Parc des Chutes-de-la-Chaudière

demande de déclaration au titre de « Site patrimonial » (art. 58. Loi sur le Patrimoine culturel)

Avatar de GIRAM

Adressée à la Ministre de la Culture et des Communications du Québec, madame Nathalie Roy
Par
-Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM)
-Les Amis du parc des Chutes-de-la-Chaudière
 
16 mars 2020

« Carte des environs de Québec en la Nouvelle-France », dressée en 1685-86 par Robert de Villeneuve, ingénieur du Roy. (gallica.bnf.fr)

INTRODUCTION

En février 2020, la Ville de Lévis a entrepris un processus de modification réglementaire dans le but d’inclure des « usages » de nature commerciale sur l’actuel espace du Parc des Chutes-de-la-Chaudière. Les usages évoqués touchent la récréation, la restauration et l’hébergement. Nous sommes d’avis que l’intrusion de tels usages dans un site naturel et historique  de cette qualité risque d’entrainer des effets collatéraux qui, à l’origine, n’avaient pas été anticipés ou voulus par le gouvernement du Québec lorsqu’il en a fait cession aux instances municipales en 1998.

Lieu d’occupation autochtone sur une base continue pendant plus de 8000 ans, (une trentaine de sites archéologiques localisés à l’embouchure de la rivière Chaudière), site d’établissement des Abénakis sous le Régime français, ce parc est particulièrement riche d’histoire nationale. Par le pittoresque de ses chutes, de ses rapides, de ses gorges, des vues imprenables qu’il offre aux visiteurs, il possède, à l’évidence, une valeur patrimoniale qui excède la dimension municipale.

Avant d’être cédé ou « confié » en 1998 à la ville de Lévis son actuel gestionnaire qui en a fait un parc municipal, le site des Chutes-de-la-Chaudière bénéficiait d’ailleurs d’un statut de « Parc national » ce qui lui assurait une protection contre toute action de privatisation d’usages. Bien plus, jusqu’en 2007, ce site bénéficiait du statut « d’aire protégée » par le ministère de l’Environnement de la Faune et des Parcs.

Pour des motifs plutôt éloquents selon nous, ce site possède, l’essentiels des attributs pour être déclaré « Site patrimonial » vertu de l’article 58 de la Loi sur le patrimoine culturel. Les éléments énoncés aux sections 2 et 3 sont à l’appui de cette prétention. Pour ses valeurs emblématique, iconographique et identitaire, ce parc se compare à bien des égards à celui de la Chute-Montmorency, reconnu en 1994 par le gouvernement du Québec.

Tout en demeurant largement accessible au public, il doit être géré à la manière d’un site naturel, de conservation et de contemplation, non comme un parc d’attraction.

SECTION 1. IDENTIFICATION

Nom des organismes qui font la proposition :

Le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) et Les Amis du parc des Chutes-de-la-Chaudière.

Représentants : Pierre-Paul Sénéchal/Gaston Cadrin, président/vice-président du GIRAM.  Jacques Demers, président, Les Amis du parc des Chutes-de-la-Chaudière.

Adresses :

GIRAM. 4 800 boul. Guillaume-Couture, C. P. 202, Lévis (Québec)

Courriel : ppsenechal@videotron.ca

Amis du parc des Chutes-de-la-Chaudière. 645, rue de la Clairière, Lévis G7A 1B6. Courriel : i.nart@videotron.ca

SECTION 2. INFORMATIONS SUR LE BIEN

Type de bien : Espace naturel et historique zoné parc municipal.

Nom : Parc des Chutes-de-la-Chaudière

Adresse : L’espace actuellement visé couvre les anciens secteurs municipaux de Charny, Saint-Rédempteur et de Saint-Romuald.  Le responsable actuel du parc est la Ville de Lévis, située au 2175, chemin du Fleuve, Lévis, (Québec) G6W 7W9

Arrondissements concernés : Chutes-de-la-Chaudière-Ouest et Chutes-de-la-Chaudière-Est.

Désignation cadastrale : En se référant au contrat de cession (No d’inscription 424 014) du ministère des Affaires municipales aux municipalités riveraines du 31 mars 1998, les lots cadastrales suivants sont identifiés :

Les lots numéros 1752 et 1755 (secteur Charny) du cadastre officiel de la paroisse de Saint-Romuald-d’Etchemin, circonscription foncière de Lévis;

Les lots numéros 755 et 756 (secteur Saint-Nicolas) du cadastre officiel de la paroisse de Saint-Nicolas, circonscription foncière de Lévis;

Le lot numéro 435 (secteur Saint-Rédempteur) du cadastre officiel de Saint-Étienne-de-Lauzon, circonscription foncière de Lévis.

