, puisse se prévaloir des articles 7.5, 7.6 et 7.7 de la Loi sur les biens culturels et initier des actions afin de fournir un avis sur les inquiétudes soulevées par les citoyens et plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine. Ces articles l’autorisant à créer des comités « sur des questions qu’elle détermine », à « faire au ministre des recommandations sur toute question relative à la conservation des biens culturels visés par la présente loi », à « recevoir et entendre les requêtes et suggestions des individus et groupe sur toute question visée par la loi et « recourir au service de spécialistes pour l’étude de questions de son ressort » .

Bien sûr, nous n’avons reçu qu’un accusé de réception. Ce qui est encore plus étonnant, c’est l’absence d’avis des fonctionnaires des Directions régionales de Québec ou de Chaudière-Appalaches sur le dossier Rabaska, même pas une page! Comment interpréter cette indifférence? À notre avis, dans ce ministère comme dans d’autres, on marche sur des œufs avec ce dossier qui a déjà reçu l’aval du premier ministre et de plusieurs ministres dont le ministre Béchard (responsable du dossier), le jour même de sa nomination…

En raison de l’importance du patrimoine dans ce secteur, les fonctionnaires du Ministère et la Commission des biens culturels auraient dû exercer un rôle similaire que les représentants de la Santé publique ont eu à l’égard du projet et la protection des populations des deux rives. Il est inadmissible que personne du milieu culturel ne se soit penché sur les atteintes potentielles et irréversibles que ce projet de terminal méthanier pourra causer à l’enveloppe visuelle et paysagère de l’île, ainsi qu’à son environnement. Le gouvernement français ou son ministère de la Culture permettrait-il l’établissement d’un terminal méthanier dans le voisinage du Mont Saint-Michel sans y dire un mot?

En plus, de représenter des contraintes visuelles à portée de vue sur plusieurs kilomètres pour les résidants, les usagers de la navigation de plaisance de l’île ou d’ailleurs et les touristes, il y a les risques technologiques qui pourraient affecter le patrimoine insulaire. Une fuite majeure de GNL à un navire au quai de déchargement pourrait orienter le nuage gazeux directement sur le village de Saint-Laurent en présence de vents dominants provenant du sud-ouest. Quelles seraient les conséquences d’un accident majeur (notamment par échouement) d’un méthanier à l’extrémité ouest de la Traverse du Nord ou dans le chenal des Grands Voiliers), sachant que l’on dénombre plusieurs résidences à proximité des rives dans les municipalités de Saint-François, Saint-Jean, Saint-Laurent et Sainte-Pétronille? Sur le plan patrimonial, signalons que dans ces secteurs riverains ou côtiers sont érigées au moins 425 maisons historiques faisant partie de l’inventaire du ministère de la Culture et des Communications.

3.3 Le traitement du paysage dans l’étude d’impact

Malgré le paysage exceptionnel (naturel et culturel) des deux rives fluviales, le promoteur a réussi le tour de force de traiter en deux pages le patrimoine bâti et en cinq pages le milieu visuel… De plus, sur le plan du patrimoine, il se contente de dresser un tableau (2.32, Tome 3, vol 1, chap. 2, p. 2.114-2.115) sur l’identification des bâtiments patrimoniaux en bordure de la route 132 à Beaumont et Lévis. Ce tableau est basé sur des fiches descriptives des bâtiments recensés. Le promoteur n’a cherché qu’à répondre minimalement aux exigences de la Directive du MDDEP sur la description des composantes du milieu sur la sujet . Nous avions souligné à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACÉE) le 13 mars 2005, les déficiences de l’étude d’impact concernant la composante patrimoniale en ces termes :

« Un inventaire patrimonial a été réalisé, mais il présente un caractère énumératif et ponctuel. On n’y fait aucune analyse de la valeur d’ensemble de ces paysages culturels. Il faudrait combler cette déficience. De plus, aucun inventaire patrimonial n’a été réalisé sur le chemin Saint-Roch à Beaumont et Saint-Joseph-de-Lévis (proximité des réservoirs).
De plus, comme l’île d’Orléans est un arrondissement historique national, le promoteur devrait dresser obligatoirement un inventaire exhaustif des bâtiments patrimoniaux et sites historiques touchés visuellement ou par d’autres impacts environnementaux de son projet, y compris le passage du méthanier en raison de la zone de danger qu’il transporte avec lui. Cet inventaire devrait donc se faire sur tout le côté sud de l’île entre Sainte-Pétronille et Saint-François » .

Ces commentaires sont toujours d’actualité, car aucun des inventaires supplémentaires n’a été réalisé. De plus, dans l’étude d’impact, le promoteur n’a pas cru bon de réaliser une analyse de l’intérêt d’ensemble que représentent les éléments patrimoniaux du secteur touché, ni sur les effets dévalorisants que son projet fera subir à la lecture du patrimoine rural, notamment celui en bordure de la route touristique, dite route des Pionniers.

Sur le plan de l’analyse du paysage et des impacts du projet Rabaska sur le milieu visuel de grande valeur où il veut insérer son projet, les faiblesses ont également été soulevées dans le même document adressé à l’ACÉE. Nous y faisions les remarques suivantes :

Dans la zone d’étude (figure 2.15) nous constatons que le parc régional de La Martinière n’est pas inclus, pourtant il n’est situé qu’à deux kilomètres du projet de jetée. Curieusement, dans l’étude du milieu visuel (p 2.122 à 2.127) le paysage de l’île est décrit plus longuement que le paysage dans l’environnement immédiat du secteur directement touché. Il y a une tendance de l’auteur à vouloir banaliser le paysage de la portion de la rive sud du fleuve en raison du passage de la ligne électrique. Il est important de souligner que la présence de cette ligne de transport n’est pas irréversible, en fait beaucoup moins qu’un terminal méthanier. La méthodologie utilisée de caractériser globalement les unités de paysages des deux rives ne permet pas d’en distinguer les caractères exceptionnels et distinctifs de chacun. Le corridor fluvial de la rive sud présente un paysage présentant des éléments géomorphologiques beaucoup plus panoramiques et pittoresques en raison de l’agencement de plusieurs composantes paysagères dans les points de vue de l’observateur. Pourtant à la figure 2.15-Composantes du paysage visible, il est étonnant qu’on n’y identifie, pour tout le secteur d’étude, qu’un seul lieu d’attrait visuel, un seul repère visuel, un seul lieu d’observation stratégique et que ces trois lieux soient situés à Saint-Laurent ou Sainte-Pétronille. Rien sur la Rive-Sud. Cela démontre une méconnaissance du lieu ou un travail orienté! »

Nous demandions alors de compléter les inventaires des points de vue d’intérêt des deux côtés du fleuve et une étude visuelle plus approfondie démontrant la qualité scénique exceptionnelle des paysages riverains (les points de vue remarquables du fleuve, de la route 132, de la rue Saint-Joseph et du parc de La Martinière). Nous ajoutions que le promoteur devrait inventorier les paysages riverains comparables entre Montréal et Beaumont afin de démontrer l’intérêt exceptionnel du secteur fluvial concerné sur le plan paysager par rapport à d’autres secteurs riverains du fleuve ou de l’estuaire. Mis à part les efforts du promoteur consacrés à des simulations visuelles supplémentaires destinées à mieux faire passer son projet, celui-ci n’a pas répondu à cette demande.

Dans son évaluation de la résistance des unités de paysages de la zone d’étude (tome 3, pp. 6.124 à 6.138), le promoteur reconnaît que les capacités d’absorption et d’insertion des équipements dans l’unité de « paysage à caractère agricole » sont limitées, notamment en raison de la faible capacité de dissimulation de cette unité. Il reconnaît également que la difficulté d’insérer son projet en ces termes :

« Les qualités esthétiques et patrimoniales de même que les vocations agricoles et touristiques en font des territoires très appréciés, en particulier celui de l’île d’Orléans. Les désignations de route panoramique pour la route 132 et de corridor à vocation culturelle et patrimoniale du chemin Royal de l’Île d’Orléans qui traversent les unités de paysages agricoles confirment la valeur accordée à cette unité.
Compte tenu de la faible capacité de dissimulation et de la grande valeur accordée aux unité de paysages agricoles ces unités offrent une forte résistance à l’implantation de nouveaux équipements » .

Par contre, pour l’unité de « paysage à caractère fluvial », il reconnaît que le poste d’amarrage aura une grande accessibilité visuelle, mais il évalue comme moyenne la capacité de dissimulation, car il prétend que les pentes boisées et la végétation contribueront à dissimuler ses installations. De plus, il a une tendance à banaliser l’impact visuel de la jetée, « l’analyse considère que la présence des lignes électriques et des installations portuaires à l’échelle régionale sont des considérations qui favorisent jusqu’à un certain point l’insertion du terminal dans le milieu » . Le promoteur s’est servi de ce même argumentaire pour atténuer les conséquences visuelles de son projet lors de ces présentations sur le sujet dans la première partie des audiences.

Il se sert facilement de certains éléments détériorants tels le port de Québec, la jetée d’Ultramar, le chantier maritime Davie pour affirmer les capacités d’insertion visuelle de ces infrastructures dans l’espace métropolitain. Par contre, il ne signale jamais les éléments renforçants de cette unité de paysage qui pourraient subir des impacts ou porter atteinte à leur valeur symbolique et à la perception positive qu’ils représentent. À titre d’exemple, l’intérêt d’ensemble de la région de Québec sur le plan paysager et fluvial, de même que Québec, Ville du patrimoine mondial et l’île d’Orléans, arrondissement historique national, les caractères patrimoniaux et esthétiques de la côte lévisienne ne sont jamais ou timidement évoqués.

Pourtant, ce sont tous ces éléments considérés de façon globale qui confèrent à la région intérêt, prestige et valeur touristique.

3.4 Encadrement paysager régional et la sauvegarde de la vocation touristique

La principale richesse de la région, une des bases fondamentales de son développement repose sur son histoire et sa géographie. Québec, comme Capitale nationale, doit miser sur ses aménités et ses potentiels tant pour l’attrait de nouvelles entreprises, notamment celles axées sur les nouvelles technologies, que pour renforcer son développement touristique. Une résidante de Beaumont exprime cela en ces termes : « Dans une région où la vie culturelle occupe un créneau très important de l’économie, où la haute technologie constitue un vecteur de développement promoteur, où l’agriculture et l’industrie touristique font bon ménage en se rejoignant parfois dans des projets novateurs profitables à l’économie mais aussi à l’environnement, on peut facilement se passer du type d’industrie lourde que Gaz Métro veut implanter en la faisant passer comme indispensable à l’économie régionale » .

La conciliation d’un terminal méthanier, notamment sur le site choisi, avec l’importance du tourisme national et international (plus de 4 millions de visiteurs) dans la région de Québec s’avère impossible. Quand la ville de Québec est choisie au troisième rang des 300 villes mondiales considérées comme meilleure destination touristique par les lecteurs d’un magazine britannique spécialisé en tourisme et voyage (Wanderlust), il y a de quoi être fier, mais cela implique également la responsabilité de maintenir cette perception dans l’avenir. On sait également que « les beaux paysages » constituent un des premiers éléments incitatifs à visiter un lieu, conséquemment, la préservation de ces paysages attractifs devient un précieux moyen de maintenir la valeur de la ressource touristique pour le futur.

Cette photo aérienne illustre bien la route touristique de la Rive-Sud (les deux campings de Beaumont, au premier plan), l’entrée fluviale des croisiéristes internationaux et l’unité paysagère régionale où Rabaska veut s’implanter.

À notre avis, l’implantation d’une telle infrastructure lourde et insécurisante qui risque d’être suivie par d’autres aménagements ayant d’importants impacts, comme des quais de transbordement de vrac du port de Québec , pourrait nuire au développement du tourisme fluvial (croisières et excursions) et du tourisme terrestre, notamment à l’île d’Orléans et sur la Rive-Sud. L’est de Lévis (à partir du carrefour de la route Lallemand) constitue la porte d’entrée de la route panoramique (132) en direction du Bas Saint-Laurent et de la Gaspésie. Peut-on imaginer une rupture très nette dans le paysage rural pour insérer des infrastructures non compatibles et des clôtures métalliques laides délimitant le parc industriel pour des raisons de sécurité? Quelles seront les perceptions et les réactions des 12 000 cyclistes annuels et des 5 300 automobilistes dont près de 2000 voitures de touristes (moyennes journalières estivales) qui apercevront cette éventuelle balafre au paysage?

