Vestiges du Fort Numéro-Trois 

 Pour une approche innovante de réhabilitation et de conversion du site en parc récréotouristique

Mémoire présenté au comité de démolition de la Ville de Lévis

(Texte en date du 25 mars 2015)

Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu.

Pierre-Paul Sénéchal, avec la participation de Pierre Blouin et Louis-Marie Asselin.

«Tous les bâtiments ont une importance! Sans égard à sa valeur, un bâtiment patrimonial peut être apprécié selon différents aspect (et) possède ce que l’on appelle un « potentiel de mise en valeur ». 

(Lévis, un patrimoine à protéger et à mettre en valeur. Guide publié par la Ville de Lévis).

Des vestiges d’une ténacité étonnante et toujours porteurs d’avenir.

Malgré 170 ans de quasi  abandon, après un ballotage incessant durant plus de 65 années entre démolition et de restauration, et surtout en dépit des inimaginables sévices infligés par un complexe bétonnier actif pendant quatre décennies, en 2015, par un miracle encore assez inexplicable, la structure du vieux Fort Numéro-Trois tient toujours bon. Suffisamment pour inspirer des projets porteurs d’avenir pour la collectivité de Lévis. (Voir historique en Annexes 1 et 2).

Le GIRAM est d’avis que Lévis ferait une erreur irréparable en donnant le feu vert à la présente demande de démolition, alors que ce qu’il reste de vestiges historiques représente toujours un atout extraordinaire pour la ville. Ces vestiges de l’époque 1865 contribuent à donner une signification toute particulière et surtout, une valeur ajoutée à un espace qui, l’a-t-on oublié, s’inscrit dans les toutes premières origines de Lévis (second établissement datant de 1649). Les pierres et les briques de cet immeuble rappellent et expliquent la logique du système de défense de cet extraordinaire axe stratégique Québec/Lévis sur le continent nord-américain. Dans son plan de gestion pas si lointain de 2007, Parcs Canada reprenait sensiblement les mêmes choses que le plan provisoire de 2005, à l’effet que l’ensemble des forts a une valeur reconnue et que ce dispositif est quasiment unique dans le nouveau monde.

Ensemble, les trois forts avaient autant d’intérêt que la Citadelle de Québec. Malheureusement, à une époque si peu lointaine, on n’a pas su en prendre  conscience, si bien qu’en 1964, par pure inconscience, on s’est débarrassé du Fort Numéro-Deux. Est-il trop tard pour faire œuvre de réparation? Nous croyons qu’il est de l’intérêt de Lévis de répondre non.

Le Fort numéro 2 à la fin des années 1950, démoli en 1964.
Le Fort numéro 3, d’après une carte postale (BanQ)

On ne saurait le nier, les vestiges du Fort Numéro-Trois sont un état de délabrement et de dégradation avancée. À juste titre, il faut comprendre que plus d’un demeurent perplexes quant aux choix qui s’offrent.

Pourtant, des questions se posent : Quel est le choix le plus logique quant à la vocation du site dans une hypothèse de démolition? En termes d’aménagement urbanistique harmonieux et de vision d’avenir, peut-on envisager quelque chose de mieux qu’un autre parc immobilier?

Dans le texte qui suit, les mots sont importants, car ils revêtent des réalités aux impacts financiers fort différents.

Nous ne proposons pas une «restauration» au moyen de vastes et coûteux travaux respectant toutes les caractéristiques originelles de construction. Nous ne proposons pas non plus une «reconstruction» des parties aujourd’hui disparues. Nous optons pour une «réhabilitation générale du site» par une opération de consolidation et de sécurisation des vestiges qu’il abrite. Mais surtout, nous proposons un «recyclage de ces derniers à des fins de thématique historique dans le cadre d’un projet de nouveau parc public pour Lévis dans la lignée, si modeste soit-elle, de celle qu’avait imaginée en 1937 Jacques-Henri-Auguste Gréber, architecte français de réputation internationale, spécialisé dans l’architecture du paysage et du design urbain et auteur de jardins célèbres aux États-Unis et en Europe. (Voir fiche en Annexe 3).

Caractérisée par l’histoire du 17 et 19e siècles, la mise en valeur d’un tel lieu répond à deux objectifs bien spécifiques: participer à l’amélioration de l’offre touristique de Lévis; améliorer le cadre de vie des citoyens du secteur par la création d’un parc de proximité.   

