Objection à la demande de démolition du bâtiment situé au 5204-5224, rue Saint-Laurent (connu comme l’ancien Hôtel Victoria)

INTRODUCTION

Par sa Résolution CD-2021-00-02, le Comité de démolition de la Ville de Lévis
convenait de refuser une première demande de démolition du dit immeuble en raison de la non-conformité du projet de remplacement aux règlements municipaux en vigueur. Cette décision a par la suite été confirmé par résolution du conseil municipal suite à une demande d’appel.

Dans son analyse du dossier, le Comité faisait entre autres état d’un rapport d’expertise structurale du bâtiment réalisé par Génie + qui démontrait que plusieurs composantes du bâtiment auraient atteint leur fin de vie utile et devaient être remplacés pour assurer la conservation du bâtiment. Dans ses deux interventions (objection d’octobre 2021 et lettre au conseil municipal de février 2021), le GIRAM  était d’un avis contraire.  Il demandait que les services d’une firme spécialisée en patrimoine bâti et en urbanisme soient sollicités préalablement à

Il soulignait en outres que l’octroi d’un permis de démolition pour cet immeuble, risquait de lancer un signal assez évident à tous les promoteurs à l’effet que des problèmes de non concordance aux normes de construction (le lot de la majeure partie des bâtiments anciens et de valeur historique de la rue Saint-Laurent) deviennent prétextes à des démolitions, les unes après les autres. Il demandait en outre que les services d’une firme spécialisée en patrimoine bâti et en urbanisme soient sollicités préalablement à toute décision.

Le GIRAM rappelait en terminant qu’un bâtiment d’un tel gabarit offre plusieurs options en termes d’usage et de réhabilitation et il se prête également à certaines sources publiques de financement, entre autres le Fonds patrimoine du MCC, auquel peuvent le cas échéant s’ajouter le programme de soutien aux coopératives de solidarité (auberge de jeunesse) ou un soutien de la SHQ (habitation à loyers abordables).

MOTIFS POUR REFUSER CETTE 2E DEMANDE.

CONSIDÉRANTque les motifs invoqués par notre organisme en 2021 tiennent toujours en 2022 (valeur historique incontestable du bâtiment et de son environnement bâti de proximité; reflet historique important de l’époque de l’industrialisation de Lévis et prétention que le bâtiment est encore solide et restaurable.  

CONSIDÉRANT le caractère et le sens que ce bâtiment et ceux qui l’accompagnent dans l’environnement immédiat se sont appropriés au fil des ans.

CONSIDÉRANT la personnalité historique du lieu habité auquel participe ce bâtiment (ce que dans le  jargon des aménagistes appelle « l’esprit d’un lieu ».

Considérant que les services d’une firme spécialisée en patrimoine bâti et en urbanisme doivent être sollicités préalablement à toute décision.

CONSIDÉRANT qu’au chapitre d’une vocation résidentielle, ce bâtiment  conserve son importance pour la trame urbaine dominante de ce secteur.

CONSIDÉRANT que la Ville de Lévis doit prendre en considération que la qualité d’un lieu (vue sur fleuve et proximité de sentier pédestres) ne doit pas être prétexte construction de condos de luxes,gentrification indue et à évacuation de familles à revenus plus modestes.

CONSIDÉRANT qu’avant l’acquisition de cet immeuble, par 9407-4218 Québec Inc des familles à revenu plus modeste ont occupé et fait vivre cet immeuble pendant des décennies.

CONSIDÉRANT pour des projets de restauration d’un bâtiment de cette importance, des programmes d’aide financière existent pour soutenir un propriétaire qui désire conserver vocation résidentielle à logement abordable (SHQ) et maintes fois utilisés pour des projets de ce type.

Le GIRAM RECOMMANDE :

1/ Que la demande de permis de démolition de l’immeuble ne soit pas octroyée.

2/ Qu’une vocation résidentielle de type « logements abordables »  dans le cadre du programme de financement de la SHQ-Accès Logis soit priorisée par la Ville comme projet de réhabilitationVet de restauration de l’immeuble, à l’instar d’exemples  fort heureux réalisés ailleurs (Montréal, Québec, Montmagny et maintes autres municipalités au Québec).