La Communauté métropolitaine de Québec, dans son rapport sur la Vison d’avenir de la région, a démontré une grande sensibilité à l’aménagement du territoire de qualité et à la protection des paysages. On peut y lire ces passages forts appropriés pour appuyer nos propos:
« La CMQ préconise un aménagement du territoire exemplaire à la hauteur du statut de capitale. L’aménagement doit donc afficher une qualité fonctionnelle et esthétique supérieure et constituer une vitrine du haut-savoir du Québec…
L’agglomération métropolitaine est réputée pour la beauté de ses paysages naturels et de l’intérêt de son patrimoine bâti. C’est pourquoi la CMQ préconise, dans le cadre de ses interventions, le respect de l’ensemble des ressources, lesquelles contribuent à façonner les patrimoines naturel et culturel. Ce faisant , elle participe au rehaussement du produit touristique de calibre international que constitue notre destination » .

Cela s’inscrit en continuité des efforts d’embellissement de la Commission de Capitale nationale (CCN) qui considère que la région doit être belle et accueillante comme Capitale. Dans cette optique, cet organisme encourage la mise en valeur des espaces verts et bleus de l’agglomération ; d’ailleurs, cet organisme a été un précieux partenaire du GIRAM dans l’étude sur la mise en valeur du parc régional de La Martinière en 2004. De plus, les préoccupations de la CCN, sur les entrées de la capitale nationale qu’on retrouve dans le rapport sur le cadrage des entrées de Québec , nous portent à croire que cet intérêt d’améliorer ou de préserver l’esthétique des entrées de la Capitale s’applique également aux entrées maritimes, comme celle de Beaumont-Lévis/île d’Orléans qui accueille les 100 000 croisiéristes annuels.

On ne peut se permettre l’enlaidissement des lieux sans mettre en danger les fondements mêmes de l’intérêt culturel et touristique de la région métropolitaine. Comme l’exprimait l’écrivain espagnol Fernando Sanchez « celui qui détruit la beauté engendre la pauvreté » . Une détérioration des façades de l’Île d’Orléans aurait assurément à long terme des impacts sur sa valeur symbolique et identitaire, sur le tourisme culturel et sur beaucoup d’autres activités (croisières internationales, navigation de plaisance, promenades en voiture ou vélo) dont les retombées économiques sont directement liées à un environnement esthétique et sécuritaire.

À RETENIR
La capitale nationale du Québec est réputée pour la beauté de ses paysages naturels et l’intérêt de son patrimoine historique. Porter atteinte à ces ressources par de mauvais aménagements (exemple, un Rabaska dans le décor de l’île d’Orléans), c’est amoindrir notre environnement culturel et, du même coup, le produit touristique de calibre international que constitue notre destination.
L’étude d’impact du promoteur ne tient pas compte de cela, elle cherche plutôt à déprécier l’environnement visuel sous prétexte de la présence actuelle des lignes de transport d’électricité. Rabaska aurait dû savoir que ses installations n’ont aucune capacité d’insertion dans une enveloppe fluviale exceptionnelle sur le plan paysager et témoignant des premières implantations humaines en Amérique.

4- Un environnement humain non réceptif et peu considéré par Rabaska

La faible réceptivité de la population à l’égard du projet, et plus spécifiquement de la population de la zone d’étude, découle en premier lieu du mauvais choix de site, les critères de sélection du lieu potentiel d’implantation n’ayant pas tenu compte des aspects anthropiques et de la sensibilité du milieu. Il faut également considérer que ce projet crée peu d’emplois, consomme beaucoup d’espace et est perçu avec raison par les résidants les plus rapprochés (1,5 km), comme une menace de déracinement et pour leur sécurité. Les modes de consultation utilisés par le promoteur n’ont pas permis une réelle consultation en amont du projet et celui-ci, devant la résistance, adopta la méthode de l’ingurgitation forcée « mon projet est bon, tassez-vous ». De plus, le mépris démocratique dont il a fait preuve après le référendum de Beaumont, en déplaçant son projet de quelques centaines de mètres, est digne d’un comportement des années 50 ou de celui de certaines entreprises négociant avec un chef de village. Le village étant ici, le Conseil de Ville de Lévis…

4.1 Un faible niveau d’acceptabilité sociale

Un des paramètres importants de la trilogie du développement durable est l’acceptabilité sociale. À prime abord, tout promoteur, tout politicien considère important que le projet soit bien accepté dans le milieu. Quelques citations le démontrent :
• « Les projets doivent être accueillis favorablement par les communautés », entrevue de Thierry Vandal, PDG d’Hydro-Québec, RDI, le 4 mai 2006.
• « Le Québec ne forcera pas le développement économique contre la volonté des gens », Jean-Marc Fournier, ministre des Affaires municipales, octobre 2004.
• « M. Sam Hamad (alors ministre des Ressources naturelles) dit respecter le choix de la population de Beaumont et souligne que son gouvernement s’en tient à trois conditions dans le cas de tels projets : l’acceptabilité sociale par le milieu, les retombées économiques et les impacts environnementaux » (La Presse, 7 décembre 2004).
• « We have to make sure our facilities are more widely accepted », Jean-Marie Dauger, Vice-président exécutif de Gaz de France, in PlattsLNG Daily, Tucson, vol 1 NO 87.
• « Le projet ne se fera pas si la population y est opposée » Jean Trudelle, chargé de projet, le 12 juillet 2004 à Saint-Michel.
• « On ne pourra aller de l’avant, c’est une certitude. Si vous n’avez pas l’accueil des municipalités, vous ne forcez pas une décision comme celle-là », Robert Tessier PDG de Gaz Métro, RDI, 23 novembre 2004 et Le Soleil, 24 novembre 2004.
• « Les grands projets ne peuvent pas s’imposer uniquement d’en Haut. Ils supposent un accueil favorable de la population », Jean-Paul L’Allier, conférencier invité à la Fédération des municipalités du Québec, Le Soleil, 30 septembre 2006.
• « J’ai acquis la conviction que le projet Rabaska ne se fera pas là. Aussi bien le dire, un projet imposé du haut vers le bas, qui rencontre une grande résistance est voué à l’échec », Thomas Mulcair, « Débat, Crise énergétique : mythes et réalités », Université Laval, le 29 mars 2006.

L’acceptation première doit venir du milieu le plus touché. Les résidants de première ligne d’un projet doivent avoir leur mot à dire, ce sont eux qui subiront les inconvénients et les impacts environnementaux et les risques sur le plan de la sécurité; le projet Rabaska, présentant des dangers importants pour les personnes ou les biens. Ce dernier aspect de la sécurité s’avère de première importance dans le rejet du projet par la population concernée. L’acceptation sociale se confond ici en partie avec la notion d’acceptabilité du risque. Le Dr Nantel précise « Un risque que l’on choisit volontairement est toujours plus acceptable que celui qui nous est imposé » . Puis, le spécialiste ajoute un paragraphe fort important qui s’applique bien au dossier analysé, dont la teneur est la suivante :
« Par le passé, la majorité des organismes officiels tenaient pour acquis que seuls les experts étaient en mesure de définir pour le public à quel niveau un risque devenait socialement inacceptable. On allait même jusqu’à établir une valeur numérique qui déterminait ce niveau de risque acceptable (exemple : un excès de cancer de 10-6) . De plus en plus, ce concept a évolué et l’on considère maintenant que le rôle des experts consiste à illustrer dans un langage compréhensible ce que représente ce risque tout en laissant à la population qui aura à subir ce risque le soin de décider si elle le juge acceptable ou non. L’évaluation scientifique du risque ne représente qu’une seule des étapes qui mènent à la définition de l’acceptabilité du risque. Par la suite, les notions de risque/bénéfice et de coût/bénéfice entrent en ligne de compte. En termes simples, ce sont ceux qui prennent le risque qui doivent juger de son acceptabilité » .

Dans tous projets, on devrait accorder une aussi grande importance, sinon plus, aux impacts humains par rapport aux aspects écologiques et environnementaux dudit projet. Si on réalise tous les inventaires nécessaires sur la faune, les poissons, les plantes rares pour démontrer que le projet est acceptable écologiquement, il serait anormal que les humains concernés (qui peuvent s’exprimer eux…) ne soient pas considérés… Sous cet angle, nous pouvons affirmer que depuis que Rabaska s’est tourné vers le territoire lévisien pour l’établissement de son terminal, la population la plus concernée n’a été respectée ni par le promoteur, ni par la Ville de Lévis. D’ailleurs, il est assez révélateur que dans la brochure grand public sur les impacts du projet, l’importance de l’impact sur les poissons du ruisseau Saint-Claude soit jugée très forte, alors que les impacts sur la qualité de vie et la santé humaine sont qualifiés respectivement d’importance moyenne ou nulle…

Dans un projet ayant autant d’impacts sur la population dans un rayon d’au moins deux (2) kilomètres, il est normal que l’acceptation sociale pose un problème majeur. La nature même du projet limite ses capacités d’acceptation. Aujourd’hui, serait-il possible d’implanter une raffinerie sur un site comparable à celui choisi par Golden Eagle (Ultramar) en 1968 à 100 ou 200 mètres de résidences? Dans le cas du projet Rabaska, la population a exprimé de diverses façons et à maintes reprises son refus du projet, comme le démontre le tableau 5.

Tableau 5: Événements ou faits démontrant la faible acceptabilité sociale du projet GNL-Rabaska

DATE ÉVÉNEMENT OU FAIT DESCRIPTION
5 avril 2004 Réunion du conseil municipal de Beaumont, projet de résolution d’appui au projet Au moins 150 personnes assistent à la réunion pour s’opposer à ce qu’une telle résolution soit adoptée
11 juillet 2004 Marche sur la route 132 et manifestation au théâtre Beaumont-Saint-Michel Au moins 250 personnes expriment leur opposition au projet de terminal de GNL lors des premières séances d’information de la population sur le projet
12 juillet 2004 Résolution contre le projet présentée au conseil municipal de Lévis Huit (8) conseillers se prononcent pour cette résolution et sept (7) contre, le maire Garon vote contre; la résolution n’est pas officialisée
25 août 2004 Résolution contre le projet adoptée au Conseil de l’Arrondissement de Desjardins Quatre (4) des cinq (5) conseillers appuient la résolution visant à « traduire l’opposition et les inquiétudes des citoyens »
4 octobre 2004 Résolution contre le projet adoptée par le Conseil de Ville de Lévis Onze (11) conseillers et le maire remplaçant (André Hamel) se prononcent pour et seuls trois (3) conseillers votent contre la résolution d’opposition au projet Rabaska
1 novembre 2004 Résolution de la municipalité de Saint-Laurent de l’Île contre le projet Résolution de s’objecter au port méthanier Rabaska adoptée l’unanimité
10 novembre 2004 Conférence de presse du « Front du refus » sur le projet Rabaska dans le secteur Lévis-Beaumont- Île d’Orléans Neuf (9) organismes environnementaux ou culturels expriment publiquement leur opposition :
AmiEs de la terre de Québec, Association des propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), Conseil des monuments et sites du Québec (CMSQ), Coalition Québec-Vert-Kyoto, Comité du NON à la centrale du Suroît, Conseil central de la CSN (Québec/Chaudière-Appalaches, GIRAM et Rabat-Joie
25 novembre 2004 Résultat du comité consultatif de Beaumont sur le projet Rabaska Après avoir sollicité des avis de divers experts, six (6) membres jugent le projet incompatible avec le milieu, un (1) membre (conseiller municipal) ne se prononce pas
5 décembre 2004 Référendum de la municipalité de Beaumont sur le projet Le verdict est clair : 72,6 % des électeurs (résidants de plus de 18 ans) de Beaumont disent NON au projet
6 décembre 2004 Résolution contre le terminal méthanier de Rabaska Suite aux résultats du référendum, le Conseil municipal de Beaumont « s’oppose fermement au projet d’implantation d’un terminal méthanier ». Adopté à l’unanimité
23 mai 2004 Spectacle bénéfice contre Rabaska Le spectacle rassemble 800 personnes au Cégep de Lévis-Lauzon
23 octobre 2005 Marche des opposants dans le Vieux-Lévis et Vieux-Port de Québec Environ 600 personnes participent à cette manifestation publique contre le projet Rabaska
8 juin et 15 juin 2005 Association de l’île d’Orléans contre le port méthanier tient deux séances d’information Au moins 350 personnes participent à ces séances et soutiennent leur nouvelle association dans la lutte contre ce projet
5 juillet 2005 Résultat du Recensement de l’APPEL dans un rayon de 5 km Une consultation « porte-à-porte » de 2362 personnes résidant à Lévis ou Beaumont (75 % des foyers du secteur) dans un rayon de 5 km du projet révèle que 70 % des personnes consultées sont contre Rabaska
19 décembre 2005 Règlement (No 523) de la municipalité de Beaumont sur l’entreposage de matières inflammables et explosives Ce règlement prohibe l’établissement d’un lieu d’emmagasinage de produits dangereux dans un rayon de un (1) km à l’extérieur des limites municipales
6 février 2006 Dépôt d’une pétition au Conseil municipal de Sainte-Pétronille Une pétition contre Rabaska, de 580 personnes opposées sur 800 électeurs, est déposée au conseil municipal
19 août 2006 Manifestation « Terre et Mer » de l’APPEL Environ 500 personnes manifestent contre le projet sur quatre sites riverains et sur le fleuve
13 septembre 2006 Requête au civil contre Rabaska, la Ville de Lévis et le ministère du DDEP Au moins 93 citoyens du secteur concerné endossent la requête

4.2 Une simili consultation de la population

Dans les directives environnementales des gouvernements, la nécessité de consulter les populations et plus spécifiquement les populations les plus touchées au début d’un projet est énoncée clairement.