1/ Pourquoi Lévis doit conserver et les vestiges et le site du fort

La fonction éminemment économique du patrimoine historique

Depuis plusieurs années, la Ville de Lévis souhaite drainer à son profit une partie des hordes de touristes qui se déploient sur le Vieux Québec historique (2 millions de touristes/an, 2e source d’emplois avec 8000 emplois indirects et 21 000 emplois directs).

Si la Ville de Québec a pu être inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985, ce n’est pas pour son mythique Château Frontenac, mais essentiellement en raison de la richesse et de la signification de son patrimoine militaire. Or, le périmètre du  système de défense de Québec allait  bien au-delà de ses murailles en débordant de façon significative sur la rive sud. À la naissance du lieu nommé Lévis, il y a la fonction militaire, ce dont peu de personnes sont conscientes dans la grande agglomération de la Capitale nationale.

Alors que partout dans le monde on déterre les vestiges archéologiques et historiques à des fins touristiques, au Québec, on les enterre. Au tournant du siècle, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) invitait les pays membres à investir massivement dans le domaine du tourisme culturel, car les spécialistes en la matière anticipait que ce type de tourisme allait représenter un phénomène économique fort  important partout en Occident. Effectivement, cette industrie a rapidement  atteint  20 % des parts du marché touristique dans les pays qui ont su jouer la carte du patrimoine historique.

Au cours de cette période, le Québec, s’est, quant à lui, intéressé bien peu à la fonction économique du patrimoine culturel. Et il y a investi bien peu aussi. C’est en partie ce qui explique qu’un peu partout, le tourisme international a augmenté de 30% depuis le début des années 2000, alors ici au Québec, il accuse une  baisse de 15%.  Aucune «politique de l’événementiel» ne pourra compenser notre disqualification comme acteur dans cet univers économique du patrimoine historique.

Parmi les patrimoines les plus courus, il y a les fortifications, les châteaux, les cathédrales, les monastères. Ce qui attire le tourisme culturel, ce sont les circuits, les  routes, des moulins, des phares, des fortifications, des cathédrales, des musés régionaux, etc. Une étude  du groupe ICOMOS  en France (laquelle accueille plus de 75 millions de visiteurs étrangers par année) a évalué qu’un euro investi dans un patrimoine accessible 40 jours par année en  génère 30 en retombées économiques.

Vestiges des voûtes du  Fort Saint-Louis sous la Terrasse Dufferin.
Aperçu des voûtes du Fort numéro 3, état actuel (Photo Christian Gates St-Pierre).

Ce fort nous est  laissé dans un état lamentable, qui plus est, il n’aura jamais servi militairement parlant. Pourquoi est-il quand même essentiel d’en conserver les vestiges? Pour les mêmes raisons qu’à Québec, on a sauvegardé les Tours Martello et qu’en France on protège encore les ruines des châteaux-forts du Moyen âge, dont une grande partie est en état de dégradation souvent avancé. À leur façon, elles font partie du patrimoine local, national et mondial.

Les trois forts de Lévis ne témoignent pas seulement de l’histoire de Lévis, mais de l’histoire du Québec et même de celle du continent. Plus particulièrement, ils rappellent le caractère hautement stratégique de cette porte d’entrée du continent que constituent les caps de Lévis et de Québec. Qui possède la porte d’entrée du Saint-Laurent contrôle le continent. Ces vestiges doivent être considérés comme un tout;  à lui seul le Fort no 1 ne fait pas comprendre la logique du système de défense contre une invasion venant du Sud.

Sur ce plan, souligne l’archéologue Simon Santerre, «Les forts de la pointe de Lévy, dont seul le fort numéro 1 est ouvert au public, sont des exemples uniques de «forts détachés» construits vers la fin du XIXe siècle.  Il est important de continuer de miser sur les vestiges et le bâti individuels des forts, tout en favorisant l’intégration de ces derniers à un réseau de mise en  valeur qui permettrait une meilleure compréhension des différents systèmes de défense implantés au Québec («Fortifications au Québec, un patrimoine archéologique ». Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française).

2/ Un espace porteur d’avenir pour l’ensemble de la communauté lévisienne

Il faut être monté sur la plate-forme de béton qui surplombe actuellement les vestiges pour saisir tout le potentiel du lieu en termes de panorama. Tournant notre regard vers le sud, on y voit encore le site du Château Frontenac, puis en pivotant vers la droite sur une trajectoire de 360 degrés, apparaissent successivement le Mont Saint-Anne et les débuts de Charlevoix, puis la plaine de Bellechasse et le Massif du sud,  puis les confins de la Beauce avec le Massif Saint-Sylvestre et enfin à l’ouest une vue sur les ponts annonçant la plaine de Portneuf. On comprend alors pourquoi on a construit un fort en ces lieux.

