Collège et ancienne école d’agriculture de La Pocatière
Proposition de citation à titre de bien patrimonial
(Section 3 de la Loi sur le Patrimoine culturel)
Mise en contexte
La proposition en bref.
Pôle institutionnel, culturel et éducationnel et religieux reconnu depuis le milieu du XIXe siècle, La Pocatière a exercé une influence notable, non seulement en Côte-du-sud, mais dans tout l’est du Québec. Parmi les immeubles historiques et emblématiques qui ont incontestablement donné une personnalité et une notoriété à ce lieu, mentionnons : ses deux anciennes grandes églises-cathédrales (incendiées), l’ancien presbytère (démoli), le Manoir seigneurial Dionne (démembré), le Couvent des sœurs éducatrices (démoli), le moulin Gendron (abandonné et à moitié démoli), la vieille maison du Collège et ancien bureau de poste (démoli). Comme immeubles du XIXe siècle d’importance, seuls, subsistent le Collège et l’ancienne école d’agriculture fondée par François Pilote, première institution du genre au Québec et au Canada.
D’une structure de qualité et d’une architecture distinctive à l’origine, l’immeuble ayant servi de première école d’agriculture ne bénéficie toutefois d’aucun statut de protection. Sur le point d’être vendu, nul ne sait ce qu’il peut en advenir à court ou moyen terme. Il est connu qu’un transfert de propriété comporte toujours son potentiel de risques quant à sa pérennité ou à l’intégrité de son architecture.
Organisme dédié à la sauvegarde du patrimoine québécois, à l’aménagement durable et à la protection de l’environnement, le GIRAM, s’adresse au Conseil municipal de La Pocatière afin qu’une mesure de protection soit octroyée à cet immeuble patrimonial, considérant:
– Sa valeur patrimoniale et historique supérieure;
– Son apport historique et identitaire du lieu;
– Sa plus-value pour un éventuel redéploiement du Musée de l’agriculture.
1/ Intérêt architectural et patrimonial du bâtiment.
La construction de ce bâtiment s’inscrit dans le courant de l’architecture néoclassique, comme en témoignent la composition symétrique de la façade, le toit à deux versants aux larmiers prolongés et son élévation par rapport au sol. Il est contemporain à l’ancien presbytère de la paroisse et le Manoir Dionne. Cette influence néo-classique a dominé le territoire du Québec entre 1830 et 1880 et elle s’inscrit dans le modèle de la maison traditionnelle québécoise.
À l’instar de la plupart des bâtis à vocation institutionnelle, cette école a été édifiée sur un large solage de pierre en vue d’assurer une solidité et une durabilité à long terme. Même ancrée sur la crête d’un terrain en assez bonne pente, cette fondation de maçonnerie ne semble avoir rien perdu de sa stabilité initiale pendant 165 ans. On peut supposer que le matériau provient de la carrière de la Montagne du Collège, un matériau qui a servi pour tous les bâtis successifs du Collège depuis sa fondation en 1827. On peut, sans risque de se tromper, penser que la structure « pièces sur pièces », est également de qualité supérieure. Indice révélateur : on ne note aucune flexion centrale du faîte de la structure de toit, un phénomène couramment rencontré chez les bâtis de cet âge.
Six lucarnes à pignon percent la pente sud de la toiture, respectant la symétrie imposée par ce courant néo-classique. Ce type de bâtiment est également surhaussé par rapport au niveau du sol. Il est muni d’une galerie en bois et d’un escalier comme éléments de transition entre l’extérieur et l’intérieur. À l’origine, cette galerie faisait toute la longueur de la façade. Enfin, on note la présence de deux cheminées de brique de facture similaire à celles qu’on peut observer sur l’ancien Manoir Dionne et sur l’ancien Presbytère paroissial. Toutefois, il faut noter que pour un bâtiment à vocation d’enseignement, la fenestration n’est pas particulièrement généreuse en façade. Par contre, selon ce que révèlent les photographies anciennes, la porte de la façade est encadrée par un portail de style néo-classique.
Enfin, pour témoigner formellement de la fonction éducative de ce bâtiment il y avait le traditionnel clocheton surmonté d’une croix. Il est intéressant de noter que ce clocheton était de la même facture que ceux trônant sur l’aile-est du Collège ( photo circa 1860), ainsi que sur le toit de l’ancien Couvent de Rivière-Ouelle. Il y a donc de fortes possibilités que les trois soient l’œuvre du même artisan.
À propos du clocheton manquant :celui du collège vers 1860 et celui du couvent de Rivière-Ouelle (photos :Archives).
Conformément au modèle de « maison-école » de cette période on peut supposer que celle de François Pilote avait son rez-de-chaussée en pièces assez grandes pour abriter des classes, les combles étant partagés en plus petites pièces pour servir de logement, soit au personnel en, soit à des employés agricoles. Mais, nous ne disposons pas d’information spécifiques à ce sujet.
Ce modèle nous semble assez apparenté à celui de l’ancienne École Saint-Charles-de-Hedleyville (Limoilou) construite à la même époque, soit en 1860. Ce type de bâtiment s’inscrit dans la tradition des maisons à fonction spécialisée comme par exemple les maisons à logement construites pour les employés des moulins ou davantage encore les « salles d’habitants » généralement situées au cœur de l’ensemble paroissial traditionnel québécois comprenant l’église, le presbytère, le cimetière l’école, le collège ou le couvent.
Fort heureusement, ce bâtiment-école de l’abbé François Pilote n’a pas subi de transformations structurales majeures depuis sa construction en 1858, et ce même après avoir été converti en résidence dans les années 1920, puis utilisé comme tel depuis. Il a conservé ses six lucarnes, de même que sa fenestration frontale et latérale d’origine. Pour une bonne part, les recouvrements muraux et moulurations traditionnelles ont été sauvegardées. Une perte importante cependant, son clocheton tout à fait caractéristique. Un élément qui doit absolument être reconstruit dans le cadre d’une éventuelle restauration du bâtiment.
