« La promesse d’un brillant avenir » version GNL Québec
photo: Kevin Clancy Newsy via Associated Press
Consultation sur le projet gazier Énergie Saguenay
Pierre-Paul Sénéchal, novembre 2019
L’industrie du GNL est assez bien connue du GIRAM. Au cours de la dernière décennie, l’organisme s’est révélé intervenant majeur dans le combat citoyen contre le projet du consortium Rabaska (Gaz de France/Enbridge/Gaz Métro), visant la construction à Lévis/Beaumont, d’un ambitieux plan de regazéification de GNL. Un combat de plus de cinq ans qui s’est finalement soldé par un abandon du projet par le promoteur. Les récentes analyses d’un groupe de 40 économistes (15 octobre 2019) ainsi que de l’IRIS (novembre 2019) contestant sévèrement le projet GNL Québec à Saguenay aux plans de son impact environnemental et de ses retombées économiques et fiscales ont réveillé chez nous un sentiment de déjà-vu.
« Le projet du siècle »
Fraichement débarqué en 2004-2005, le consortium Rabaska allait immédiatement promettre mer et monde aux gens de la grande région de Lévis : de fabuleuses retombées fiscales pour le Québec et la municipalité et des milliers d’emplois « payants » pour les travailleurs. Bref, des lendemains enchanteurs que nulle personne sensée ne saurait refuser. Tout comme le fait actuellement GNL Québec sur son site, Rabaska s’est adonnée à une foire de l’emploi en invitant les travailleurs et les fournisseurs de la région à s’inscrire sans tarder sur une liste. Histoire d’étourdir encore davantage le milieu des d’affaires, le clan Rabaska aura même réussi à faire accréditer, l’arrivée d’une « grande filière industrielle du froid » (congélation d’aliments, produits pharmaceutiques), en synergie avec la cryogénie du GNL, une « idée de génie » ne se trouvant nulle part sur la planète et par la suite démasquée, mais qui, dans l’intervalle, aura tout de même réussi à mystifier les commissaires du BAPE, au grand déshonneur de l’institution.
Retombées économiques : la démesure toujours.
« Répondre aux besoins énergétiques mondiaux en croissance tout en luttant contre les changements climatiques », avec en prime, « 807 M$ en retombées économiques annuelles(dont 110 M$ en recettes fiscales annuelles pour les 3 paliers de gouvernements), création de 1100 emplois directs et indirects dont 250-300 au complexe tout au long de la période d’exploitation ». (Prospectus de GNL Québec)
Réalité ou inflation verbale ? D’abord, les promesses de retombées fiscales des grandes entreprises sont le plus souvent du domaine de l’illusion et elles sont généralement condamnées à rester des vœux pieux tant qu’elles ne sont pas scellées dans une loi privée de l’Assemblée nationale. Quant au concept « retombées économiques », on peut inscrire à peu près tout sous ce vocable si on ne précise pas où ces dernières vont précisément se réaliser et sur quelle période. L’industrie du GNL, tout comme celle des hydrocarbures en général et celle de la construction de méthaniers, est étrangère à l’expertise québécoise, tout est importé et pour l’essentiel, les travailleurs spécialisés ne font pas exception.
Le clan du consortium Rabaska (avec les troubadours des chambres de commerce et autres organismes patentés pour la circonstance) faisait lui aussi rutiler des milliers d’emplois directs et indirects. Soucieux d’y voir clair, le GIRAM (Gaston Cadrin et Pierre-Paul Sénéchal) était allé voir sur place à quoi ressemble, de l’intérieur, un site de traitement de GNL (complexes de Gaz de France à Fos-sur-Mer [Méditerranée] et Montoir-de-Bretagne [Loire Atlantique]. Les visites intramuros se sont avérées révélatrices. Un tout petit nombre de travailleurs sur le site [une quinzaine tout au plus comme équipe de jour ; probablement l’équivalent pour l’équipe de nuit]. Des techniciens devant des consoles d’ordinateurs dirigeant des opérations hautement robotisées. Au moment d’une visite, un méthanier était à quai pour des opérations de transit maritime. Aucun travailleur du côté de Gaz-de-France, l’essentiel des opérations semble être assuré par le personnel du navire portant probablement pavillon international.
Une industrie d’hydrocarbures «verte» ?
Les écologistes du Saguenay se seraient-ils laissés embobiner ou séduire par le caractère supposément « vert » du projet du simple fait que les opérations de liquéfaction seront, selon le prospectus du promoteur, alimentées, non avec le gaz, mais par « l’électricité » régionale? Il y a lieu de se demander si, à l’instar de la « filière industrielle du froid » de Rabaska, il ne s’agirait pas d’une autre « première mondiale » appelée à se dégonfler au premier obstacle technique.
Le processus industriel de liquéfaction du gaz nécessite une très importante quantité d’énergie. Plus de 10 % à 12 % des quantités livrées à l’usine sont requises pour alimenter les puissantes pompes à chaleur. Même dans la phase de transport maritime, il est courant qu’on récupère le méthane qui s’évapore des cuves adiabatiques [responsables du refroidissement par évaporation] pour ajouter à la propulsion du navire. Faut-il croire que cette source fossile obtenue à prix avantageux par GNL Québec, sera indéfiniment substituée par l’énergie hydro-électrique ? Beaucoup d’argent et beaucoup de mégawatts. Si oui, cette énergie sera-t-elle achetée dans le cadre de contrats dont les coûts pourraient finalement être refilés aux consommateurs domestiques ? Cet aspect du projet doit être scruté plus à fond.
