BEAUPORT 2020 version CONTENEURS

Un projet qui suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses quant à ses impacts sur la capitale

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Analyse du GIRAM, février 2018.

La géographie est maîtresse de tout destin portuaire.

Le site du port de Québec est vieux de 400 ans. Utilisé pour les fins d’une économie coloniale durant une très longue période, spécialisé dans la manutention de vrac solides et liquides, il n’a pas eu le réflexe d’anticiper avec suffisamment de clairvoyance, les grands bouleversements qui allaient reconfigurer l’univers du transport maritime à partir des années 1970. Le processus d’urbanisation qui l’a totalement enclavé aura quasiment condamné son destin de port grand industriel lourd, un état difficilement réversible, selon le GIRAM.

Le 12 octobre dernier, après l’épisode gênant des silos de granules et l’abandon du projet de transbordement de vrac liquides et solides à Beauport, l’Administration portuaire de Québec (APQ) jouait une ultime carte («projet définitif» selon son expression) en vue d’ obtenir de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) l’autorisation qu’elle recherche pour son projet Beauport 2020. La profondeur de l’eau du Port de Québec (15 m) serait maintenant le facteur clé pour devenir rien de moins qu’une grande tête de pont du transport de conteneurs sur le Saint-Laurent. Mais le Port dispose-t-il pour autant des espaces requis et surtout, d’une structure de transport intermodal suffisante pour soutenir une telle ambition sans impacts majeurs sur la Capitale?

1/ Beauport 2020 : coût environnemental élevé du fait qu’il s’inscrit à contre-courant en matière d’agrandissement  de surface à quai.

Pourquoi l’APQ se voit-elle dans l’obligation de procéder à l’extraction, à même le lit du fleuve, de près d’un million de m3 de matériau dont 45000 contaminés, avec tous les risques qu’une telle opération comporte pour l’écosystème du Saint-Laurent?  Parce que son domaine terrestre est trop restreint.

Au cours des dernières décennies, pour faire face à ce défi de l’explosion de l’industrie du conteneur, la plupart des ports ont été contraints d’agrandir leurs espaces. Fos, Hambourg et  Anvers pour ne donner que ces exemples, ont même réussi à doubler leurs sites d’accostage simplement en gagnant  l’espace requis, non pas sur la mer mais essentiellement sur leur propre domaine terrestre. Opération réalisée en creusant de toutes pièces des portiques (fosses) jouxtant la voie ou le bras navigables. Une telle approche permet au surplus de greffer à ces corridors, des équipements et même des zones industrielles qui elles, procurent une permanence aux activités et donc un impact significatif sur l’emploi régional. Tout au contraire de l’APQ qui est contrainte de se construire une ligne de quai de plus de 600 mètres en eau profonde à même une nouvelle terrasse de 17 hectares, avec un panoplie d’impacts négatifs sur la santé du fleuve et des habitants qui s’y approvisionnent en eau potable.

2/ Un projet qui a toutes les apparences d’une improvisation et qui suscite  d’importantes questions qu’on ne peut pousser sous le tapis.

Fruit de «deux ans et demi d’études techniques et commerciales», ce nouveau projet? Si oui, l’APQ, corporation publique, doit les rendre publiques. Plusieurs études d’experts consultées par le GIRAM sont loin d’être aussi probantes en termes de promesses. Reposant sur le principe logistique du «juste-à-temps» et du «porte-à-porte», l’industrie du conteneur doit pouvoir disposer d’une interface terrestre adéquate et pouvoir compter sur la force et la fiabilité de bons services ferroviaires et routiers. «…l’accès terrestre compte davantage que la taille des sites et la profondeur d’eau, soutiennent les experts. Considérant que les coûts du transport océanique sont maîtrisés, c’est la maîtrise des liaisons de marché et de l’intermodalité qui compte». (1-P 9)

L’APQ envisage-t-elle de faire de Beauport 2020 une «structure en étoile», c’est-à-dire un pôle dédié au transbordement de conteneurs d’un navire à un autre au moyen de navires collecteurs vers des ports situés en amont selon le principe du  «port à port»? Un tel scénario résiste mal à l’analyse pour les raisons suivantes :

  • Les études commandées à des experts par Transport Canada démontrent sans ambages que peu de réseaux à structure en étoile ont connu le succès dans l’Est du Canada principalement en raison des coûts reliés au transbordement et à la double manutention (2)
  • «Les prix des services de déchargement et de remplissage des conteneurs ont un rapport très étroit avec la compétitivité des terminaux portuaires, ils représentent environ le quart du prix (25%) du transport des conteneurs d’exportation» (3).
  • L’avantage concurrentiel du transport ferroviaire dont disposent les ports concurrents et qui permet d’offrir un service direct (porte à porte), lequel demeure toujours la première option des utilisateurs. Le port de Montréal est loin d’être condamné, il jouit d’une efficacité logistique parmi les plus élevées d’Amérique: 100 km de voies ferrées directement aux quais, avec connexion directe au système nord-américain.
  • Pour respecter les exigences du «Juste à temps» et de la constance du service,  le port de Québec est de plus inéluctablement condamné par la fermeture de la Voie maritime du Saint-Laurent vers les Grands Lacs, les mois d’hiver.

Si ce scénario du «port à port» ne devait pas s’avérer réalisable, hypothèse plus que  plausible, c’est le scénario «porte à porte», classique qui sera retenu. D’importantes questions se posent ici aussi en raison de la capacité du port de Québec de livrer chez le client, situé au cœur industriel du Québec, de l’Ontario ou du Mid-west, les  500 000 conteneurs/année figurant dans son plan d’affaires.