La Directive du gouvernement du Québec invite avec insistance l’initiateur du projet « à mettre à profit la capacité des citoyens et des collectivités à faire valoir leurs points de vue et leurs préoccupations par rapport aux projets qui les concernent… Plus la consultation intervient tôt dans les processus qui mènent à une décision, plus grande est l’influence des citoyens sur l’ensemble du projet et nécessairement, plus le projet risque d’être acceptable socialement » .

Quant à la Directive fédérale, elle accorde une grande valeur aux connaissances des populations concernées dans la préparation d’une étude d’impact. On y lit notamment ceci :
« Le savoir des collectivités locales jouera un rôle aussi important que le savoir scientifique ou celui du domaine de l’ingénierie pour une bonne part des informations exigées dans la présente directive. Les promoteurs doivent pleinement tenir compte de l’expertise et du savoir des collectivités locales lors de la préparation de l’étude d’impact » .

Dans un avis que le GIRAM envoyait à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACÉE), le 13 mars 2006, dans le cadre de la consultation sur l’étude d’impact de Rabaska, nous formulions le commentaire suivant toujours pertinent:
« Les seules consultations dignes de ce nom ont été réalisées dans le cadre du projet localisé à Beaumont, de plus les compte rendus annexés à l’étude d’impact de ces rencontres du 10-11-12 juillet 2004 ne reflètent guère ce qui s’est dit et les inquiétudes véhiculées par les citoyens ou groupes.
Depuis la décision d’implanter ce projet à Lévis, un « nouveau projet » aux dires du promoteur, aucune réunion de consultation n’a été tenue dans le secteur d’implantation. Seules trois réunions d’information grand public (Tome 2 annexe F-4) ont été réalisées afin de « vendre » le projet comme on vend n’importe quel bien de consommation. Le promoteur a plutôt tenu ses consultations sous forme de lobbying dans des milieux politiques et économiques sympathiques à son projet.
Bref cette partie de la directive, n’a pas été réalisée de façon satisfaisante, nous demandons au promoteur de reprendre son processus de consultation en visant prioritairement les secteurs municipaux les plus touchés. » .

À cette demande retenue par l’ACÉE et retransmise au promoteur, Radio-Canada nous a appris le 20 avril 2006, que les promoteurs du projet d’un terminal méthanier « n’ont pas l’intention de tenir d’autres séances de consultation publique, malgré la demande exprimée par l’agence canadienne d’évaluation environnementale. Les promoteurs ont plutôt l’intention de démontrer que cette exigence est inutile puisque plusieurs réunions ont été tenues à Lévis et à l’île d’Orléans » .

Il est étonnant que le promoteur ait rejeté du revers de la main cette demande jugée pertinente par l’ACÉE. Une telle attitude démontre bien que, pour le promoteur, les gens les plus concernés ou les organismes les plus engagés ne comptent guère. D’ailleurs, la stratégie du consortium Rabaska a consisté essentiellement à se coller aux milieux politiques et à se servir des groupes économiques régionaux (Chambres de Commerce), comme lobbyistes, pour l’aider à passer ce projet de force. De plus, depuis le début du projet, Rabaska a toujours tenté de noyer l’opposition, de la marginaliser, notamment en tenant ses séances d’information et en faisant réaliser ses sondages à la grandeur de la nouvelle ville de Lévis. Les populations qui risquent d’être délogées, de subir de lourds impacts environnementaux, d’être menacées sur le plan de leur sécurité ou de voir leur propriété dévaluée ont été totalement ignorées.

Une citoyenne du secteur immédiatement concerné, madame Pierrette Bélanger, corrobore bien cette absence de consultation ou son processus défaillant. Elle écrit : « ce n’était pas des consultations dans le secteur, c’était adressé à toute la population, alors les gens les plus concernés étaient noyés dans la foule. Ils ont fait beaucoup plus de rencontres avec le maire de Lévis qu’ils ont réussi à avoir de leur bord qu’avec la population » .

Selon le GIRAM, la population la plus concernée a été ignorée par le promoteur sachant que son projet était inacceptable socialement et qu’il ne réussirait jamais à susciter l’adhésion des résidants directement touchés par ses éventuelles installations. Le président de Gaz Métro, Robert Tessier, lors d’une croisière sur le Louis Joliet, organisée par les Chambres de Commerce régionales le 16 juin 2004, reconnaissait que « le projet fait un peu de houle », mais « nous entamons un processus de consultation et d’information qui me tient beaucoup à cœur ». Tout ça dit très sérieusement devant un auditoire qui ne s’est jamais donné la peine d’observer de la fenêtre ou du pont du navire le beau paysage que cette implantation torpillerait et les dizaines de résidants du secteur descendus sur la grève avec des pancartes pour signifier leur non acceptation de ce terminal méthanier…

Dans son avis à l’ACÉE, le Conseil régional de l’environnement Chaudière-Appalaches (CRECA), à l’item « acceptabilité sociale », écrit ceci :
« Le promoteur considère que l’opinion de la population est partagée dans le secteur visé par le projet, en se basant notamment sur les résultats des sondages. Le promoteur devrait également présenter des résultats de sondages d’opinion pour les populations concernées directement par le projet, notamment les populations vivant dans le périmètre du secteur d’étude retenu. De plus, le fait d’accepter l’opposition comme « prévisible » (dixit Aperçu de l’étude d’impact environnemental du projet Rabaska, p.9), n’est-il pas une façon de minimiser le manque d’acceptabilité sociale du projet dans le secteur visé ».

Aujourd’hui, avec un peu de recul, peut-on dire que le processus de consultation tenait tant à cœur au promoteur? Oui « son information » sur le projet a bien pénétré les milieux politiques, gouvernementaux et municipaux, ainsi que les cercles économiques, mais quant à la « consultation », Rabaska s’est vite découragé devant l’opposition massive des citoyens lors des séances du 11 et 12 juillet 2004 à Saint-Michel-de-Bellechasse. Par la suite, ce fut, pour les citoyens les plus concernés, la grande noirceur jusqu’à la tenue des opérations séductions en grande salle de spectacle de février 2005. Depuis plus rien, seuls le conseil de ville de Lévis ou d’autres groupes « accueillants » ont bénéficié des informations privilégiées et rassurantes du promoteur.

Il faudrait peut-être ramener Rabaska à des définitions élémentaires des termes informer : « mettre au courant de quelque chose, renseigner » et consulter : « prendre avis, conseil de quelqu’un » (Petit Robert, 2006) afin que le promoteur distingue bien ces deux concepts. Il faudrait aussi comparer le processus suivi par Énergie Cacouna avec celui de Rabaska pour réaliser que le premier a beaucoup mieux compris les Directives gouvernementales que le deuxième. Que ce soit par les consultations et porte-ouvertes qu’Énergie Cacouna a menées dans le milieu concerné (voir liste de ces consultations par rapport à Rabaska sur les sites web respectifs) ou par sa présence assidue dans la municipalité de Cacouna, le promoteur du terminal méthanier de Cacouna a été plus à la hauteur des exigences attendues par le processus réglementaire gouvernemental que Rabaska. Bref, Rabaska a été un promoteur plutôt méprisant envers les citoyens directement concernés et les opposants en général!

4.3 Compensation dans le 1,5 km : un programme de déracinement planifié

Le 15 novembre 2006, les résidants vivant dans un rayon de 1,5 km du terminal méthanier projeté par le consortium Rabaska, recevait, par courrier recommandé, une offre de participer au programme de compensation, c’est-à-dire mettre leur maison en vente, s’ils jugeaient « inconfortables » de vivre dans le voisinage d’un terminal méthanier.

Près de 135 familles des secteurs limitrophes de Beaumont et de Lévis, implantées dans un milieu champêtre et fluvial offrant l’île d’Orléans et le plateau laurentien comme fond de scène se sont vu offrir « l’opportunité » de quitter leur cadre de vie où elles vivent depuis 5, 10, 30 ans ou des générations. Peu importe le nombre d’années d’occupation du territoire, c’est le même déchirement, le même déracinement, le même stress qu’aura à subir cette population établie dans une zone résidentielle ou agricole. Déjà, la machine d’appropriation du territoire du consortium Rabaska s’était mise en marche en 2004-2005 en prenant des options d’achat sur 270 hectares de terrain (les terres d’une dizaine d’agriculteurs à la retraite) alors que son projet requiert environ 40 hectares pour ses installations terrestres.

Avec son programme de compensation, Rabaska offre aux résidants l’occasion de déguerpir ou d’abandonner leur patrimoine en couvrant toute perte financière par divers dédommagements. Selon Rabaska, cette politique de compensation n’est pas élaborée pour des raisons de sécurité dans le rayon de 1,5 km – comme s’il était normal de vivre entouré de l’équivalent de 200 millions de mètres cubes de gaz naturel (contenu de GNL d’un des deux réservoirs et du méthanier accosté à la jetée)-. Pour le PDG Glenn Kelly, la politique vise plutôt à « compenser les personnes qui seraient inconfortables de vivre près du terminal, soit en période de construction ou d’exploitation, ou encore qui craindraient que l’arrivée du terminal ait un impact négatif sur la valeur de leur résidence » . Seriez-vous à l’aise de vivre là! Si oui, il y aura beaucoup de maisons à vendre bientôt dans le secteur… si le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et les gouvernements donnent le feu vert au projet.

Comble d’aberration, cette pseudo-stratégie de remplacement de la population actuelle, cette déstructuration sociale a été cautionnée par la Ville de Lévis. En effet, celle-ci a entériné en octobre 2006 par le biais d’une entente avec le promoteur, cette opération de contrôle par une entreprise privée d’une partie du territoire lévisien ou beaumontois, et cela, sans aucune consultation préalable de la population concernée. Encore une fois, les élus ont été plus sensibles aux dollars ( 7 millions annuels garantis par Rabaska) qu’au bien-être des citoyens directement touchés, y compris ceux de la municipalité voisine qui a rejeté massivement le projet par référendum en décembre 2004.

Est-ce normal de permettre éventuellement à de grandes corporations de s’approprier un territoire et d’en chasser les résidants? Bien sûr, que l’adhésion est volontaire et sans aucune pression allèguera le promoteur. Certes, on n’évacuera pas les personnes de leur milieu comme on l’a fait pour les animaux à la fermeture du jardin zoologique de Québec au cours des derniers mois, elles auront plus de temps… Mais, Rabaska propose aux propriétaires et à leurs familles la possibilité de déménager sachant fort bien que si le projet est accepté par les instances gouvernementales plusieurs de ces personnes ne peuvent envisager de subir l’enfer de la période de construction, la détérioration significative de leur qualité de vie et les inquiétudes liées aux dangers de vivre à côté d’une installation à hauts risques technologiques (On l’a déjà souligné, en France, les résidences les plus rapprochées sont à 2 ou 3 km d’installations similaires). À ces pressions larvées s’ajoute pour ces propriétaires l’appréhension de voir leur propriété devenir invendable ou d’avoir à la céder à vil prix si le projet se réalisait.