Site idéal pour des méthaniers ?
Les gens soucieux du futur de leur économie régionale doivent également analyser les impacts potentiels sur le futur de l’industrie maritime sur le Saguenay. Un méthanier parce qu’il contient du gaz ultra comprimé, est une bombe flottante, ce qui lui procure un statut prioritaire sur le reste de l’activité maritime. Il faut savoir qu’aux États-Unis, la Garde côtière exige de tout navire approchant un méthanier, une distance latérale de plus d’un demi-kilomètre. Les super Qflex exploités par la Qatar Gas Transport Company [345 m X 54 m de largeur] nécessitent en tout temps une zone d’exclusion du même ordre. On anticipe plus de 400 passages/an, c’est beaucoup et cela représente quatre fois plus que pour Rabaska dans l’estuaire du Saint-Laurent (un méthanier vidé de sa cargaison est, dit-on, tout autant, sinon plus à risque d’explosion que chargé de GNL.
La Society of International Gas Tanker and Terminal Operators [SIGTTO], formuledesrecommandations pour éviter toute mauvaise décision en lien avec l’arrivée d’une industrie de GNL :
- Toujours considérer l’introduction de cette dernière dans une perspective de développement futur des activités maritimes et portuaires d’un lieu dans l’objectif que ces dernières demeurent toujours compétitives. Les ports sont dans un environnement dynamique, leurs modes d’opération vont à coup sûr changer dans le temps.
- Les ports de transbordement de GNL doivent être localisés loin des routes maritimes achalandées et en dehors des zones de trafic important. En conséquence, privilégier les sites aux embouchures des couloirs fluviaux, plutôt que ceux qui sont situés loin à l’intérieur des côtes.
- En toutes circonstances, les méthaniers en transit doivent avoir priorité sur tout autre navire et le transport du GNL ne fait pas bon voisinage avec les navires de passagers et les navires de croisières en raison du « risque humain » qui y est associé.
Au-delà de la question de la protection obligatoire des populations de bélougas non traitée ici, le Saguenay représente-t-il « le meilleur endroit dans tout l’Est du Canada » comme le soutient le prospectus d’Énergie Saguenay ? Lors des audiences Rabaska, on apprend qu’aucun terminal méthanier n’existait dans le monde à l’intérieur d’un fleuve englacé » [Jean Lemonnier, Gaz de France]. Prendre également en considération que l’embouchure du Saguenay présente des risques significatifs au chapitre de la navigation. L’étude de Stratégie Saint-Laurent [Le pilotage sur le Saint-Laurent et l’analyse de risques ». 2003, 145 p] fait entre autres état d’un plus grand risque de collisions en raison du nombre élevé de périodes de visibilité réduite, de convergence des navires en raison de la zone d’embarquement des pilotes aux Escoumins, de la densité du trafic lié à la navigation commerciale et aussi au tourisme [croisiéristes, observation des baleines], et enfin des forts courants comme facteur de risque de déportation vers une zone de hauts fonds.
« C’est quand la chose est faite que le naïf comprend ». [Homère, dans l’Iliade].
La première condition d’acceptabilité sociale d’un projet est sa justification énergétique pour les populations concernées. Sur ce plan, le promoteur fait face à une incapacité totale de démonstration et il le sait. Il doit donc se rabattre sur un nébuleux concept d’altruisme environnemental envers le reste de la planète. Mais le Québec doit-il sacrifier son propre patrimoine, ses intérêts économiques au profit d’économies importatrices avec qui il est très largement en déficit de balance commerciale ? À l’autre extrémité, ce sont les grands consortiums pétroliers de l’Ouest qui vont récolter. À terme, il ne reste à peu près rien pour le Québec en raison du fait que les redevances de ressources naturelles ne se rapportent qu’à leur extraction ; leur transport et leur transit sont libres de tout droit en vertu des lois fédérales et des ententes internationales.
Le modèle de développement que GNL Québec nous propose mise sur des ressources que nous ne possédons ni ne contrôlons. À terme, un tel modèle peut-il nous être utile ? Il faut revoir « Le Vendeur », film du jeune réalisateur Sébastien Pilote [de Chicoutimi] sur les vendeurs de rêves. Il faut également relire le livre[1] du GIRAM sur le défunt projet Rabaska pour mieux comprendre les stratégies des promoteurs pour implanter un tel projet dans une région. Tenons-nous loin des tentatives de mystification corporative et ne comptons en tout et partout que sur nos propres analyses et notre propre vision des choses. En crédibilité, elles valent infiniment plus que celles des firmes de génie-conseil à la solde des entreprises. C’est pour l’essentiel la leçon que nous avons tirée de notre lutte contre Rabaska à Lévis, projet absolument insensé, mais qui pour un temps, aura bénéficié d’un soutien aveugle d’une bonne partie des « élites » locales et régionales.
[1] Gaston Cadrin, Bernard Dagenais, Michel Lessard et Pierre-Paul Sénéchal (GIRAM), Rabaska, autopsie d’un projet insensé, Fides, 2009, 267 pages.