3/ Questions sur les facteurs de risque pour la population et les utilisateurs des  réseaux de transport des personnes de la Capitale.

Plus de 500 000 conteneurs par année, c’est moins que la moitié de  Montréal, mais ça reste élevé. Au port de Montréal, 60% du trafic  de conteneurs emprunte le rail pour atteindre ses marchés et 40% le camion. On peut facilement anticiper un scénario inverse pour le port de Québec compte tenu de l’insuffisance manifeste de sa capacité de desserte ferroviaire. Un tel scénario soulève toute une problématique. Comment alors gérer l’ajout phénoménal de 1000 camions semi-remorques par jour (calculé sur 253 jours ouvrés) s’additionnant au trafic existant sur le boulevard Henri Bourassa seule véritable voie de désenclavement du site Beauport 2020? Les 315 poids lourds actuels à destination du port font déjà l’objet de critiques virulentes de la part des citoyens.

Ces cohortes de camions lourds devront ensuite emprunter l’autoroute de la Capitale vers l’ouest et les ponts, destination Autoroute 20 Ouest. Le réseau routier de la Capitale a-t-il été conçu et structuré  pour absorber une sollicitation d’une telle ampleur? Voici notamment des situations qui devront être examinées au chapitre du risque :

  • Anticipation d’une très importante détérioration du climat sonore et de la qualité de l’air sur Henri Bourassa et ses environs (618g/km d’émission de CO2 pour un camion). Cette artère a de surcroît été spécifiquement choisie pour ses qualités de «sécurité» et de «facilités d’accès optimales» pour la construction du Nouveau complexe hospitalier du CHU (projet de 4 milliards$). À examiner de très près.
  • Anticipation d’un important conflit pour l’utilisation et le partage du boulevard Henri Bourassa, de l’Autoroute de la Capitale vers l’ouest, ainsi que de l’autoroute Henri1V, pour traverser les ponts et rejoindre l’Autoroute 20, direction Montréal, des cœurs industriels du Québec et du Mid-west.
  • Potentiel d’un autre conflit quant au transport des passagers sur la voie du CN. Quelle flexibilité restera-t-il à Via Rail, alors qu’on est à jeter les bases d’un système de transport public intégré sur rail dans la Capitale, possiblement arrimé dans le futur, à un lien Rive-sud? Pour assurer la rentabilité de la desserte ferroviaire du port de Montréal, la longueur des convois atteint jusqu’à trois  kilomètres) (1).

Un projet qui, finalement, pourrait comporter plus d’impacts négatifs  sur l’ensemble de la population de la Capitale que le précédent.

Voilà, pour l’essentiel, le premier constat d’ensemble résultant de la réflexion du GIRAM. Cette réflexion amène à penser que ce nouveau projet Beauport 2020/conteneurs est loin de représenter une réponse géniale au précédent.  Dans ce dernier scénario, la plus grande partie du transport des matières pouvait au moins être réalisée à  plus de 80% selon un mode «bateau à bateau», contournant ainsi le problème du transport urbain.

«Les gouvernements du Québec et du Canada doivent appuyer sans réserve notre  projet » demande le PDG Mario Girard. Holà! Pas si vite. Le port de Québec ne doit plus être considéré comme une principauté au sein du territoire québécois. Ce projet ne concerne pas que l‘intérieur de la principauté, mais toute la zone extraterritoriale. Nos gouvernements ne peuvent accorder crédibilité aux seules études de l’APQ. Ils doivent se réveiller et intervenir rapidement, avant que la population ne soit prise en otage. Un État digne de ce nom ne gouverne pas à l’aveugle.

La Capitale est classée ville du Patrimoine mondial et de ce fait, elle est une destination touristique prisée. Sa réputation de ville à voir n’a cessé de s’accroître au fil des ans et de contribuer positivement au développement de son économie. Les bateaux de croisière sont de plus en plus nombreux à se disputer l’espace à quai. Il faut vraiment analyser l’impact d’un accroissement des activités industrielles lourdes dans ce même port sur la qualité du produit touristique que veut continuer d’offrir la Capitale : richesse patrimoniale et culturelle, ressources gastronomiques diversifiées et de qualité et climat environnemental sain. Il faut aussi obtenir des réponses quant à la vétusté actuelle des infrastructures portuaires, argument pour un projet d’agrandissement. Si vétustes elles sont, n’est-ce pas à cause d’une incurie ou d’une mauvaise gestion?

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1/ Comtois, Slack et Sanders. Centre de recherche sur les transports.  L’industrie du transport des marchandises à Montréal. Considérations pour l’élaboration d’un plan d’urbanisme.

2/ James Frost et Marc-André Roy. Étude sur les opérations potentielles de transbordement de conteneurs selon une structure en étoile pour le transport maritime de marchandises à courte
distance dans l’Est du Canada.

3/ Ray Barton and Associates Ltd. en collaboration avec Logistics Solution Builders Inc. et The Research and Traffic Group.  Frais d’exploitation du camionnage et du transport intermodal de surface au Canada. Mars 2008.Préparé pour Transport Canada.

/Claude Comtois et Brian Slack. Centre Interuniversitaire de Recherche sur les Réseaux d’Entreprise, la Logistique et le Transport. Perspective d’un port de transbordement à Saint-Pierre et Miquelon.

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