Sans entrer dans les modalités du programme de compensation, précisons que le promoteur propose aux propriétaires un plan de vente étalé sur une période entre 12 et 18 mois, assorti du paiement de divers frais connexes (évaluation de la propriété, déménagement, actes notariés, etc.). À la fin d’une période de 12 mois sans acheteur sérieux, Rabaska acquiert la propriété à l’intérieur des six mois suivants. Mais, il se réserve aussi l’opportunité d’acheter certaines propriétés, suite à une entente entre les parties, dans les premiers six mois de l’offre; dans ce cas, il vise sûrement à acquérir les résidences les plus rapprochées des installations projetées. Cette initiative de Rabaska, juste à la veille de la première partie du BAPE sur le projet, s’est avérée une pression et un stress supplémentaires sur une population qui subit depuis trois ans des effets psychosociaux intenables comme l’a démontré la Direction de la santé publique de Chaudière-Appalaches et de la Capitale nationale en cours d’audience. Mais l’envahisseur potentiel est tenace, il se sent supporté tacitement par le gouvernement et la petite élite politique et économique régionale. Mais les résidants sont déterminés à défendre leur droit de continuer à vivre dans leur milieu, le droit à un environnement sain et sans risque. Tout le monde a compris que cela ne peut se faire en cohabitant avec une décharge gazière manipulant plus de 5 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an…
Certes, dans le passé, les gouvernements canadien ou québécois ont déjà procédé à des dépeuplements de territoire, tantôt erronés, tantôt justifiés, pour des projets d’aéroport ou de parc (Mirabel, Forillon) ou pour la création d’un vaste espace industriel et portuaire (Bécancour) mais, en 2006, laisser un consortium d’entreprises créer un parc industriel privé en chassant la population occupant ce lieu depuis des générations, voilà un procédé digne d’un pays peu développé…

À RETENIR
Les résidants de première ligne doivent avoir une acceptation élevée du projet, car c’est leur cadre de vie qui sera affecté. Dans le cas présent, Rabaska a totalement ignoré les populations qui risquent de subir de lourds impacts (qualité de vie, sécurité, valeur de leurs biens). Ce n’est pas avec un programme de compensation invitant les résidants dans un rayon de 1,5 km à une relocalisation ou au déracinement qu’il suscitera leur adhésion.

5- Problématique de navigation et de sécurité maritime

Penser établir un port méthanier sur un fleuve difficile à naviguer, englacé cinq mois par année et situé à plus de 1 200 km de l’Atlantique, s’avère une idée des plus téméraires. Cette éventualité de voir circuler des méthaniers, que certains considèrent comme des « bombes flottantes », suscite craintes et inquiétudes, notamment sur le plan de la coexistence de ce transporteur avec les autres trafics et pour l’avenir économique de la voie fluviale.

5.1 Le terminal le plus risqué au monde pour la navigation…

Tous les professionnels de la navigation et les plaisanciers reconnaissent que le Saint-Laurent est l’un des fleuves les plus difficiles à naviguer au monde. Le tronçon entre Les Escoumins et Québec (129MN ou 224 km) est également considéré comme un des secteurs les plus imprévisibles pour la navigation. Selon la Garde côtière canadienne, « le changement des courants à toutes les heures et de vélocité diverse » auquel s’ajoutent des variations météorologiques souvent subites (vents, brouillards, brume), plusieurs secteurs de hauts-fonds et la présence de glaces cinq mois par an posent de nombreuses difficultés aux navires en direction amont ou aval.

À cela s’ajoute, la traversée d’une section plus étroite (305 m) et moins profonde (12,5 m) de 32 km, la Traverse du Nord, située entre la pointe d’Alliance et la pointe Saint-Jean devant l’île d’Orléans. Cette section est soumise à des courants de marées relativement forts de 3,5 nœuds (6,5 km/h) au baissant et de 3,0 nœuds (5,6 km/h) au montant, sans compter les événements de brouillard et de brume sporadiques. Le tout dans un couloir fluvial très achalandé accueillant de 6000 à 7000 navires par an. Enfin, le terminal GNL Rabaska serait localisé dans le carrefour maritime de Québec où convergent navires marchands de plus en plus gros, des bateaux de croisière de plus en plus nombreux (plus de 90 accostages par saison) et de multiples embarcations de plaisance (plus de 1500 usagers répartis dans les 7 marinas entre le quai de Berthier et la rivière Chaudière, sans compter les visiteurs).

Remonter un méthanier, sur un fleuve à l’humeur changeante, à destination d’un terminal localisé aussi loin de la mer, constituera une opération des plus risquées, particulièrement en raison de la nature de la cargaison. En plus, selon monsieur Jean Lemonnier de GDF aucun terminal méthanier n’existe présentement, ailleurs dans le monde, à l’intérieur d’un fleuve englacé. Généralement, les ports méthaniers se situent en bordure de la mer où à une faible distance de celle-ci. Puis, ces plans d’eau ne présentent pas des difficultés équivalentes au Saint-Laurent (Tableau 6).

Tableau 6 : Synthèse des difficultés et risques de navigation entre les Escoumins et Québec

Lieu particulier Conditions du milieu Difficultés et risques
Aval de l’embouchure du Saguenay Plusieurs périodes de visibilité réduites
Convergence des navires en raison de la zone d’embarquement des pilotes Plus grand risque de collisions
Vis-à-vis de l’embouchure du Saguenay Densité du trafic liée à la navigation commerciale et au tourisme fluvial et écologique
Forts courants transversaux et fréquentes périodes de brume en été
Les bâtiments doivent choisir de remonter le fleuve soit au nord ou au sud de l’île Rouge Navires arrivant dans diverses directions et multiples bateaux de croisiéristes et d’observateurs de baleines (embarcations peu détectables au radar)
Vigilance particulière en périodes de brume
Nécessite une bonne connaissance des lieux et des conditions locales
Risque d’être déporté vers les hauts-fonds ou zones de rochers
Au large de Pointe-au-Pic Zone de mouillage pour navires à fort tirant d’eau Nécessité d’attendre une marée montante pour franchir la zone en amont de 12,5 m de profondeur
Cap-aux-Oies Début du rétrécissement fluvial Hauts-fonds en bordure du chenal
Entre Cap-aux Oies et Cap-à-la-Baleine Fleuve encore large, mais parsemé de hauts-fonds
En amont de Cap-à-la-Baleine, récifs, bancs et îles divisent le fleuve Risque accru d’échouement en périodes de faible visibilité
Vigilance lors des croisements
Passage de l’île aux Coudres (Chenal du nord Passage profond et large de 1 MN, mais très forts courants (jusqu’à 7 nœuds) Zone dangereuse à cause des courants
Vigilance à l’égard des traversiers entre Saint-Joseph-de-la-Rive et l’île
Entre l’île aux Coudres et Cap Gribane (5 MN avant la Traverse du Nord) Courants encore forts, chenal assez large de 1,5 MN

Certaines partie du Chenal du nord n’ont que 12,5 m L’angle de dérive des navires accroît le potentiel de gravité en cas de collision
Des dragages d’entretien sont nécessaires pour maintenir la profondeur minimale de 12,5 m au zéro des cartes
De la pointe d’Alliance Gribane à la pointe Saint-Jean (Île d’Orléans) débute la Traverse du Nord Profondeur de 12,5 m et largeur de 305 m sur 32 km
Brume occasionnelle du printemps au milieu de l’été
Courants transversaux importants et zones de sédimentation dans la section en amont de la pointe est de l’île Risque de collisions plus grand en raison de l’étroitesse de la voie navigable
Présence occasionnelle de hauts-fonds ou de profondeurs moindres avant et durant les périodes de dragage (du printemps à la fin de l’été)

Risque d’échouement plus grand en raison du besoin d’une marée suffisante pour navires à fort tirant d’eau

Zone du port de Québec Trafic important, bâtiments en mouillage, navires d’excursion et navigation de plaisance
Courants de marée forts 4 nœuds (7,4 km/h) au baissant et 3.0 nœuds (5,6 km/h) au montant
Secteur fluvial en courbe (entre Lauzon et pilier Hydro Québec) changement de course nécessaire Facteurs d’incidents et de collisions
Vigilance accrue due au trafic
Manœuvres d’accostage difficiles ou parfois impossibles
4 sites de mouillage avec des navires sans pilote à bord
Les conditions de vents sont parfois sévères
Les glaces peuvent constituer un obstacle aux accostages
Courants et courbes : un autre navire pourrait s’échouer sur le méthanier accosté

L’ensemble de ces facteurs liés au milieu naturel, ainsi que beaucoup d’autres facteurs techniques et humains font que le Saint-Laurent et, plus précisément ce secteur fluvial, compte de nombreux accidents ou incidents maritimes. Selon, Denis Latrémouille, ex-directeur de la sécurité maritime à Transports Canada (région du Québec), « il y a déjà suffisamment de risques d’accidents dans ce secteur fluvial sans qu’on en rajoute avec un transporteur de produits dangereux qui accosterait sa cargaison dans un secteur sinueux du fleuve où les piliers hydroélectriques constituent déjà une contrainte supplémentaire à celles déjà existantes, sans compter les difficultés de navigation liées à la présence importante des glaces » .

Carte des accidents survenus entre 1988 et 2003
(source : Innovation Maritime, 2004, p.190.)

Ces difficultés et risques de la navigation précédemment soulignés ne font pas état des conditions hivernales qui amplifient les facteurs contraignants, notamment entre les Escoumins et Québec. Les éléments dangereux mentionnés deviennent encore plus périlleux et sont amplifiés par le fait que les aides à la navigation en période hivernale sont plus limitées et moins efficaces. Dans le rapport Innovation Maritime, préparé pour Transports Canada, on précise que « Le passage d’une saison estivale à une saison hivernale oblige la Garde côtière canadienne (GCC) à réduire les aides à la navigation, ce qui contribue à augmenter le risque à la navigation » . Et on explique les motifs en ces termes :
« Concrètement, la GCC doit procéder à l’enlèvement des bouées lumineuses pour la période hivernale afin d’éviter leur endommagement par les glaces. Les bouées lumineuses sont remplacées par des espars qui permettent de délimiter le chenal de façon visuelle (le jour) quand les glaces ne recouvrent pas le plan d’eau. Les espars sont aussi repérables par radar, mais offrent un écho radar de loin inférieur aux bouées d’été, plus grosses et équipées de réflecteurs radar. Il faut aussi mentionner que les espars, sont souvent immergés sous la glace, ne permettent pas d’intégrer des équipements lumineux ou des réflecteurs radar efficaces. » .

Les éléments naturels (brume, pluie et neige) peuvent affecter la visibilité ainsi que la réception de signaux électroniques, tant par le radar que d’autres équipements de positionnement électroniques. Dans le rapport Termpol (1985) sur le projet de SOQUIP de faire venir des butaniers dans le port de Montréal, le sous-comité sur l’accessibilité par navires disait souscrire à l’opinion du promoteur que « la glace, le brouillard, la neige et le givrage peuvent avoir une grande influence sur les routes suivies, la vitesse de transit et l’opération des transporteurs de GPL. Le sous-comité désire souligner que la présence d’icebergs doit aussi être prise en considération dans l’établissement de la route à suivre .

De plus sur le plan technique, en hiver, les conduites du système de refroidissement du moteur du navire aspirant l’eau du fleuve ou de la mer, sont souvent obstruées par le frasil ou la glace. Cela produit un arrêt complet du navire, parfois au centre du chenal, comme cela est arrivé au début de janvier 2006, vis-à-vis de la jetée projetée par Rabaska. Lorsque ces conditions prévalent dans un chenal étroit comme celui de la Traverse du Nord, cela représente pour les navires à forte dimension un impact direct sur le niveau de risque d’incidents ou d’accidents lors de leur transit. Les simulations faites par la Corporation des Pilotes qui ont tendance à minimiser les risques n’ont pas tenu compte du comportement d’un méthanier dans des conditions hivernales, ni des « minounes » de mer sillonnant le Saint-Laurent et représentant un danger imprévisible pour tous navires, y compris les méthaniers.

5.2 Des inquiétudes majeures reliées à la présence éventuelle de méthaniers dans le Saint-Laurent

Ces inquiétudes proviennent principalement des caractéristiques de la voie navigable mentionnées précédemment et des risques accrus d’accidents maritimes dans un Saint-Laurent en expansion sur le plan du trafic. Mais également des contraintes qu’entraînera la présence des méthaniers pour les autres transporteurs et des préjudices que les navires de GNL pourraient causer au développement futur de l’axe maritime fluvial.

Une section de la Traverse du Nord (délimitation pointillée avec bouées chaque côté)

Cette partie de la Traverse du Nord, entre la pointe est de l’île d’Orléans et le cap Tourmente, est parsemée de récifs et bancs de sédimentation en plus d’être soumise à de forts courants transversaux de marées et des vents brusques.