Localisation informelle : Le parc des Chutes-de-La-Chaudière se limite en amont au pont ferroviaire sur la Chaudière et vers l’aval à la limite sud l’autoroute Jean-Lesage. Il comprend la rivière, la chute, les falaises et les espaces aménagés et boisés bordant la rivière. 

Description du bien :

La superficie du parc couvre quelque 125 ha entre le pont ferroviaire au sud et l’autoroute Jean-Lesage (20) au nord. Les chutes sont l’élément géologique dominant. Innergex exploite le barrage et une petite centrale électrique située à Saint-Nicolas.

Au nord de l’autoroute, une superficie importante de terrains vacants de chaque côté de la rivière subsiste jusqu’à l’embouchure, mais compte tenu de son caractère privé, cette partie ne fait pas l’objet de la présente demande.

Du côté de Charny, la ville de Lévis, exploite un pavillon servant d’accueil et de bloc sanitaire. Adjacent à ce bâtiment, un stationnement est disponible pouvant accueillir une centaine de voitures.

Sur la rive ouest (Saint-Nicolas) on y trouve un modeste bâtiment servant aux deux prises d’eau qui alimentent la centrale au bas des chutes. Ces deux conduites d’amenée sont sous-terraines. Somme toute, les aménagements d’Innergex s’harmonisent relativement bien au paysage. Le barrage se compare à celui qui existait auparavant en rappel de l’histoire de la seconde centrale hydroélectrique aménagée à Québec vers la fin des années 1800. Un bâtiment sanitaire intégré au boisé est aussi disponible.

Sur l’ensemble du site à l’ouest de la rivière, on a aménagé des sentiers, quelques belvédères d’observation et une petite aire de jeux pour enfants. L’ensemble du secteur est demeuré jusqu’ici protégé en dépit des convoitises depuis longtemps exercées par des entreprises privées.

Site d’une valeur archéologique et historique exceptionnelle.

Lieu d’occupation millénaire.

Les fouilles et les recherches poursuivies sur le site ont nettement démontré la présence d’Amérindiens. Qui plus est, il s’agit de l’unique lieu en Amérique qui fut occupé pendant plus de 8000-9000 ans consécutifs. À elle seule, cette caractéristique suffit pour considérer le site comme patrimoine archéologique de premier plan.  Le document intitulé : Projet de mise en valeur de l’embouchure de la rivière Chaudière, résume clairement les valeurs du site sur différents plans, notamment l’archéologie, la géomorphologie et autres aspects (voir document en annexe).

Première centrale hydroélectrique sur la rive sud

Ce lieu donna naissance à la deuxième centrale hydroélectrique du Québec, peu après celle des chutes Montmorency. La centrale a servi de source d’énergie pour la construction du pont de Québec, l’éclairage de la région et l’alimentation des tramways électriques de Lévis. Outre le barrage et la configuration géomorphologique du site, il reste peu de vestiges apparents, les chutes demeurent quand même l’élément moteur qui a motivé les promoteurs de l’époque.

Le territoire à l’ouest de la rivière Chaudière faisait partie de la seigneurie Lauzon et le terrain où se situe le parc appartenait à John Cadwell. Son fils en hérita en 1826 pour ensuite le passer aux mains de Hall and Price en 1831, puis à Patterson and Herle et enfin, à Norbert Price en 1892. En 1898, la Canadian Electric Light Co., ayant à sa tête Henry Partan et Gérouard, l’acheta de N. Price en vue d’y aménager une centrale hydroélectrique. À l’automne 1901, la ville de Lévis était alimentée en électricité par la centrale de Chaudière. C’était le début de l’éclairage sur la rive sud. Une ligne électrique reliait alors Lévis à la centrale.

En 1903, la demande aidant, une troisième génératrice de 1 000 kilowatts et une deuxième ligne électrique furent ajoutées permettant ainsi à Lévis Tramways de faire circuler « ses petits chars » de la plage Garneau jusqu’au centre-ville. Cette troisième génératrice a servi également à la construction du pont de Québec.

En 1970, au cours de la débâcle, une partie du barrage est sectionné, rendant la petite centrale inopérante. Elle fut alors démolie quelques années plus tard avant d’être remplacée par celle d’aujourd’hui.