Tout en étant largement méconnu, un second facteur d’ordre historique et symbolique s’impose dans l’appréciation du site : il est le lieu du deuxième établissement fondateur de Lévis en 1649, soit celui de Pierre Miville, un an à peine, après Guillaume Couture, dont le nom vient d’être donné, à juste titre, au boulevard par lequel on peut accéder aujourd’hui au site du Fort Numéro-Trois. (Voir annexe 5). Il s’agit là, de l’avis du GIRAM, d’une considération que la Ville doit prendre en compte dans son évaluation du potentiel d’avenir du site du Fort car il contribue à en hausser considérablement l’intérêt et le potentiel culturel, récréatif et historique.

3/ Surmonter l’angoisse de la précarité temporaire des finances publiques

Pourquoi conserver ces vestiges malgré leur état jugé lamentable? Rappelons d’abord qu’une partie fort importante des grands sites patrimoniaux et touristiques mondiaux sont des «vestiges» et non des immeubles restaurés. Parmi ces derniers, certains sont conservés «pour considérations futures» et pour rappeler ce qu’il nous faut appeler «l’esprit des lieux». Cela va des grandes murailles érigées au lendemain des croisades jusqu’aux vestiges beaucoup moins anciens des casemates de béton de la Ligne Maginot érigée au nord de la France, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Pour les générations qui se succèdent, ces monuments sont les témoins de notre passé, ils expliquent une bonne partie de notre présent.

Enfin, autre élément sur lequel on ne saurait trop insister, se rapporte à l’obligation qui incombe à toute une collectivité locale de participer à la mémoire nationale. Un patrimoine national est d’abord constitué de patrimoines locaux. La petite municipalité voisine, Beaumont, vient de faire sa part en «citant» au sens de la Loi sur le patrimoine culturel,  les vestiges de ce que le Plan d’urbanisme avait identifié comme  «Fort de Beaumont». 

Vestiges d’une casemate de la ligne Maginot (Nord de la France), ca 1927.                                     

L’objectif immédiat de Beaumont n’est incidemment pas de les restaurer ni de les ramener à leur état d’origine, ce qui coûterait une fortune pour une aussi petite collectivité, mais d’assurer leur conservation pour intégration thématique dans un espace urbain prochain, contribuant ainsi à rehausser encore davantage le caractère culturel et historique de la municipalité.  

3/ Propositions visant la réhabilitation du site à des fins touristiques et récréatives

L’espace du Fort Numéro-Trois est exceptionnel pour sa rareté et son potentiel historique, culturel et touristique et de loisir urbain. Par ce bref mémoire à la Ville, notre organisme  désire identifier les lignes directrices d’un projet qui pourrait s’avérer générateur de retombées pour la collectivité de Lévis.

Il y a bien sûr la considération économique.  La Ville caresse le souhait d’accueillir davantage de touristes et même un jour d’ouvrir le quai Paquet aux croisiéristes.  Pour exploiter pleinement ce potentiel, il faut un plan, il faut surtout une masse critique de sites patrimoniaux d’intérêts aptes à soutenir la viabilité de circuits culturels et touristiques. Du côté de la Capitale, on est actuellement à préparer un circuit basé uniquement sur les îlots patrimoniaux et ce, à partir  des domaines de Sillery jusqu’aux vestiges archéologiques de Cap-Rouge (sites de Jacques Cartier et Roberval).

Sur un autre plan, il faut prendre en considération la qualité de vie urbaine. Ce secteur de la ville en est un de haute densité d’habitations et de commerces et il manifestement est en déficit d’espaces verts. Pourquoi ne pas se saisir de cette obligation morale de conservation pour aménager un parc de proximité dont les résidents du secteur environnant seraient les premiers bénéficiaires?

Ces considérations ont conduit le GIRAM à la formulation de quatre propositions :

Proposition 1 : Procéder à une «citation» légale des vestiges en vertu des dispositions de la Loi sur patrimoine culturel

Cette loi du Québec permet à une municipalité de «citer» un bien patrimonial sur son territoire, ce qui permet d’en faire reconnaître formellement la valeur patrimoniale. Elle assure ainsi la protection du bien et favorise sa transmission aux générations futures. L’immeuble patrimonial cité est alors inscrit au Registre du patrimoine culturel, ce qui contribue à sa connaissance et à sa mise en valeur auprès de la collectivité. C’est la voie qu’a empruntée la petite municipalité de Beaumont relativement aux fortifications de la Première Guerre mondiale. Il y a actuellement un mouvement dans le tout Bellechasse pour participer à cette œuvre de citations d’immeubles à caractère historique ou archéologique.