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ANNEXE 1 : OBJECTION DU GIRAM EN OCTOBRE 2020. (EXTRAITS).

(Gaston Cadrin, vice-président).

Plusieurs motifs justifient notre objection à cette demande, dont les suivants

1-La valeur historique du bâtiment et de l’environnement bâti du secteur

Le bâtiment de l’ancien Hôtel Victoria existe depuis au moins 160 ans. On en fait mention dans un contrat du 13 août 1861. Un incendie l’aurait ravagé à l’automne 1867, mais le journal Le Progrès de Lévis du 18 mai 1868 mentionne que cet hôtel a été reconstruit avec de plus grandes proportions, plus d’élégance, plus de confort. « La nouvelle maison a pour ainsi dire surgi sur les décombres de l’ancienne. L’extérieur de la bâtisse est magnifique, il est construit en briques blanches. Au deuxième étage, une galerie a été faite sur toute la longueur de la bâtisse. Du haut de cette galerie, on a un magnifique coup d’œil sur le fleuve ». 1

Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est toute l’histoire qui s’est déroulée à l’Anse Tibbits, une histoire très liée au développement économique de la ville de Lévis, notamment par l’implantation du premier terminal ferroviaire, celui du Grand Tronc en 1854.

D’ailleurs, la Ville de Lévis et d’autres partenaires ont fait ériger un panneau historique afin de démontrer l’importance de l’Anse Tibbits dans le développement économique et commercial lévisien au XIXe siècle. Il serait aberrant qu’on laisse détruire les bâtiments patrimoniaux existants et qu’on se contente d’une plaque historique…

Panneau d’interprétation de l’histoire de l’Anse Tibbits et du bâtiment qu’on veut démolir en arrière-plan. (Photo Gaston Cadrin, 26 septembre 2020)

Dans son environnement immédiat, le bâtiment du 5204 à 5222, rue Saint-Laurent compte
au moins cinq bâtiments de briques à forte valeur historique.
(Photo : G. Cadrin, 22 septembre 2020)

Un bâtiment solide et restaurable.

Certes, depuis 1968, ce bâtiment a été possédé par des propriétaires immobiliers (Voir Annexe 1) qui l’ont exploité en logements de faible qualité, sans entretenir convenablement celui-ci, du moins dans son apparence extérieure. On ne sait en quelle année, mais l’immeuble à logements (ancien Hôtel Victoria) a été amputé de près des deux tiers de sa façade nord donnant sur la rue Saint-Laurent et le fleuve.

Si on enlevait le revêtement inapproprié, on redécouvrirait la brique et les pierres de taille en calcaire des tours de fenêtres. D’ailleurs, on voit encore ces pierres en calcaire taillé comme base des fondations.

Briques d’origine autour de la porte d’entrée archée de la façade nord-ouest. (Photo G. Cadrin, 22 septembre 2020)

3- Une autre intervention de spéculation aux dépens du patrimoine bâti de Lévis

Depuis quelques décennies, le patrimoine bâti de Lévis est l’objet d’une intense spéculation et de fortes atteintes de la part de promoteurs plus soucieux de s’enrichir rapidement que de mettre en valeur cette richesse culturelle collective. Dans certains cas, ils viennent de Québec, un lieu qui doit à la mise en valeur de son patrimoine, une part importante de son économie. Les règles y sont en effet plus sévères en matière de conservation historique qu’à Lévis.

Ce bâtiment, faisant l’objet de la présente demande de démolition, représente encore une valeur architecturale indéniable et une bonne valeur marchande comme immeuble locatif; en témoigne son évaluation municipale de 577 800 $ (331 500 $ pour la bâtisse et 246 300 $ pour le terrain). De plus, la Caisse Desjardins a consenti un prêt de 520 000 $ à la compagnie 9407-4218 Québec Inc., démontrant qu’elle accorde une valeur équivalente à l’évaluation municipale de l’immeuble. De plus, lors de l’achat du 31 janvier 2020, le contrat (# 25 188 096) mentionnait que les loyers bruts au moment de la vente s’élevaient à 2 400 $ par mois et que l’acheteur devait respecter les baux en vigueur, exprimant que l’immeuble avait encore une valeur commerciale et d’habitation.