Le passage du chenal du Cap Brûlé et de la Traverse Nord (environ 32 km) représente le secteur maritime présentant le niveau de risque le plus fort pour la navigation, en raison de sa faible profondeur (12,5 m) et de son étroitesse (305 m). Pour maintenir cette hauteur d’eau et cette largeur dans le chenal, on effectue un dragage estival, mais « l’ensablement qui se produit le reste de l’année diminue graduellement à plusieurs endroits la largeur et la profondeur disponible des dragages annuels » . Ce secteur accueille déjà une centaine de pétroliers de 160 000 tonnes (1 million de barils de pétrole brut) nécessitant des tirants d’eau de 15,5 m, lesquels doivent attendre une marée suffisamment haute pour amorcer la traversée de ces chenaux. Déjà, les risques pris en utilisant la capacité maximale de navigation du fleuve sont immenses; en cas de problèmes techniques ou autres, la marge de manœuvre est très ténue. Nous ne voyons pas la pertinence, d’ajouter à cette situation préoccupante des méthaniers qui n’auront pas le tirant d’eau nécessaire à marée basse. Donc, même les méthaniers devront bénéficier des « fenêtres de marée » en amont de la Traverse du Nord pour remonter leur charge avec un minimum de sécurité. Selon le calcul du Centre de simulation de la Corporation des Pilotes , comme le méthanier a un tirant d’eau de 11,8 m, en ajoutant un dégagement sécuritaire sous la quille du méthanier de 2,31 m pour une vitesse de 12 nœuds, cela nécessiterait donc une profondeur totale de 14,11 m au zéro des cartes (14.31 pour les QFlex). Le rapport conclut que le minimum de marée requis pour répondre aux standards de sécurité est de 1,61 m. Existe-t-il bien des endroits au monde où on accueille des méthaniers sans avoir la profondeur requise en tout temps sur un parcours aussi long que 32 km?

Une autre source d’inquiétude provient de la nature des cargaisons des navires fréquentant le Saint-Laurent et des perspectives d’augmentation du trafic maritime pour les ports en amont québécois, canadiens ou américains.

Comme, Michel Boulianne de Transports Canada nous l’a révélé, le 12 décembre dernier, le trafic dans l’estuaire moyen et fluvial du Saint-Laurent est en pleine croissance. L’augmentation du tonnage au port de Québec (de 15 millions de tonnes en 2003 à 23 millions de tonnes en 2006) et du port de Montréal avec plus de 25 millions de tonnes reflète cette croissance du trafic. À la hauteur du Cap Brûlé, les transits de navires de plus de 20 mètres sont passés de 4 909 en 2003 à 5 516 en 2006 (données jusqu’au 22 novembre, soit environ 118,6 /semaine). En extrapolant un nombre d’environ 6000 passages en 2006, cela donne un taux d’augmentation de plus de 22 % depuis 2003. Fait étonnant, les statistiques des matières transportées révèlent que 50 % des navires sont des navires-citernes ou des navires chargés de matières dangereuses. Pour les navires-citernes, la raffinerie Ultramar, dont la capacité est passée à 215 000 barils par jour en 2006, atteindra 265 000 en 2007 et passera à court terme à 300 000 barils par jour de pétrole brut, n’est pas étrangère à cette augmentation . À la lumière de ces faits, il est important de souligner que les 200 passages de supers pétroliers seront propulsés à 300 d’ici environ 2015.

Aux navires transportant des substances dangereuses s’ajouteront dans les années à venir une croissance des porte-conteneurs (doublement depuis 15 ans), des navires de croisière et du cabotage sur le Saint-Laurent (motifs environnementaux). De plus, « la voie navigable du Saint-Laurent est une artère commerciale des plus stratégiques qui relie le Québec, l’Ontario, huit États américains, soixante-cinq ports par lesquels transitent plus de 250 millions de tonnes de cargaison annuellement » .

C’est en tenant compte des tendances actuelles et du contexte de l’avenir qu’il faut analyser la pertinence et les contraintes pouvant découler de l’établissement d’un port méthanier en aval de cette artère fluviale très fréquentée menant au cœur des activités économiques de « l’interland » du continent.

De plus, le projet de Rabaska sur le plan maritime ne suit pas les prescriptions recommandées par une organisation indépendante et reconnue internationalement en la matière, la « Society of International Gas Tanker and Terminal Operators » (SIGTTO), laquelle formule les recommandations suivantes :
• Toujours « considérer l’introduction d’une industrie du GNL dans une perspective de développement futur des activités maritimes et portuaires d’un lieu et tenir compte de l’impératif pour ces dernières de demeurer compétitives sur le plan commercial. Les ports sont dans un environnement dynamique, leurs modes d’opération vont à coup sûr changer dans le temps. L’environnement géographique dans lequel s’insère l’industrie de GNL va également changer, avec tous les risques qui y sont associés ».
• Les « ports de transbordement de GNL doivent être localisés loin des routes maritimes achalandées et en dehors des zones de trafic important ».
• «Aucune installation d’amarrage de méthanier ne devrait être implantée dans un environnement caractérisé par le déplacement à proximité de navires de gros gabarit».
• Privilégier les sites aux embouchures des couloirs fluviaux, plutôt que ceux qui sont situés loin à l’intérieur des côtes ».
• «En toutes circonstances, les méthaniers en transit doivent avoir priorité sur tout autre navire».
• Le transport du GNL ne fait pas bon voisinage avec les navires de passagers en raison du « risque humain » qui y est associé.

Les contraintes de navigation devant être exigées découlent des risques inhérents au GNL, une substance inflammable et explosive qui constitue une menace pour les populations riveraines et les autres navires rencontrés. Comme le souligne, l’expert américain Jerry Haven’s, l’inflammation du GNL d’un méthanier pourrait provoquer : « a half-mile fire, radiating heat that can burn a person a mile away, and a two- to three-mile potential traveling distance for a vapor cloud, should be a serious enough threat to encourage remote siting. And because the threat is on a tanker ship, the safe distances move with the ship. This danger zone now is a traveling danger zone, Havens said. It goes with the tanker » .

C’est en raison de la dangerosité de la substance transportée que les méthaniers, selon l’ancien directeur du port Nantes/Saint-Nazaire , ont « priorité absolue sur tout autre navire ». De plus, il confirme qu’une fois libéré de sa cargaison, « le méthanier est aussi dangereux que rempli et qu’alors, les mêmes règles de sécurité s’imposent ».

Certes, sur le plan de l’achalandage maritime, Rabaska argue que les 120 passages de méthaniers représentent un faible pourcentage de l’augmentation du trafic, mais ils forcent l’application de certaines dispositions contraignantes pour la navigation aux autres transporteurs. Contrairement, aux affirmations du promoteur, il est faux de prétendre que les méthaniers sont des navires comme les autres. Si c’était le cas, on n’appliquerait pas une « safety-security zone » d’un rayon de 1210 verges autour de la plate-forme de GNL « offshore » projetée par Broadwater dans le Long Island Sound , ni une distance latérale séparatrice de 750 verges (686 m) entre le méthanier et les autres navires . Aucun danger! On permettrait alors aux méthaniers de croiser les autres navires dans la Traverse du Nord, comme on le fait présentement pour tous les navires, y compris les pétroliers géants.

Au contraire, malgré son discours, le promoteur propose tout de même des règles de seuil minimal telles les suivantes :
• Aucune rencontre du méthanier avec d’autres navires dans la Traverse du Nord;
• Exigences de distances minimales de 2 milles nautiques (3,7 km) devant le méthanier et de 5 milles nautiques (9,3 km) derrière;
• Accompagnement d’un remorqueur escorte tout le long du parcours à partir de l’entrée amont de La Traverse du Nord;
• Aucune manœuvre des autres navires dans le secteur du quai durant les opérations d’évitement (virage) du méthanier (environ 30 minutes);
• Aucun accostage du méthanier lorsque le vent dépasse les 25 nœuds et déplacement du navire dans une zone d’attente face à pointe Saint-Jean en cas d’arrêt du déchargement.

Ces exigences auraient pour effet de causer des délais ou d’établir des contraintes horaires aux autres navires. Bref, elles nuiraient à la fluidité actuelle de la voie navigable laurentienne, alors qu’on sait, qu’avec la loi du « juste à temps » les navires marchands ou les grands paquebots sont soumis à une planification rigoureuse de leurs déplacements. On peut évaluer que le franchissement de la Traverse du Nord (à sens unique) et le revirement du navire dans le chenal pour l’accostage en un minimum de 2h30 dans des conditions de température idéales. Cela signifie que durant cette période, un navire de croisière accosté au Port de Québec et désireux de se diriger vers l’aval devrait ajuster son horaire en conséquence. Patrick Plante de l’Association de l’île d’Orléans contre le port méthanier avait raison d’alerter les compagnies de croisière. Le PDG du Port de Québec, Ross Gaudreau devrait s’en préoccuper lui qui affirme régulièrement que cette industrie est très fragile et très compétitive…

Nous avons sollicité en juillet l’avis d’un expert des transports maritimes et plus particulièrement du Saint-Laurent, le géographe Jean-Claude Lasserre , auteur de l’ouvrage « Le Saint-Laurent, artère vitale de l’Amérique», ce dernier se dit catastrophé du port méthanier projeté dans la section choisie du fleuve. Dans un retour de courriel au président du GIRAM, Gaston Cadrin, le 7 août 2006, il mentionne avoir lu les documents envoyés et ceux suggérés sur Internet (dont le site du promoteur) et il exprime le commentaire suivant :
« Ces rapports me paraissent éloquents, en ce sens qu’ils montrent bien que les responsables de ce projet tentent d’imposer un investissement minimum de leur part, peut-être en essayant de profiter des lacunes de la réglementation dans ce domaine? Cela est d’autant plus scandaleux qu’un partenaire du projet est Gaz de France, et dont vous faites état. Vous avez raison de vous battre contre ce projet, qui compromettrait gravement l’avenir de la voie navigable du Saint-Laurent, et celui des principaux ports du Québec, en limitant sévèrement sa capacité chaque fois qu’un méthanier viendrait accoster au débarcadère projeté. Ce serait une catastrophe non seulement pour la navigation de croisière, mais aussi pour le transport de marchandises par voie d’eau (vracs et conteneurs). Le Québec ne peut se permettre de lâcher sur ce point! ».

Bien que ce projet fera l’objet d’un rapport du comité Termpol (qui malheureusement n’était pas disponible pour les audiences publiques ) à la lumière de l’analyse du projet de Cacouna Énergie sur les risques et la sécurité maritime inhérents aux méthaniers, il faut s’attendre à quelques mesures d’atténuation sans plus, non à un rejet du projet. Pourtant, si ce comité suivait vraiment les suggestions des théoriciens du ministère des Transports (Document TP 743 F, Partie 3) qui s’inspirent de la SIGTTO, ou encore les règles appliquées par la Garde côtière américaine (voir Annexe 3) pour divers terminaux de GNL « offshore » en bordure des côtes, le projet Rabaska serait irrecevable sur le plan de la sécurité maritime.


À RETENIR

Déjà, le Saint-Laurent encoure d’énormes risques, notamment avec des pétroliers de plus en plus nombreux qui doivent franchir la Traverse du Nord seulement dans des conditions de marées hautes, en raison de la profondeur insuffisante de ce secteur. Pourquoi devrions-nous ajouter aux risques existants des navires apparentés transportant une substance inflammable et explosive? De plus, la présence de méthaniers jusqu’à Québec, une zone de trafic maritime importante, nécessitera l’application de mesures de sécurité contraignantes pour les autres transporteurs faisant l’aller-retour entre les 65 ports en amont. L’expert en transport fluvial sur le Saint-Laurent, Jean-Claude Lasserre, croit que ce serait catastrophique pour la navigation de croisière et le transport des marchandises sur le Saint-Laurent.

6- Une justification énergétique peu convaincante

Une des premières conditions d’acceptabilité d’un projet est sa justification. Sur le plan des besoins énergétiques pour le Québec, le promoteur éprouve de grandes difficultés à convaincre de la nécessité de son projet. Combien de terminaux méthaniers sont nécessaires pour combler ces prétendus besoins? Est-ce que toutes les alternatives d’approvisionnement en gaz naturel ont été sérieusement étudiées? Est-ce que la justification énergétique s’explique avant tout par la compétition ou la lutte de Gaz Métro avec son fournisseur habituel Trans Canada? Est-ce qu’une partie du gaz est destinée au marché américain? Depuis l’annonce du projet, y incluant la première partie des audiences, on perçoit beaucoup d’ambiguïtés et de restrictions mentales dans le discours du promoteur. Dans cette partie, nous essaierons d’éclairer davantage la Commission sur ces aspects.

6.1 Satisfaire les besoins en gaz naturel du Québec ou des voisins

Présentement, il y a trois projets de terminaux méthaniers sur les tables à dessin. Le projet de Grande-Anse est le moins avancé, ne bénéficiant pas pour l’instant du soutien d’un promoteur majeur; par contre, ces initiateurs régionaux aimeraient bien cependant que ça devienne le plan B de Gaz Métro… D’autre part, Énergie Cacouna (TransCanada et Pétro Canada) a vu son projet accepté par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Rapport 230, novembre 2006). Ce promoteur a entrepris, dès le début de 2007, des démarches à l’Office national de l’énergie (ONE) pour la construction du gazoduc nécessaire entre Cacouna et Saint-Nicolas (240 km). Le marché visé par ce projet d’importation de GNL est le Québec, l’Ontario et le Nord-Est américain. Dans le cas de Rabaska, il s’agit d’un projet équivalent en volume à celui de Gros-Cacouna, soit l’importation d’environ 500 millions de pi. cu./jour.