Proposition 2 : Acquisition des espaces par la Ville de Lévis

Nous proposons que la Ville de Lévis acquière l’ensemble de l’espace actuel pour fin de parc public. Compte tenu du caractère doublement patrimonial du lieu, l’hypothèse de la donation avec compensations fiscales doit être explorée. Par ailleurs, si le propriétaire est déjà partenaire avec la Ville de Lévis sur plusieurs projets de développement et de lotissement, un échange de droits s’avère possible en vertu des dispositions de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (Section 11.1 sur les règlements de zonage et de lotissement sur les parcs, terrains de jeux et espaces naturels).

Proposition 3 : Création d’un parc public à vocation culturelle et récréative, appuyée sur la double thématique du peuplement et de la vocation militaire de Lévis

Cette proposition n’est pas tout à fait nouvelle, elle rejoint celle des architectes, Jacques Henri-Auguste Gréber et Raoul Chênevert, qui, en 1937, proposaient à la Ville de Lévis un audacieux plan pour faire de ce site du Fort Numéro-Trois, un parc récréotouristique  d’envergure régionale et nationale.

Ce parc public dont le GIRAM appelle à nouveau la création pourrait de décliner en phases multiples s’étalant, s’il le faut,  sur plus d’une décennie, dépendamment des capacités financières et aussi des programmes gouvernementaux d’infrastructures disponibles.

La première phase en est une de nettoyage et de sécurisation des lieux (enlèvement  des voies de circulation et d’accès en béton ainsi que des murs de rétention de gros blocs de béton).

La deuxième concerne la consolidation intérieure des voûtes (sans restauration), possiblement avec du béton projeté et la réfection de la muraille sud et des murs de l’enceinte.

La troisième concerne les travaux devant mener à l’aménagement d’un espace récréotouristique généreusement pourvu d’arbres désormais rares dans cette zone de l’arrondissement Desjardins. Un concept particulier devrait alors guider la Ville pour en faire quelque chose d’original. À terme, ce parc pourrait être complété par des infrastructures récréatives (piscine publique) qui seraient les bienvenues pour la population du quartier Saint-David.

Il  y a quelques années, avait été avancé un projet d’un escalier à l’emplacement de l’ancienne Côte Patton, maintenant végétalisée (Programme triennal d’investissement, PTI). Il pourrait même s’avérer intéressant de réactiver dans le PTI  ce projet d’un lien entre le Parcours des Anses et l’ancien Chemin du Roy en haut de la falaise. La construction d’un tel «escalier Patton» permettrait de développer un parcours touristique historique sous forme de randonnée balisée quittant le Parcours des Anses à la Maison Louis-Fréchette, maintenant restaurée, montant au Chemin du Roy par l’escalier, débouchant ensuite sur ce nouveau parc (voir plan en annexe 4).

Parc de l’ancienne église de Sainte-Foy incendiée en 1977.
Petit parc fraicheur des Arènes de Lutèce (5e Arrondissement, Paris)

Des  panneaux d’interprétation pourraient également illustrer les origines de Lévis, rappeler les réalisations de Louis Fréchette et de la famille Patton et enfin, sa destinée militaire du lieu au 19siècle.

Proposition 4 : Développer un concept composant avec les incontournables contraintes de l’épisode industriel

Nous pensons qu’il est possible et même souhaitable de recycler à des fins spécifiques les ajouts contemporains, même si à première vue, ils paraissent indésirables. Cette proposition est faite sous les auspices du principe de précaution; trop intimement attachées au système de voûtes anciennes,  ces structures de béton devraient demeurer dans le paysage par souci de contrer toute fragilisation supplémentaire des vestiges. Dans cette optique, nous proposons un concept de belvédère directement agrippé à la plate-forme de béton servant d’assise à la terrasse. Un examen sommaire a permis de constater que cette structure a traversé toutes les affres du temps et des chocs de surface.

En termes d’interprétation historique du lieu, nous croyons que,  sans travestir ce dernier, il reste possible d’en imaginer une mise en valeur esthétique assez inédite, en développant une oeuvre à partir des restes du temps qui sont encore présents, sous forme d’énigme ou d’interrogation du passé. Ainsi, le lieu pourrait revivre et renaître au présent, au contemporain. (Voir à ce sujet une ébauche élaborée par Pierre Blouin proposition en annexe 6).