 SECTION 3. MOTIFS DE LA PROPOSITION

Les motifs pour demander une telle désignation sont fondés sur les orientations proposées par le Bureau des audiences publiques (BAPE) lors des audiences de 1997. Elles sont sans équivoque: le parc doit être naturel… et ne peut être, ni un terrain de jeux, ni un square urbain, ni une halte routière. (page 92, Rapport du BAPE).

La volonté du milieu

Bien qu’à l’époque de l’acquisition du site par le gouvernement du Québec, la volonté du milieu était d’en faire un parc nature (position de la ville de Bernières), les intentions se sont davantage précisées au moment où Innergex envisagea d’y reconstruire la centrale électrique. Spontanément, les citoyens de Saint-Nicolas et de Saint-Rédempteur se sont regroupés pour former et incorporer un Comité de sauvegarde et de développement du parc. Non seulement ce comité souhaitait la conservation du site dans son état naturel, mais aussi les exigences urbanistiques de la ville de Saint-Nicolas obligeaient Innergex à respecter les normes du site alors zoné espace vert.

Tout au long du processus, Innergex a convoqué la population afin de répondre aux attentes des citoyens. Les exigences étaient sans équivoque : aucune structure superficielle, enfouissement des conduites d’amenée, respect des espaces écologiques et de la végétation, abolition du projet de sous-station, préservation des îles, aménagements modestes, débit écologique et esthétique, etc.

Soulignons, en outre, un paragraphe de l’entente signée entre le gouvernement et les villes de Charny et de Saint-Nicolas lors du transfert du site aux villes concernées :

« Attendu que les villes de Charny et de Saint-Nicolas considèrent que le parc des Chutes-de-la-Chaudière est un lieu géographique indissociable et qu’il est de leur meilleur intérêt qu’il soit opéré dans le respect de l’environnement et de la nature ».

La richesse du parc

À la mise en vente du site par Hydro Québec le 2 octobre 1972, la municipalité de Bernières est intervenue pour récupérer le territoire dans le seul but d’en assurer la préservation. De concert avec le ministère du Tourisme de l’époque, il a été convenu que ce dernier en fasse l’acquisition et crée un parc naturel où tous les éléments écologiques et patrimoniaux seraient préservés. C’est donc dire que du côté gouvernemental, une préoccupation environnementale et patrimoniale a été inscrite dès le départ comme élément prioritaire. C’est par la suite que d’autres considérations ont fait surface, notamment, l’histoire, l’archéologie et la géomorphologie. À cet égard, il convient d’examiner succinctement chacun de ces aspects.

– L’archéologie : les fouilles et les recherches poursuivies sur le site ont nettement démontré la présence d’Amérindiens. Qui plus est, il s’agit de l’unique lieu en Amérique qui fut occupé pendant plus de 9 000 ans consécutifs. À elle seule, cette caractéristique suffit pour considérer le site comme patrimoine archéologique de premier plan.

– L’histoire : en plus de l’occupation amérindienne millénaire, la construction de la première centrale a inscrit le site dans l’histoire québécoise. Il s’agit de la seconde centrale construite au Québec. Bien qu’il ne reste que peu de vestiges apparents, les chutes demeurent quand même l’élément moteur qui a motivé les promoteurs de l’époque.

– L’écologie : plusieurs facettes sont considérées sous cette rubrique la faune terrestre et aquatique, la flore, les lieux humides, le paysage. Il serait superflu de reprendre ici les nombreuses informations recueillies au cours des études environnementales. Rappelons toutefois la présence de plusieurs espèces végétales dues à la configuration du parc. Nous y retrouvons des espaces humides comme d’autres bien drainés créant ainsi divers écosystèmes qui méritent d’être mis en valeur. La faune terrestre se caractérise principalement par la présence de plusieurs espèces d’oiseaux et de petits mammifères dont certains sont rares. Inutile d’insister sur la qualité du paysage, c’est notamment cet élément qui attire autant de visiteurs.

– La géomorphologie : les phénomènes géologiques, entre autres les inclinaisons des dépôts d’ardoises et de schiste que l’on peut observer en traversant la passerelle caractérisent une période datant de près de cinq cents millions d’années. D’autres phénomènes caractérisent cette période et la sculpture des chutes même n’est pas étrangère à la configuration du paysage. En un mot, les lieux constituent le portrait d’une longue évolution géomorphologique qui est rarement aussi en évidence ailleurs au Québec.

En résumé.

Il est indéniable que le parc contient des valeurs incontestables et ce sont précisément celles-ci qui ont fait que les gens du milieu ont souhaité et souhaitent toujours préserver cette richesse sachant fort bien qu’un usage inapproprié en compromettrait la valeur de l’ensemble.