Les besoins du Québec en gaz naturel sont justement de l’ordre de 500 à 600 millions de pi. cu./jour et on ne prévoit pas une croissance phénoménale de cette source d’énergie au Québec pour la prochaine décennie compte tenu des ressources hydroélectriques et du potentiel éolien. Ces projets de terminaux privés représenteraient quatre fois la consommation quotidienne de gaz naturel au Québec. Ils se sont structurés spontanément sans aucune analyse critique des besoins énergétiques du Québec et avant l’adoption d’une véritable stratégie énergétique nationale. À la lumière des statistiques mentionnées, cela signifie qu’il n’y a pas de place pour deux ports méthaniers au Québec, à moins de vouloir jouer un rôle de transporteur d’énergie vers nos voisins (Ontario et USA), un rôle peu structurant pour notre économie et déstructurant pour notre environnement. D’ailleurs, le vice-président de Gaz Métro et responsable du projet Rabaska à l’été 2004, monsieur Jean Simard, a déjà confirmé ce fait : « Nous ne croyons pas qu’il y a de la place pour deux terminaux méthaniers » . Pour sa part, le vice-président exécutif de Gaz Métro (Pierre Despars) n’est pas certain qu’il y a vraiment de la place pour deux terminaux concurrents dans l’Est du Canada, il affirme « du point de vue de l’investisseur que nous sommes, c’est moins intéressant » . S’il y en a deux, il est clair que le Québec s’en servira principalement comme lieu de transit à des fins d’exportation. Si le promoteur Cacouna Énergie ne s’est pas gêné pour affirmer qu’il visait à acheminer une partie du gaz importé sur le marché américain, Gaz Métro se défend bien de vouloir le faire.

Toutefois, lors de la Commission parlementaire sur l’énergie, les représentants de la compagnie ont précisé que le projet Rabaska «ça va être un terminal marchand; n’importe qui va pouvoir acheter du gaz naturel à la sortie de ce terminal-là » . Pour le vice-président de GDF (40 % du gaz éventuel de Rabaska), monsieur Didier Holleaux, le marché américain est loin d’être exclus « Nous visons le marché du Québec et de l’Ontario, mais si quelqu’un veut le revendre aux États-Unis, je peux difficilement les en empêcher » . Plus récemment, lors d’une conférence internationale sur l’énergie à Oran en Algérie, le même vice-président Holleaux encourageait la compagnie gazière algérienne Sonatrach à exporter du GNL vers l’Amérique en affirmant « que les futures installations de GDF dans la région de Rabaska dans le Québec (Canada) peuvent permettre à Sonatrach d’accéder à de nouveaux marchés américains. Le trajet en direction du Québec est plus court que vers le Golfe du Mexique, ce qui induira inévitablement une baisse des charges, a-t-il expliqué, affirmant la disponibilité de son groupe à permettre à Sonatrach d’utiliser ses capacités de regazéification » .

Pour vendre son projet, Rabaska a utilisé amplement l’argument de la sécurité énergétique du Québec et que le fait de s’approvisionner d’un seul fournisseur aurait une incidence éventuellement sur le coût du gaz naturel pour les consommateurs québécois. Compte tenu que le marché du gaz naturel est continental, on ne voit pas une quelconque influence possible sur les prix à long terme; la fameuse baisse de 5% est peu crédible. Quant à la sécurité énergétique, on argue que la disponibilité en gaz de l’Ouest canadien est susceptible de diminuer dans l’avenir en raison de la croissance des exportations vers les USA et d’une utilisation accrue du gaz pour l’extraction du pétrole des sables bitumineux . Par contre, on affirme que malgré la présence du terminal Rabaska, le gazoduc de l’Ouest continuera à fournir une partie du gaz naturel au Québec.
Le réseau de gazoducs existant démontre bien leur interdépendance dans le marché du gaz naturel à l’échelle continentale (source : mnpp.com).

En somme, c’est l’argument de la diversification des approvisionnements en gaz naturel qui est le plus fréquemment évoqué par Rabaska pour justifier l’implantation de son terminal méthanier. Mais est-ce une diversification au profit de Rabaska ou du Québec?

6.2 Le réseau de gazoducs du Nord-Est pour l’exportation

Présentement, toute la tuyauterie est en place, de part et d’autre de la frontière américaine pour permettre un flux vers le sud ou l’inverse. De plus, les intérêts énergétiques canadiens ont également traversé la frontière en investissant massivement dans les entreprises gazières du Vermont et du Maine. Le tableau suivant procure un aperçu de l’état de situation.

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Tableau 7 : Le réseau gazier du Nord-Est du continent et les acteurs

Nom du gazoduc et année d’opération Parcours géographique Entreprises impliquées Répartition des parts
TQM (Trans Québec & Maritimes) 2000 Lachenaie-East Hereford (213 km) Gaz Métro et TransCanada 50 %
50 %
PNGTS (Portland Natural Gas Transmission System) 1999 -Du nord au sud de Pittsburg, N.H et Westbrook, Maine (232 km, tuyau de 24 po.) et dessert l’agglomération de Portland
-De l’est vers l’ouest, De Westbrook à Dracut Mass. (163 km, tuyau de 30 po.), utilisation conjointe avec MNP Gaz Métro TransCanada 38,3 %
61,7 %
MNP (Maritime & Northeast Pipelines) 1999 Île de Sable ou Goldboro (N.É), Maine, New Hampshire, jusqu’à Dracut (Mass.) où il se raccorde au North American Pipeline en direction sud (1300 km, tuyau de 30 po). Capacité actuelle 600 M pi cu/jour
Projet d’augmentation de la capacité de compression soumis à la FERC en juin 2006 (Baileyville et Dracut) Duke Energy
Exxon Mobile
Amera Non connue
NNEEC (Northern New England Energy Corp) Transport et distribution de gaz dans l’État du Vermont
L’approvisionnement se fait par un pipeline de TransCanada entre Montréal et Highgate, Vermont près de la frontière Gaz Métro (acquisition récente de Vermont Gaz et de Green Montain Power)

PNGTS :
TransCanada
Gaz Métro 100 %

61,7 %
38,3 %

Maintenant, nous sommes en mesure de comprendre que tout est en place pour l’exportation du gaz naturel vers les États-Unis, ce qui se fait déjà vers le Maine depuis l’an 2000. D’ailleurs, les analystes énergétiques, contrairement à nos initiateurs de projets de GNL au Québec présentent plus objectivement les choses sur le sujet.
The Gros Cacouna project sponsored by TransCanada and Petro-Canada as well as the separate Rabaska terminal planned by Gaz Métro, Enbridge and Gaz de France at East Lévis are aimed primarily at the local market. However, surplus gas not consumed in Quebec could be directed down PNGTS to Dracut, where it would compete with incoming flows from Canaport transported on the Maritimes system » .

Carte du réseau de transport du gaz naturel dans le Nord-Est du Canada et des États-Unis

Source : www. mnpp.com

Plus à l’ouest, avec l’achat de Vermont Gaz et Green Montain Energy par Gaz Métro, le gaz de l’Ouest ou le gaz en provenance des terminaux de GNL du Québec seront les bienvenus. D’ailleurs, TransCanada vient juste de passer en audiences environnementales (automne 2006) avec son projet de connexion alternative de 6,5 km à Saint-Sébastien (QC) pour un poste de mesurage qui « vise à répondre à la demande croissante de ses clients dont plus particulièrement Gaz Vermont (propriété de Gaz Métro) » . Cette tendance à exporter davantage de gaz naturel vers les États-Unis fait partie d’une stratégie qui est

envisagé depuis longtemps et par son associé Gaz de France (GDF) qui possédait environ 23,7 % des parts dans Gaz Métro, depuis sa participation dans Noverco en 1994 . L’article à l’annexe 2, « Avec Noverco, Gaz de France part à la conquête du marché gazier du Québec et du Nord-Est des É.-U. » est on ne peut plus clair. Par cette participation significative, « GDF devient un partenaire clé dans un ensemble de projets qui visent le développement du gaz au Québec, mais également la distribution sur l’énorme marché du nord-est des États-Unis » . Plus loin, le directeur général de Gaz Métropolitain d’alors, André Caillé, ajoute : « il s’agit pour le groupe de ne plus se contenter du marché québécois, trop restreint et d’avoir accès aux marchés de l’Est américain, qui représentent 3 milliards de m3 de gaz par an » . Ce nouveau contexte d’affaires intègre, bien sûr, un terminal méthanier comme le souligne l’extrait suivant :
« À plus long terme, la construction d’un terminal méthanier sur les rives du St-Laurent devrait permettre au Québec de s’intégrer au marché mondial et d’importer du gaz naturel liquéfié, alors qu’actuellement il est totalement dépendant des quelques 600 producteurs de l’ouest canadien. Cette diversification nous permettra uniquement de négocier le gaz au meilleur prix, car le gaz ne manque pas au Canada, indique M. Caillé » .

Nous sommes contents d’apprendre qu’il y du gaz abondamment au Canada… De plus, ces informations nous révèlent les objectifs à long terme de Gaz Métro et de son partenaire GDF entre autres, à l’égard du marché américain. Avec la fusion GDF-Suez, la nouvelle implication financière de GDF, avec une participation de 40 % dans le projet Rabaska risque de s’avérer très rentable et très stratégique. Quand on sait que la filiale américaine de Suez (Suez Energy North America) est le troisième fournisseur d’électricité aux consommateurs commerciaux et industriels aux États-Unis , desservant principalement la côte est américaine, qu’elle possède le terminal d’Everett en face de Boston, qu’elle vient de recevoir le feu vert de la FERC pour ces deux projets de terminaux de GNL (Neptune et Calypso), cela nous donne une idée des stratégies qui se dessinent sur le plan énergétique entre le nord et le sud la région. La réalisation du projet Rabaska permettra à GDF et Suez de contrôler une grande partie de l’importation et la distribution du gaz entre Montréal et la Floride.

6.3 Une alternative: l’importation de gaz naturel en provenance des Maritimes via le Maine

Avec l’acceptation du projet d’Énergie Cacouna à Gros-Cacouna, il est à se demander si le Québec a besoin de plus de gaz naturel compte tenu que l’augmentation de la demande, notamment pour la production d’électricité est quasi nulle d’ici 2025 et que la croissance du marché résidentiel progresse à pas de tortue. L’apport de Cacouna en GNL et la disponibilité à long terme de gaz en provenance de l’Ouest canadien semblent suffisants pour desservir le marché québécois. Mais advenant que cet approvisionnement ne soit pas suffisant, compte tenu de l’implication de Gaz Métro et de TransCanada dans le secteur gazier du Maine, il sera possible d’envisager un retournement du flux de gaz naturel dans les gazoducs existants de TransQuébec et Maritimes Pipeline et dans celui de Portland Natural Gas Transmission System (PNGTS) entre Westbrook et Lachenaie (445 km).

Cette alternative de s’approvisionner à partir des terminaux en construction ou projetés dans les Maritimes et dans le Maine n’a pas été suffisamment étudiée avant d’être rejetée. Le projet Canaport à Saint-John est en construction (1 milliard de pi.cu./jour), le projet Anadarko à Bear Head dans le détroit de Canso (1 milliard de pi.cu./jour) a son permis de construction, bien que le projet a été vendu en août 2006 à Energy Venture, mais celle-ci s’apprête à construire les deux réservoirs de 180 000 m3 . À cela s’ajoute le projet, plus hypothétique, de Keltic Petrochemicals à Goldboro (N.É.) et les deux projets de GNL du Maine, Downeast LNG et Quoddy bay, situés dans la baie de Passamaquoddy (Robbinston et Pleasant Point) dont l’accès, le Bear Head Passage, est frontalier avec le Nouveau-Brunswick. Au total, la disponibilité en gaz naturel liquéfié de cette région pourrait atteindre un potentiel de 5 milliards de pieds cubes par jour d’ici 5 ans.