Annexe 1   Nouveau sursis pour le Fort no 3
Lévis décrète un moratoire en attendant l’aide du fédéral (Le Soleil, vendredi 2 mars 2001, p. A6, Marc Saint-Pierre.)   Lévis – De quoi donner au fédéral le temps d’entendre le grelot, la Ville de Lévis s’apprête à statuer d’un moratoire sur la démolition du Fort numéro 3.   C’est ce qu’a indiqué la conseillère municipale et présidente du Comité de démolition de la Ville de Lévis, Lise Bourgault, à l’occasion d’un entretien accordé au SOLEIL. « Le conseil municipal a décidé d’un moratoire jusqu’à la fin de la présente année financière. Le moratoire sera confirmé par résolution à l’occasion de la réunion publique du conseil, le 5 mars », a indiqué Mme Bourgault.   « Ce que nous faisons, c’est que nous donnons au gouvernement fédéral le temps de se retourner. Nous entendons d’ailleurs l’aviser de notre décision », a précisé la conseillère municipale.   Pour le Fort no 3, il s’agit d’un nouveau sursis dont la démolition est envisagée depuis l’automne 2000. Pour la Ville de Lévis, le sursis qu’elle accorde aux vestiges est un nouvel appel du pied au fédéral pour qu’il sauve ce qui peut encore être sauvé.   C’est bien de vestiges dont il s’agit. Il ne reste plus du Fort no 3, un des ouvrages du complexe de défenses avancées de Québec mis en place par les Anglais, que des parties des casemates et des caponnières, des bouts de murs également. Des vestiges qui se perdent dans ce qui reste de la cimenterie qui a été exploitée sur le site pendant un demi-siècle.   Tout cela, l’actuel propriétaire du site, Ciment St-Laurent, veut le raser pour pouvoir vendre le terrain. De source de l’entreprise, un terrain dont les acheteurs ne veulent pas s’il y subsiste le fort.   Mais dès le moment où la Ville et son comité de démolition ont envisagé de délivrer un permis de démolition, Parcs Canada s’en est ému. Au point d’adresser une lettre à l’administration municipale pour lui faire observer que les vestiges ont été déclarés d’importance historique nationale en 1959. Et font partie des ressources culturelles reliées au système défensif de Québec, à l’époque coloniale.   « Bien qu’il n’y ait pas d’obligations légales associées à la désignation d’importance historique nationale, nous convenons tous de l’importance de conserver ces ressources culturelles exceptionnelles », ajoutait Parcs Canada.   L’intervention fédérale s’est arrêtée là.(…).      


Le Fort numéro 3 de Lévis sauvé par… le Carrefour de la nouvelle  économie

(Le Soleil, mardi 26 février 2002, p. A16)


Non seulement le Carrefour de la nouvelle économie (CNE) de Lévis doublera-t-il sa superficie, mais le projet d’agrandissement sauvegardera de surcroît les vestiges du Fort numéro 3. Le projet a été confirmé par la députée de Lévis et ministre de Chaudière-Appalaches, Linda Goupil, hier. (…)

Dans la perspective d’accueillir ces entreprises, et quelques autres, celui-ci est sur le point d’acquérir de Ciment Saint-Laurent les vestiges du Fort numéro 3 et de son terrain 306 000 pieds carrés, propriété jouxtant l’immeuble du CNE actuel. Ne restent plus à boucler que des formalités.

Mais ce ne sera pas pour raser les parties de casemates, caponnières et bouts de murs qui subsistent de l’ouvrage du complexe de défenses avancées de Québec. Initiative saluée par le maire Jean Garon, il s’agira plutôt d’intégrer le site historique et le lieu de technologies nouvelles, un investissement de quelque 4 millions $.

 » J’ai décidé de le conserver (le fort) pour donner du caractère au projet « , a noté M. Fortin, soulignant que les architectes sont déjà l’oeuvre.

 » Le mandat que s’est donné l’équipe de IMAFA, c’est de faire un fort nouveau avec le numéro 3, pour lui permettre d’accueillir l’agrandissement du CNE, et de développer une autre activité économique plus commerciale à préciser plus tard « , a-t-il ajouté. Les travaux seront lancés dès le mois de mai, la coupure du ruban inaugural devant avoir lieu en septembre.

Déclaré d’importance historique nationale en 1959, exploité comme cimenterie pendant au moins un demi-siècle, le Fort no 3 était en sursis, sa démolition étant envisagée depuis l’automne 2000. Il y a un an, le Comité de démolition de l’ancienne ville de Lévis avait décrété un moratoire sur ce projet. Du même souffle, les élus lévisiens avaient souhaité que le gouvernement fédéral intervienne pour sauver ce qui pouvait encore être sauvé.