Autres motifs militant en faveur d’une conservation

-La convoitise du secteur privé et d’organismes : depuis sa création, différentes entreprises privées ont tenté de s’implanter dans le parc, souvent sous des prétextes philanthropiques. Les citoyens se sont opposés à ce genre d’intervention. Il serait hasardeux de se lancer dans une telle aventure sans compromettre la qualité naturelle du site. 

-La fragilité du milieu : il nous apparaît superflu d’insister sur ce point puisqu’à plusieurs reprises il en fut question dans les études d’impact. Il n’en demeure pas moins que cette fragilité est le dénominateur commun qui nous incite à une prise de position de façon à ce que le parc s’inscrive dans une perspective de développement durable.

-L’attente du milieu : au début, sous la rubrique « historique », on souligne comment les gens ont réagi depuis la création du parc. Rappelons qu’en aucun moment il ne fut question de développer le site autrement qu’en tenant compte de sa richesse écologique.

-La rareté de sites analogues : il est surprenant de voir le nombre de kilomètres de rives que possède la grande ville de Lévis. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, à peine quelques kilomètres sont publics. Par exemple, à Saint-Nicolas, sur les treize kilomètres de rivage, la totalité est privée si ce n’est quelques points d’accès au fleuve, nommément sous l’emprise du pont Laporte et l’ancien quai Baker. Outre une section du parcours des anses, les espaces naturels riverains accessibles au public sont limités. Dans les circonstances, il est impératif que toutes les mesures soient envisagées pour préserver ce qui reste et, souhaitons-le, de récupérer ce qui est encore récupérable.

S’inspirant du rapport du BAPE, le développement du parc se fonde sur trois aspects :

  • Comme milieu naturel et patrimonial;
  • Comme cadre de vie des personnes qui habitent à proximité du site ou qui le fréquentent;
  • Comme collectivité soucieuse de son développement et de sa prospérité.

De ces propos, il ressort que nos objectifs doivent respecter d’abord le milieu naturel et de sa richesse patrimoniale, que les lieux doivent être mis en valeur en fonction des besoins de ceux qui le fréquentent et que l’on conçoive notre démarche en vue d’un développement durable.

Les attentes

Au terme de cette réflexion, les attentes s’expriment de la façon suivante :

  • La qualité exceptionnelle du paysage ne doit pas être compromise par des aménagements artificiels;
  • La richesse de son écologie (plan d’eau, marécages, espaces ouverts, forêt diversifiée, topographie accidentée, végétation arbustive et herbacée variée, présence d’oiseaux aquatiques et terrestres multiples, etc.) doit être scrupuleusement préservée;
  • La valeur de sa géomorphologie doit être respectée excluant ainsi tout artifice;
  • La rareté des espaces naturels encore intacts dans Lévis exige un souci d’intégrité;
  • Le caractère historique exceptionnel du site (seul endroit au Québec ayant eu 8 000 ans d’occupation continue; origine de l’hydroélectricité au Québec; route pionnière Canada-USA, etc.) ne doit pas être perturbé par des aménagements inappropriés;
  • La capacité de charge du parc a atteint ses limites, il serait inconséquent d’y ajouter un achalandage commercial;
  • La création d’un précédent rendrait la Ville vulnérable face à d’autres demandes d’intérêts privés.

Il faut donc, pour résumer, éviter les cas de conflits entre conservation et commercialisation. La solution ultime pour préserver les richesses et d’assurer la pérennité de ce parc est de lui attribuer le statut de SITE PATRIMONIAL. Ce faisant, on redonne en bonne partie le statut de protection dont il bénéficiait à l’époque où il a été cédé par le gouvernement du Québec.

SECTION 4. IDENTIFICATION DU PROPRIÉTAIRE

Ville de Lévis, corporation de droit public dont le lieu d’affaire est situé au 2175 Chemin du Fleuve, Saint-Romuald, QC G6W 7W9.

SECTION 5. DOCUMENTS JOINTS À LA DEMANDE

1/ Les Chutes-de-la-Chaudière et son environnement. Bastion d’histoire et curiosité naturelle. Dossier de soutien à la demande de classement comme site historique. Richard Lortie. Décembre 1996.

2/ Projet de mise en valeur de l’embouchure de la rivière Chaudière. Pierre Cloutier, David Gagné, Michel Gaumond, Jacques Lemieux, J. Yves Pintal. Mars 2003.

3/ Anguilles et bois de chauffage au bassin du sault de la Chaudière. Michel Gaumont. Décembre 2002.

Slider by webdesign