De plus, Maritimes & Northeast Pipeline se prépare à renforcer ses capacités de pompage et à ajouter une station de mesurage à Baileyville afin de pouvoir acheminer le gaz des terminaux de Saint-John et de Goldboro dans son réseau vers Westbrook et Dracut Mass. (voir carte du réseau de Nord-Est). Il est étonnant que le promoteur et son porte-parole balaient du revers de la main cette alternative, alors que les infrastructures sont existantes et que l’importante importation de GNL qui se prépare du côté est pourrait rendre le gazoduc vers le nord totalement disponible. D’ailleurs, des spécialistes de l’énergie (Potens & Partners) considèrent cette possibilité comme réaliste compte tenu que le gazoduc est déjà réversible. Il serait envisageable d’importer du gaz en provenance du terminal de Canaport à Saint-John comme l’auteur de l’article le spécifie.
« Gas from the terminal could also find its way into Quebec via the Portland Natural Gas Transmission System, which interconnects with Maritimes at Westbrook, Maine. While supplies typically move down PNGTS from the TransQuebec and Maritimes Pipeline, PNGTS is a bi-directional line and this presents potential backflow opportunities » .

Certes, cette alternative ne ferait pas l’affaire de Gaz Métro et de ses partenaires d’affaires, mais même monsieur Tessier, président de Gaz Métro reconnaît sa faisabilité. Pour Robert Tessier, « l’échec du projet «coûterait cher» au Québec. Le Nouveau-Brunswick serait alors une autre avenue envisagée pour le transport du gaz au Canada» .

À RETENIR

L’acceptation probable du projet d’Énergie Cacouna et la disponibilité à long terme du gaz naturel de l’Ouest canadien suffiront amplement à la desserte du marché québécois au cours de la prochaine décennie. Advenant des besoins supplémentaires, un inversement du flux gazier dans le gazoduc Portland-Lachenaie (445 km) permettrait de s’approvisionner, selon les besoins, à même le GNL des multiples projets acceptés ou probables dans les Maritimes ou le Maine.
Dans un tel contexte, le terminal de GNL Rabaska devient alors superflu, à moins que les intérêts corporatifs passent avant les intérêts du Québec. Sachant que Gaz de France vise depuis longtemps l’accès au marché énergétique américain, sachant également que la fusion avec Suez, déjà bien implantée en Nouvelle-Angleterre, favorise cette exportation de gaz du nord vers le sud, la vigilance s’impose.

7- Bénéfices économiques/pertes économiques, sociales et environnementales

Dans cette partie, nous démontrerons que les bénéfices escomptés ne suffiront pas à combler les pertes économiques, sociales et environnementales. À ce compte, il aurait été indispensable que la Ville de Lévis fasse réaliser une étude sur ce sujet, d’autant plus que les velléités de développement industriel dans la zone convoitée par Rabaska avaient été réactualisées en 2001 par rapport au schéma de 1987. De plus, nous tenterons de démystifier la filière du froid et de vérifier si ce projet est vraiment bénéfique pour l’économie de la région et même celle du Québec.

7.1 Aucune étude sur les avantages et les inconvénients de ce projet

Malgré qu’elle ait adopté une résolution formelle contre Rabaska, le 4 octobre 2004, les opposants ont été étonnés de voir la Ville de Lévis se laisser amadouer graduellement par le promoteur Rabaska, après le rejet de Beaumont. Ceci s’explique par le fait que le promoteur est arrivé dans un moment fort propice : le début de l’année électorale. À la lumière de quelques sondages plutôt favorables à la grandeur de la nouvelle ville, les conseillers et prétendants à la mairie sont devenus plus ouverts au projet de terminal de GNL, notamment parce qu’avec le déplacement de 300 mètres du projet sur le territoire lévisien, les redevances en taxes devenaient tout à coup fort alléchantes pour des politiciens en mal d’élection ou de réélection.

Le communicateur Bernard Dagenais, un ancien maire de Sainte-Pétronille, perçoit bien certaines réactions d’élus et leurs motivations dans l’acceptation de projets. « La quête de nouvelles sources de taxation devient alors l’obsession de la gestion municipale et entraîne une dynamique aveugle de développement » . Après quelques mois, le charme « financier » de Rabaska était devenu irrésistible pour la plupart des élus. Si bien que le 2 mai 2005, une nouvelle résolution du Conseil municipal déclare la Ville « favorable à l’implantation du terminal et du gazoduc conditionnelle à l’obtention d’approbations de nombreuses instances gouvernementales notamment en regard de la sécurité et de l’impact environnementales des installations ». La Ville est également disponible à « entreprendre les démarches requises pour la conclusion d’un protocole d’entente avec la Société en commandite Rabaska » et à « supporter les démarches nécessaires à la réalisation du projet dont le processus devant la Commission de la Protection du territoire agricole ». Tout ceci, bien sûr, sans la moindre consultation de la population du secteur Ville-Guay directement concerné. La seule « consultation » qui surviendra par la suite sera une séance « d’écoute active », le 4 mai 2006, destinée à l’ensemble de la population de Lévis.

Mais, le plus aberrant dans ce revirement est que la Ville n’ait jamais voulu analyser les avantages et inconvénients d’accueillir une infrastructure de GNL sur son territoire. À plusieurs reprises, le GIRAM et des citoyens ont réclamé à la Ville de Lévis, entre autres aux réunions régulières, qu’elle commande à une firme une étude indépendante, notamment :
« Sur les aspects non couverts ou faiblement couverts dans la future étude d’impacts du promoteur, à savoir : quels sont les avantages et les inconvénients pour la Ville de Lévis d’accueillir ce type d’infrastructures sur son territoire, en considérant les aspects économiques, sociaux, humains, de sécurité civile et les incidences sur l’aménagement futur du territoire?
La grille d’analyse d’un tel processus doit concerner les responsabilités d’une ville par rapport à ses citoyens, l’utilisation du sol et sa vision stratégique du développement de la ville; l’exercice de planification stratégique réalisée par la Ville de Lévis, en 2003, devrait servir de référence » .

Cette demande fort appropriée couvrait des responsabilités essentiellement municipales qui ne dupliquait aucunement l’analyse future du projet effectuée dans le cadre du processus d’audiences publiques sur l’environnement. La Ville craignait-elle qu’une étude fasse la démonstration que le projet dans une perspective de développement durable de la Ville était peu emballant? Pourtant, une telle étude n’aurait pas été un précédent!

En 1990, la Ville de Lévis-Lauzon avait commandé une étude à la firme Daniel Arbour et Associés « afin d’évaluer les opportunités réelles offertes par le secteur Ville-Guay pour l’implantation d’industries de grand gabarit ». Le but du rapport était de dresser un portrait de la situation qui permette d’orienter la prise de décision municipale particulièrement sur la pertinence du site pour les entreprises à grand gabarit, l’intérêt de la Ville de se porter acquéreur de surfaces de terrain, etc. Le rapport évoque certains bénéfices, mais met en garde la Ville que le marché de l’industrie de grand gabarit offre peu d’opportunités à la municipalité (p.41) et qu’une minorité de projets nécessite la mise en place d’équipements portuaires. L’expert met aussi en garde la Ville sur les contreparties négatives de ce type de projet en ces termes : « Sans mépriser l’apport que peut représenter un méga-projet, il faut néanmoins le pondérer des inconvénients qu’il peut comporter au plan du cadre de vie que souhaitent les citoyens » . Concernant le projet Rabaska, cette pondération n’a pas eu lieu de la part de la Ville de Lévis, ni de la part de la Communauté métropolitaine de Québec malgré « la belle vision » que celle-ci vient d’élaborer sur le développement future de l’agglomération.

7.2 L’illusion entretenue d’une industrie cryogénique connexe

Depuis le début du projet, certaines personnes ont laissé croire que le complexe de GNL attirerait certaines industries, notamment du secteur agro-alimentaire, pouvant bénéficier d’une récupération du froid lié à la liquéfaction du gaz naturel (moins 160 degrés Celsius). L’origine de l’idée semble provenir d’une étude réalisée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation au temps où on analysait les projets industriels connexes au terminal méthanier projeté par TransCanada Pipeline à Gros-Cacouna en 1981. Jean Garon, ancien titulaire de ce ministère, maire de la nouvelle ville de Lévis (2002-2005) et favorable au projet Rabaska, repris cette idée et la diffusa auprès de certains élus et fonctionnaires de la Ville. D’ailleurs, dans l’Avis de la Ville concernant la Directive de L’ACÉE, on y fait référence ainsi :
« Examiner la possibilité d’y aménager un parc spécialisé dans l’industrie agroalimentaire où seraient privilégiés la construction de serres alimentées par gaz naturel à tarif préférentiel de même que des centres d’entreposage et de transformation agroalimentaire dont l’approvisionnement « en froid » serait assumée par l’entreprise » .

Ces possibilités d’industries connexes à l’apport cryogénique du GNL ont été à nouveau évoquées à quelques reprises par les représentants de la Ville de Lévis et Glenn Kelly au cours de la première partie du BAPE. Elles ont mêmes été inscrites dans l’entente entre la Ville et le promoteur, signée à l’automne 2006. De plus, le PDG de Gaz Métro, Robert Tessier, en a parlé à quelques reprises dans ses conférences ou entrevues avec les médias.

Ce développement de la filière du froid est plutôt de la poudre aux yeux. Lors de notre mission en France, nous avons interrogé les représentants de Gaz de France à ce sujet, à savoir s’ils connaissaient des terminaux de GNL où des industries frigorifiques s’étaient établies à proximité de telles installations? La réponse fut : « Rien, en Europe, sur ce plan, rien au niveau des industries agroalimentaires; ici, Air Liquide est en synergie avec l’usine de regazéification, mais cela doit se faire au moment de la conception technique du projet » . Si la France, avec toute sa variété de productions agroalimentaires ne le fait pas, alors oublions cela pour le Québec!

7.3 Le boum des emplois temporaires, après les impacts économiques néfastes…

Certes, la construction du terminal créerait un boum d’emplois dans la construction au cours d’environ trois ans, mais en cours d’exploitation, il faut prévoir de 35 à 40 emplois comme la plupart des terminaux de GNL (Cacouna ou d’autres), au lieu des 70 annoncés par le promoteur. De plus, on ne peut entériner le projet sur la base des 500 emplois annuels prévus pour quelques années, comme on n’accepte pas des projets de construction de centrales hydroélectriques sur ce critère. Le projet doit être justifié et localisé sur un site acceptable sur le plan environnemental et social. Ce qui n’a pas été démontré. Ceux qui font la promotion de Rabaska exclusivement pour la création d’emplois ne présentent pas un argument de poids compte tenu du contexte économique actuel dans la région. Les régions administratives de Québec et de Chaudière/Appalaches frôlent le plein emploi. Certaines entreprises éprouvent même des problèmes à recruter la main-d’œuvre dont elles ont besoin . Une nouvelle récente à RDI , nous apprenait que la région métropolitaine de Québec a créé 15 000 emplois et atteint une croissance économique de 4 %, ce qui la place au 4ième rang des agglomérations urbaines canadiennes, derrière Edmonton, Calgary et Vancouver. De plus, son taux de chômage est le plus bas à l’échelle canadienne.

En raison de la nature même du projet, de l’appropriation d’un très vaste espace et des impacts sur l’aménagement du territoire pour la Ville de Lévis, l’île d’Orléans et l’ensemble de la CMQ, le projet Rabaska est non seulement inacceptable, mais s’il s’implante, il est susceptible d’entraîner dans son sillage des conséquences négatives non négligeables sur le plan économique. Les dommages de nature économique tiendraient principalement au fait que l’implantation du terminal, jumelée à un développement éventuel d’équipements portuaires et d’industries indésirables, une fois cette première verrue mise en place, porteraient un coup fatal aux aspects esthétiques et paysagers de cette entrée maritime exceptionnelle de Québec.

En plus de porter atteinte à un des secteurs ruraux et fluviaux, parmi les plus remarquables sur le plan esthétique et panoramique du Saint-Laurent, l’aménagement d’une zone de développement industrialo-portuaire porterait ombrage à la valeur symbolique et emblématique de l’île d’Orléans, un patrimoine national irremplaçable. Le paysage a une grande valeur culturelle et mais aussi une grande valeur économique!
La Convention européenne du Paysage (2000), le reconnaît formellement dans son préambule en ces termes :
« Notant, que le paysage participe de manière importante à l’intérêt général, sur le plan culturel, écologique, environnemental et social, et qu’il constitue une ressource favorable à l’activité économique, dont une protection, une gestion et un aménagement appropriés peuvent contribuer à la création d’emplois » .

La Convention reconnaît également que le paysage est un élément important de la qualité de vie des populations. Un Collectif d’associations organisant les États généraux du paysage en France, le 8 février 2007, décrit ainsi l’importance du paysage : « le paysage est culturel, fruit d’un regard sensible et d’une représentation du territoire au fil de l’histoire. Il est à la fois un héritage pour chacun et un bien commun composé d’espaces naturels, de campagnes et de villes, en constante évolution » . On connaît la valeur économique, notamment par le biais du tourisme culturel de ces paysages culturels (les lieux reconnus Patrimoine mondial le démontrent), il faut y penser à deux fois avant de leur imposer des stigmates conduisant à leur destruction lente mais irréversible. Ces espaces à forte valeur paysagère méritent qu’on reconnaisse leur valeur économique, leur valeur historique, leur valeur attractive et leur valeur d’usage, c’est aussi cela le développement durable !