Cette mission sera, semble-t-il, remplie par IMAFA.

(MStPierre@lesoleil.com).

Fiche Projet Gréber

Archives nationales du Québec

Annexe 4

Carte du système de défense de Lévis (Parcs Canada)

Carte du système de défense de Lévis (Parcs Canada)

Annexe 5

Parc public dédié à la fois au passé militaire de Lévis et  la mémoire du 2e établissement de la seigneurie de Lauzon en 1649

L’emplacement du Fort numéro 3  (plan no. 1 ci-dessous, p. 15) jouxte les terres qui devinrent en 1649 le deuxième établissement historique de la seigneurie de Lauzon, un peu plus d’un an après que Guillaume Couture se fut établi le premier dans l’est de la seigneurie, à la pointe de Lévy.

«Dans l’automne de 1649 … M. d’Ailleboust, en qualité de procureur du seigneur Jean de Lauzon, concédait à Pierre Miville, son fils et à Jacques (Gauthier-dit-) Coquerel – à chacun 3 arpents de front – situés près de la Coulée Patton sur le territoire actuel de Lévis, au bas de la falaise et de Saint-David-de-Lauberivière pour la plus grande partie»[1].

Pierre Miville, dit le Suisse, fut le premier colon de ce 2e établissement de la seigneurie[2]. Avec ses fils François (à l’ouest) et Jacques (à l’est), ils en vinrent à posséder au total des terres contigües sur 17 arpents de front de part et d’autre de la coulée Patton (voir plan no 1). Pierre Miville fut un personnage important au début de la seigneurie. Il fut capitaine de milice en second de Guillaume Couture[3], premier capitaine de milice de la côte de Lauzon. Cette responsabilité  était importante dans une période où les colons faisaient face régulièrement aux incursions des féroces Iroquois qui les terrorisaient.

Pierre Miville a 30 arpents de terre en valeur et il nourrit 8 bêtes à cornes. Signalons en passant que les Iroquois lui en avaient tuées plusieurs fois, étant donné que ses bêtes pacageaient sur la grève[4].

Pierre Miville mourut sur sa terre en 1669 après l’avoir cultivé héroïquement pendant vingt ans sous la menace iroquoise.

La coulée Patton, au cœur du fief des Miville, la voie d’accès à leurs terres du haut de la falaise,  a aussi toute une histoire au 19e siècle.

Cette coulée devint progressivement la Côte Patton, du nom d’un industriel qui y établit sa demeure somptueuse dans la période des grands chantiers de bois qui s’installèrent un peu partout sur la rive du Saint-Laurent au 19e siècle. Un personnage célèbre de l’histoire de la Ville de Lévis, le poète Louis-Honoré Fréchette, a bien connu la famille Patton. Le père de Louis-H. Fréchette avait construit vers la fin des années 1830, sur un emplacement que l’on peut situer à la limite ouest de l’ancien fief des Miville (voir le plan),  la maison où naquit le poète. Cette maison, la Maison natale Louis-Fréchette, vient d’être restaurée grâce à une forte mobilisation de fonds publics et privés.

Louis Fréchette décrit de façon savoureuse et réaliste les deux types de population occupant le haut et le bas de la côte Patton.

«Sur la Côte, un grand chemin bordé de belles fermes, demeures de cultivateurs à l’aise, de «gros habitants», comme on disait alors. Au bas de la falaise, le long de la rive du fleuve, les «Chantiers», c’est-à-dire une longue suite d’anses pittoresques, coupées de profondes coulées et séparées par des rochers à pic et dénudés, dont la cime se couronnait de grands pins aux longs bras projetés sur le vide. C’était là que s’élevait notre maison, à mi-chemin entre l’ancienne gare du Grand-Tronc et l’endroit qui se nommait alors l’anse Dawson, et qu’on a appelé, depuis, Hadlow.» [5]

Ces demeures de ‘’gros habitants’’ étaient certainement élevées sur l’ancien Chemin du Roy, aujourd’hui la rue Saint-Georges. Il serait intéressant de faire une recherche historique sur les plus vieilles maisons situées aujourd’hui entre les vestiges de la Côte Patton (un peu à l’ouest de la rue de la Falaise) et la rue Labrie, en vis-à-vis du Fort #3, pour vérifier s’il ne reste pas quelques traces de ces demeures dont parle  Fréchette en 1900 lorsqu’il publie ses « Mémoires intimes » dans le Monde Illustré.