L’exemple de l’École Saint-Charles-de-Hedleyville, (Limoilou 1860), classée immeuble patrimonial en 1984, en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
Pour apprécier la valeur de l’école François Pilote, il est important de procéder par comparaison.
Les maisons-écoles» de ce type et de cette époque, soit mie-XIXe, sont plutôt rares au Québec. Nous avons retenu l’exemple de l’ancienne école Saint-Charles-de-Hedleyville, à laquelle le Ministère a accordé une « valeur patrimoniale exceptionnelle ».
Ce bâtiment présente un grand intérêt patrimonial pour sa valeur historique reliée à la naissance du quartier Limoilou à Québec. Le rez-de-chaussée était divisé en deux pièces qui abritaient les classes, et les combles étaient partagés en six pièces qui, à l’origine servaient de logement au personnel enseignant. Il est un témoin d’intérêt des écoles de village construites au Québec au XIXe siècle » et du système scolaire québécois mis en place par l’État entre 1841 et 1869.
Ouverte en 1862, l’école a été d’abord sous la responsabilité de laïques, puis de la communauté religieuse des Servantes du Saint-Coeur de Marie et ce, de 1899, jusqu’à sa fermeture en 1903 », alors qu’un immeuble beaucoup plus imposant est construit. Restaurée. Elle fait aujourd’hui fièrement partie du patrimoine immobilier de la Ville de Québec.
2/ Intérêt historique et emblématique
La construction de cette première école entièrement dédiée à l’enseignement de l’agriculture a incontestablement marqué l’histoire d’un Québecfaisant face, à cette époque, avec une situation de marasme croissant de son secteur agricole en raison de l’appauvrissement des sols et une improductivité de plus en plus marquée. Il s’agit d’un projet qui avait été mûrement réfléchi par l’abbé François Pilote. Une tournée de plus de huit mois à travers les meilleurs établissements agricoles de France, de Belgique et d’Irlande, aura aidé ce dernier à bien planifier ce nouvel établissement.
Cette école devait avoir pour mission essentielle de relever le niveau d’instruction des cultivateurs en matière de production végétales et animales. Il fallait procurer à ces derniers de nouveaux outils, et surtout leur fournir des moyens d’améliorer leurs terres déjà usées et appauvries par des méthodes de culture absolument archaïques, phénomène répandu à la grandeur du Québec rural en cette difficile période de la moitié du XIXe.
Cette école de 1859 a non seulement été la première du genre au Québec et au Canada, mais elle a ouvert un nouveau champ d’éducation, de recherche et de transmission des connaissances dans le domaine agronomique. On y dispense des cours axés sur de nouveaux procédés en agriculture, en élevage et en traitement des sols. Une ferme modèle annexée à l’école soutient cet enseignement. Puis, initiative heureuse, deux ans plus tard, on fonde « La Gazette des Campagnes », dédiée à une diffusion et à un partage des connaissances.
Il faut saluer le rayonnement de cette école. Les élèves provenaient d’abord de la région, mais le recrutement s’est étendu par la suite à l’ensemble du Canada français ce qui a largement contribué à la notoriété de La Pocatière dans le domaine d’une science agricole naissante, dans une société fort dépourvue.
Son programme d’études s’est graduellement paufiné et élargi, si bien que dès la fin du XIXe siècle, outre le cours d’agriculture proprement dit, on offrait des cours de botanique, de physique, de chimie agricole, d’art vétérinaire et de droit rural.
En 1911, cette petite maison-école François Pilote donn naissance à un établissement plus vaste et plus adapté aux réalités du XXe siècle. Plus d’une fois agrandie, cette dernière deviendra la première Faculté d’agriculture de l’Université Laval.
Cette école d’agriculture de même que son Collège classique feront de La Pocatière, un important lieu de diffusion de la culture et de la science
3/ Motifs pour procéder à une protection légale de l’ancien bâtiment de l’école d’agriculture.
3.1/ Son intérêt patrimonial supérieur en raison de :
- L’ancienneté du bâtiment (1858) et son unicité;
- Sa valeur architecturale exceptionnelle (type maison-école avec clocheton).
- Sa valeur paysagère (inscription dans l’espace institutionnel et traditionnel de La Pocatière.
3.2/ Son intérêt historique et emblématique incontestable.
Cet immeuble rappelle le rôle majeur joué par l’enseignement agricole, de la recherche agronomique et de sa diffusion sur l’ensemble du territoire québécois, lesquels ont jadis, largement contribué à faire de La Pocatière un pôle de grande importance en la matière.
3.3/ Son potentiel en termes de retombées culturelles et économiques pour la collectivité locale.
Partout dans le monde, la mise en valeur du patrimoine bâti local et régional s’est avéré un important facteur de développement culturel et économique. Un grand nombre de municipalité doivent leur prospérité à la conservation de leur lieux de patrimoine et d’histoire.
3.4/ Sa vulnérabilité.
À La Pocatière, trop d’immeubles d’exception ont été rasés. Pas plus loin qu’en 2020, deux bâtiments de ferme de l’ITA, pourtant d’une architecture assez unique au Québec, ont failli eux-aussi disparaître sans trop de considérations. Seul un Règlement de démolition municipal vientprotéger l’ancienne École François Pilote. Il faut savoir qu’un tel règlement n’oblige à rien de plus qu’une analyse par un comité consultatif du conseil municipal. Il n’offre malheureusement aucune garantie contre une démolition ou une transformation de sa structure.
GIRAM, 8 février 2022