Dans la région de Québec, le développement de l’économie en général, touristique en particulier, s’appuie sur des paysages exceptionnels hérités de la géographie et de l’histoire. Plusieurs entreprises (services, nouvelles technologies) s’établissent dans la région en vertu de ces éléments qui enrichissent le cadre de vie; dégrader ce milieu esthétique reconnu et envié, c’est affaiblir nos potentiels de développement économique du futur. Un aménagement du territoire cohérent et tenant compte de ces dimensions est indispensable.

Un projet comme Rabaska porterait atteinte à ce cadre de vie régional et à la pérennité d’un tourisme régional durable (environ 20 000 emplois). Selon Jacques Demers, « Il serait présomptueux, voire même irréfléchi de compromettre une telle richesse alors qu’il est possible de localiser le port dans un endroit convenable tout en préservant la plus importante industrie de la région, celle du tourisme » . Bien que des études économiques ne peuvent le démontrer mathématiquement avec certitude, les effets négatifs du projet Rabaska affecteraient à l’image de la capitale nationale et par conséquence sa valeur touristique et culturelle. Toutefois, advenant un accident important, les impacts sur les retombées touristiques pourraient être tangibles. Par exemple, un accident maritime majeur impliquant un méthanier pourrait avoir un effet répulsif sur l’industrie des croisières que le directeur du Port de Québec reconnaît comme fragile. Dans le secteur choisi, quels seront les impacts à long terme sur le plan touristique d’une insertion industrielle incompatible avec la vocation du lieu? La route nationale 132, perdra-t-elle graduellement ses attraits pour les touristes de passage? Quels seraient les impacts sur la fréquentation des trois campings du secteur, advenant que se produisent occasionnellement des incidents ou des accidents au terminal méthanier qui défraient les manchettes? Personne, jusqu’à ce jour n’a répondu convenablement à ces questions.

À RETENIR
L’aveuglement face aux éventuelles entrées de taxes, a conduit la Ville de Lévis à se montrer favorable au terminal méthanier, sans même réaliser la moindre étude sur les avantages et les inconvénients de ce projet sur l’utilisation future du sol et les conséquences sur la population concernée.
Sur le plan régional, aucun organisme (CMQ, Office du tourisme et des Congrès, Commission de la capitale nationale) n’a évalué les impacts négatifs sur l’image régionale et le tourisme en particulier qu’un projet aussi mal intégré à l’environnement géographique, culturel et social de l’enveloppe fluviale à l’entrée de Québec, ville du Patrimoine mondial, pourrait avoir dans le futur.

8- Un projet non conforme au développement durable et à ses composantes

Aujourd’hui, avant d’autoriser un projet, il est indispensable de le passer dans le filtre du développement durable. Ce concept ne doit pas être seulement de la rhétorique, il doit être intégré aux prises de décisions des décideurs publics comme privés. Le terminal méthanier de Rabaska, un projet mal localisé, à risques technologiques majeurs n’est pas sans rappeler le projet Soligaz (Gaz de pétrole liquéfié) rejeté en 1991. Dans son rapport, les commissaires posent la question de l’application du développement durable en terme plus large, à savoir comment la société québécoise désire-t-elle concevoir et gérer les projets industriels?. Ils citent la réflexion de Peter Jacobs (1989) :
« Continuerons-nous d’adhérer au paradigme de la croissance exponentielle, y compris les composantes idéologiques qui le soutiennent, tels : la primauté de l’économie, la foi dans la technologie, le rôle de l’État, l’extension de notre mode de vie à l’ensemble de la planète et la domination de la nature » .

8.1 Le concept du développement durable et la nouvelle Loi

Depuis vingt ans, en fait depuis la publication du rapport de la Commission Bruntland en 1987, la notion du développement durable a fait l’objet de beaucoup d’écrits et de beaucoup de paroles…Aujourd’hui, on commence à cerner davantage ce principe et ses modalités d’application. Au cours des dernières années, le Gouvernement du Québec, par l’élaboration de son plan de développement durable en 2004 et par l’adoption de la Loi qui a suivi en 2006 a contribué à réunir certaines conditions en vue de miser sur le développement durable pour une meilleure qualité de vie.

Dans son document de consultation de novembre 2004, le gouvernement présente la façon ci-dessous de définir ce concept et ses enjeux. Trois sphères représentant l’environnement, la société et l’économie peuvent servir à son illustration. Une autre grande sphère (zone tramée en gris) englobe le tout. Ce grand cercle symbolise l’harmonie entre les composantes ou tout simplement la qualité de vie.

La question qu’on doit se poser concernant le projet Rabaska, est-ce que ce projet est suffisamment unificateur des trois principales composantes pour créer ce contexte harmonieux correspondant au développement durable?

Les principes qui sous tendent un développement durable ont été inclus dans la nouvelle Loi adoptée le 13 avril 2006. Le but de cette loi est de rechercher à travers les politiques et la gestion de l’État l’insertion d’une vision à long terme qui « prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement » . Seize principes ont été intégrés à la Loi comme guide dans la stratégie d’application. Pour l’analyse du projet Rabaska, les principes pouvant servir de référence sont les suivants : santé et qualité de vie; équité et solidarité sociale; protection de l’environnement; efficacité économique; participation et engagement; prévention; précaution; protection du patrimoine culturel; préservation de la biodiversité et respect des capacité de support.

8.2 Le projet Rabaska et le développement durable

Que ce soit sous l’angle de l’environnement, de la société, de l’économie et de l’harmonisation de ces composantes, le projet Rabaska n’est pas acceptable.

Sur le plan de l’environnement, nous avons insisté beaucoup sur les impacts négatifs paysagers, mais nous pourrions également ajouter d’autres éléments importants néfastes pour le milieu naturel et sur la contribution en gaz à effet de serre. Rabaska porterait atteinte à un milieu riverain d’une grande intégrité. Les rivages et les falaises entre la zone de villégiature de la Grève Guay et les piliers de Hydro Québec sont demeurées intouchés depuis des générations, seules quelques côtes d’accès pour les nombreux pêcheurs à l’anguille du secteur (au moins 7 vers 1955) témoignent d’une intervention humaine.

De plus, l’examen des potentiels de la faune aquatique ou ailée et de la végétation démontre que la côte lauzonnaise, du chantier maritime à l’ouest de Beaumont, renferme une biodiversité exceptionnelle. On y compte plusieurs plantes rares ou à statut précaire sur le littoral ou estran (zone de submersion à chaque marée) qui présentent un grand attrait et méritent d’être conservées.

La campanule à feuilles rondes, intercalée ici dans les crans rocheux des rivages de Ville-Guay, présente un grand attrait en période de floraison.
La destruction d’une partie de la falaise pour loger routes et équipements et l’aménagement d’un remblai aux dimensions importantes en littoral auraient pour effet, en plus des forts impacts écologiques, de créer une rupture dans ce continuum écologique unique de la zone métropolitaine de Québec. De plus, ce projet pourrait ouvrir la porte dans l’avenir à d’autres activités aussi destructrices. On pense, plus particulièrement, à une extension éventuelle du port de Québec. S’ajoutent aussi les dommages à l’intérieur des terres, entre autres, à une tourbière, aux érablières, aux plantations, aux bonnes terres agricoles pour y établir réservoirs, usine de regazéification et structures connexes dans un secteur reconnu par la Loi sur la protection des terres agricoles du Québec.

Il faut analyser également le projet sur les aspects des nuisances (bruit, pollution visuelle, pollution atmosphérique), ainsi que ses contributions en augmentation des gaz à effet de serre (GES). Déjà, le promoteur identifie un apport d’au moins 146 000 tonnes d’équivalent GES générées par ses activités. Ajouter cela aux émissions très importantes de Ultramar (plus de 1 100 000 tonnes par an et ce bilan continuera d’augmenter avec une capacité de raffinage accrue à court terme), il n’y a pas lieu d’en ajouter, sur la Rive-Sud en particulier.

Mais combien de millions de tonnes supplémentaires seront générées, si une pénétration massive de gaz naturel se produisait au Québec, concurrençant ainsi les sources d’énergies propres que nous privilégions (hydroélectricité et éolien) actuellement? Cela va à l’encontre du programme gouvernemental québécois de réduction des GES en vue d’atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto. Pourquoi faudrait-il augmenter la consommation de gaz naturel au détriment de l’électricité, alors que pour les Gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre « Les exportations d’électricité du Québec diminueraient la dépendance de la Nouvelle-Angleterre envers le gaz naturel » ?

Sur le plan social, nous avons déjà démontré que le projet n’est pas accepté par les populations les plus directement concernées et qu’il est susceptible d’engendrer des répercussions psychosociales majeures dans la population avoisinante, en plus d’être une source de divisions profondes dans la communauté lévisienne et dans les autres communautés locales limitrophes. Déjà, la population lévisienne est aux prises avec des activités à risques technologiques importants, comme c’est le cas avec la croissance continue de Ultramar à proximité de quartiers résidentiels et la circulation plus fréquente des convois citernes du train bloc, devenu un moyen de transport de plus en plus inquiétant. On ne voit pas comment on pourrait en ajouter davantage dans un milieu qui ne possède aucun espace approprié pour accueillir ce type d’industries.

Le maire suppléant de Lévis, André Hamel avait raison d’exprimer en conférence de presse conjointe avec les maires de Beaumont et de Saint-Laurent (Î.O.), le 3 décembre 2004, que si les élus de Lévis acceptaient Rabaska, « c’est le pire héritage qu’ils laisseraient aux gens de demain », ajoutant que « les Lévisiens sont opposés au projet Rabaska » . Pourtant, malgré ces sages paroles, les élus de Lévis ont courbé l’échine suite au puissant lobby du promoteur et ses gazodollars en équivalent de taxes foncières. Cela démontre que, malheureusement, les considérations sociales et environnementales ne font pas encore le poids aujourd’hui face aux enjeux strictement financiers et mercantiles.

Au delà des faibles retombées économiques d’un tel projet en cours d’exploitation et des impacts négatifs qu’il pourra avoir à long terme, notamment sur la pérennité de la vocation touristique du secteur, Rabaska ne répond aucunement aux exigences d’un aménagement du territoire durable qui est de la responsabilité première des élus et gestionnaires locaux et régionaux.

Citons une nouvelle fois, cet extrait de la vision stratégique que vient d’adopter la Communauté métropolitaine pour les vingt prochaines années :
« Les orientations préconisées pour le développement global de l’agglomération s’appuient sur l’approche du développement durable. Ce faisant la CMQ recherche un développement équilibré et à long terme. Le développement recherché ne se limite pas au rendement économique. Il se soucie également du développement social des communautés et s’intéresse à la protection de l’environnement et des paysages » .

De plus, à première vue, Rabaska ne concorde nullement avec les orientations régionales sur le plan de l’aménagement qui vise à faire « une communauté plus saine et plus durable ».
Parmi celles-ci pour « maintenir et améliorer un environnement de qualité » d’ici 2025, nous trouvons entre autres:
 Multiplier les points d’accès publics au fleuve et aux autres plans d’eau de l’agglomération
 Améliorer la qualité de l’air et réduire l’émission des gaz à effet de serre
 Diminuer les contraintes et risques liés aux activités humaines, particulièrement en matière de pollution des sols, sonore, visuelle et lumineuse
 Protéger et mettre en valeur les paysages .

Si la Ville de Lévis, partie prenante de cette vision d’avenir de la CMQ, a oublié de se référer aux orientations sur le développement et l’aménagement durables qu’elle a adoptées, si elle a été inconséquente en accordant des permis de constructions résidentielles dans le secteur qu’elle dit aujourd’hui industrialo-portuaire, nous demandons que la Commission du BAPE sur le projet Rabaska en tiennent compte. Après tout, avec l’adoption de Loi sur le développement durable, qui mieux que le BAPE doit amorcer son intégration dans les grandes décisions à prendre!
EN GUISE DE CONCLUSION

Le projet de terminal méthanier Rabaska ne répond pas aux exigences du développement durable qui se doit d’harmoniser ou d’unifier ses principales composantes environnementales, sociales et économiques.
Comme les aspects négatifs, sur les plans de l’aménagement rationnel du territoire, des impacts et risques pour les populations concernées et pour l’environnement en général, dépassent de beaucoup les avantages économiques liés à l’infrastructure projetée, Rabaska doit être considéré comme un projet non porteur pour la région et ses générations futures. En conséquence, il doit être refusé.=

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