Fréchette a sans doute fait ses observations sur la population en haut et en bas de la falaise en grimpant jeune la côte Patton, ce qui le mit en contact avec cette famille de grande bourgeoisie, avec laquelle d’ailleurs son père développa une relation d’amitié..

Il s’appelait Horatio Patton. Il habitait un véritable château dont il ne reste plus de trace, et qui était tenu dans un grand style, nombreux personnel et vastes dépendances, et qui eut plus d’une fois l’honneur de recevoir le gouverneur du pays, et en particulier lord Elgin. C’est dans l’une des serres de cette résidence princière que je grignotai ma première grappe de raisin – chose rare dans le pays à cette époque. M. Patton, n’ayant pas d’enfant, avait adopté une jeune fille d’excellente famille, d’une position de fortune indépendante, mais dont les parents étaient morts. Elle s’appelait Harriette Davie, mais tout le monde l’appelait Mademoiselle Patton. C’était une très jolie fillette de quelques années plus âgée que moi, et qui fut ma première amie en dehors du cercle intime de ma famille … Chère Mam’zelle Henriette! son départ fut le premier anneau rompu dans la chaîne de mes affections terrestres : déchirement suivi par bien d’autres, hélas![6]

Ces touchants souvenirs de Fréchette réfèrent à cet espace urbain qui fut au 17e siècle le 2e établissement de la seigneurie de Lauzon, le fief de la famille Miville, borné aujourd’hui par le Fort Numéro 3.

Une autre option est sans doute possible. Après avoir sécurisé les lieux, ne pourrait-on pas faire de cet emplacement un parc avec sentiers et bancs, avec quelques panneaux historiques rappelant l’histoire des terres Miville comme 2e établissement aux origines de notre Ville, après celui de Guillaume Couture dont le nom vient d’être donné, à juste titre, au boulevard par lequel on accède aujourd’hui au Fort Numéro 3? Des  panneaux historiques devraient aussi rappeler la destinée au 19e de cet établissement fondateur, en y rappelant les souvenir de Louis Fréchette et de la famille Patton.

Ce parc hypothétique, qui pourrait s’appeler ‘’Parc Pierre-Miville ‘’ devrait être intégré à un plus grand ensemble patrimonial. Dès le premier mandat de l’administration de la nouvelle Ville de Lévis fusionnée en 2001, sous le maire Jean Garon, à la suggestion de la conseillère municipale du quartier Saint-David, Lise Brochu, le projet d’un escalier à l’emplacement de l’ancienne Côte Patton, maintenant végétalisée, avait été  officiellement inséré dans le Programme triennal d’investissement (PTI) de la Ville. Il semble en être disparu depuis. N’y aurait-il pas lieu de réactiver dans le PTI  ce projet d’un lien souhaitable entre le Parcours des Anses et l’ancien Chemin du Roy en haut de la falaise? La construction d’un tel ‘’escalier Patton’’ permettrait de développer un parcours touristique historique sous forme de randonnée balisée quittant le Parcours des Anses à la  Maison natale de Louis-Fréchette, maintenant restaurée, montant au Chemin du Roy par l’escalier, débouchant ensuite sur le parc Pierre-Miville à l’emplacement du Fort no. 3, et redescendant au Parcours des Anses, à l’anse Tibbits, en empruntant la côte Rochette (voir le plan no. 1 ci-dessous).

.

Plan no. 1 : le 2e établissement de la seigneurie de Lauzon en 1649.


[1] Léon Roy, Les premiers colons de la rive sud du Saint-Laurent, SHRL  1984, p. 348.

[2] Léon Roy, loc. cit. , dit de  la famille de Pierre Miville ‘’qu’on peut [la] considérer comme la troisième famille établie dans la seigneurie de Lauzon’’, soit après celles de Guillaume Couture et de François Bissot dans le premier établissement à la pointe de Lévy, à Lauzon.

[3] Loc. cit. , p. 349.

[4] Loc. cit. , p. 349.

[5] Louis Fréchette, Mémoires intimes, Fides 1961, p. 36.

[6] Loc. cit. p. 57.

Annexe 6

Un concept de mise en valeur avec intervention esthétique

Dans l’action de réhabilitation du Fort numéro 3, on peut esquisser un plan de mise en valeur avec simulation. Cette mise en valeur serait basée sur une expérience différente de celle du Fort no 1, à savoir, la conservation intégrale du lieu et des ruines sans restauration avec mise aux normes. Un accès protégé à la première voûte serait sécurisé (cage de verre) et le reste, illuminé. Sans travestir le lieu, il me semble que l’expérience ainsi offerte correspondrait à une mise en valeur esthétique, une oeuvre créée à partir des restes du temps qui sont encore présents, sous forme d’énigme ou d’interrogation du passé. Le lieu revivrait et renaîtrait au présent, au contemporain.

En fait, la proposition s’apparente un peu à ce qu’on trouve en France et en Europe, par exemple les restes d’abbayes. Les voûtes du Fort 3 sont restées intactes, au contraire de celles du Fort 1, repeintes. Une restauration minimale serait recommandée. Sur ce plan de la consolidation des voûtes, remarquons quelques constats :

  1. Leur solidité remarquable a fait qu’elles ont traversé plus de 150 ans sans trop s’abîmer et sans protection aucune.
  2. La présence d’une cimenterie située au-dessus et de réservoirs lourds, ainsi que les vibrations fortes dues à une circulation de poids lourds pendant plusieurs décennies, a contribué à une détérioration certaine.
  3. Les voûtes enfouies du Fort numéro 2, sur l’emplacement du stationnement du siège de l’Assurance-Vie Desjardins sur le boulevard Guillaume-Couture, n’ont été découvertes que grâce au poids d’un bouteur (« bulldozer ») qui les a enfoncées.

La solidité des voûtes du Fort 3 ne semble donc pas poser un problème essentiel si elles ne sont pas soumises à des contraintes majeures.

Notre projet de réhabilitation propose une expérience différente de celle vécue au Fort numéro 1, une visite davantage axée sur l’émotion, la recréation, voire l’émotion artistique. Des projets en arts visuels pourraient s’y mener, un peu comme dans une galerie d’art. Au Fort numéro 1, on costume les enfants; au Fort numéro 3, on pourrait recréer l’atmosphère en « costumant » le lieu en quelque sorte pour qu’en ressorte l’essence et l’émotion.

Dans un tel cadre d’interprétation, l’histoire n’est pas absente bien entendu. Elle serait complémentée par un volet axé sur la force d’évocation du lieu, en lien avec cette même histoire. Le visiteur prendrait contact avec le lieu et les installations un peu comme on visite une cave secrète, dans une sorte d’hommage rendu aux ouvriers et aux constructeurs de ce lieu presque démesuré avec les moyens de l’époque.

Le tout serait protégé par une salle multiusages adjacente collée aux murs extérieurs du Fort ou par tout autre bâtiment, tel un centre d’archives de la Ville ou centre culturel. Un Carrefour de la nouvelle économie, tel qu’imaginé au début des années 2000, y trouverait aussi sa place et serait avantageusement situé, avec une visibilité sur l’artère principale de Lévis, le boulevard Guillaume-Couture. Un parc avec piscine publique viendraient compléter le tout sur le terrain à l’extérieur. Le groupe Desjardins pourrait être sollicité afin de s’impliquer, avec son volet d’aide à la communauté d’accueil.

Pour finaliser la proposition, l’intégration de cette installation à un circuit culturel et touristique, axé sur la spécificité de la Rive Sud. Une mise en marché d’un tel circuit assurerait un appel auprès du tourisme de niche que représentent les croisiéristes et visiteurs internationaux. Comme attrait touristique, Lévis se distingue par la concentration de son architecture victorienne (le Vieux-Lévis) et son héritage militaire (Forts de Lévis et de la Martinière). Les panoramas gagneraient aussi à être mis en valeur, non seulement ceux de la vieille ville sur le fleuve et Québec mais également ceux offerts à partir du plateau supérieur, tels les emplacements des Forts et du sommet de l’édifice de la tour Desjardins.

Pierre Blouin

* * *

L’esprit du lieu sort de son terroir et souvent transforme la connaissance acquise. 

Le «souffle» du lieu touche les visiteurs (…)

L’urgence de préserver les espaces choisis devient aussi importante que d’étendre la prise de conscience aux réalités de tous les jours. Les parcs et lieux ne doivent pas être que des parenthèses de conservation (…)

Annette Viel, Service canadien des parcs, muséologue, consultante internationale,

récipiendaire du prix ICOM Canada 2008

Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 25, 1991, p. 40-44.

Parler de l’«esprit des lieux», c’est façonner une mise en valeur offerte

au public en privilégiant une approche axée sur une expérience globale plutôt

qu’essentiellement sur une thématique à communiquer.

Annette Viel, « Quand souffle “l’esprit des lieux ” », Colloque ICOMOS « L’esprit du lieu »,  7 août 2008

Annexe 7 

Vue aérienne du site du fort numéro 3

Slider by webdesign