En conclusion

Le GIRAM est d’avis que ce bâtiment devrait faire l’objet d’une restauration et non pas de se voir condamné à la démolition. Nous croyons également que le propriétaire pourrait annexer un bâtiment qui se marierait ou s’intégrerait à l’ancien dans la partie amputée à l’ancien Hôtel Victoria (côté est). Ce dossier d’apparente à un dossier similaire de la côte du Passage, traité par la Ville en 2011. Un promoteur immobilier avait alors soumis au comité de démolition deux ou trois demandes de démolition, sous prétexte de la vétusté des bâtiments. Ces demandes avaient été refusées par le comité de démolition. Les bâtiments ont par la suite été rénovés en conservant leurs caractéristiques architecturales extérieures et abritent aujourd’hui des logements de bonne qualité. De plus, sans l’ombre d’un doute, ces restaurations ont permis de conserver un certain cachet historique à la côte du Passage, située au cœur du Vieux-Lévis.

Si le comité de démolition devait entériner cette demande, le risque est très élevé que tous les bâtiments de l’Anse Tibbits y passent par la suite. On y trouve pourtant une concentration fort intéressante de bâtiments patrimoniaux. La Ville de Lévis doit se ressaisir en termes de conservation patrimoniale, car avec plus de 40 bâtiments anciens démolis depuis plus de 10 ans, elle est devenue peu exemplaire par rapport à d’autres villes de même taille au Québec.

ANNEXE 2 : INTERVENTION DU GIRAM AUPRÈS DU CONSEIL MUNICIPAL CONCERNANT UN APPEL DE DÉCISION DU COMITÉ DE DÉMOLITION ( 28 février 2021). (EXTRAITS).

(Pierre-Paul Sénéchal, président).

Dans l’environnement de cet ancien bâtiment de briques écossaises abritant jadis l’Hôtel Victoria dans l’Anse Tibbits, on ne compte pas moins de cinq autres bâtiments, de briques également, tous à forte valeur historique. Cet ensemble représente donc un exemple éloquent de lieu de haute signification collective à mettre en valeur et non pas à livrer au premier promoteur venu qui pourrait, en l’absence d’encadrement ou de contraintes, le remplacer par un bâtiment tout à fait insignifiant, et ainsi amoindrir la valeur de l’ensemble.

L’histoire de l’Anse Tibbits, est intimement liée au développement économique de la ville de Lévis du XIXe siècle, notamment, avec l’implantation du premier grand terminal ferroviaire du Grand Tronc (1854). C’est incidemment cette riche trame historique basée sur le transport et l’industrie que la Ville veut faire ressortir dans ses projets de réaménagement du secteur de la Traverse. Dans cet esprit, il est indéniable qu’il y a ici quelque chose à protéger plutôt qu’à disposer.

Dans sa résolution CD-2021-00-02, le Comité de démolition a convenu de refuser la demande de démolition de cet immeuble compte tenu qu’il n’était pas accompagné d’un programme préliminaire de remplacement, conformément aux règlements municipaux en vigueur et aux dispositions de la loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Nous présumons que le promoteur va se prévaloir de son droit d’appel auprès du conseil dans le délai qui lui est imparti.

Le GIRAM est d’avis que le Conseil de Lévis a en main bien des motifs pour maintenir la décision du Comité de démolition et pour prescrire au propriétaire de l’immeuble des orientations assez précises. Ces orientations sont en lien avec certains « critères » énoncés assez clairement dans le Règlement de démolition (RV-2017-16-56) en regard de « l’apparence architecturale du bâtiment, sa compatibilité au cadre bâti environnant, le contexte urbanistique et historique »  dans lequel il s’insère.

Notre groupe réitère une demande antérieurement adressée au Comité de démolition, à savoir que les services d’une firme spécialisée en patrimoine bâti et en urbanisme soient sollicités préalablement à toute décision, compte tenu des éléments présentés. Il faut éviter qu’un signal soit lancé à l’effet que des problèmes de non concordance aux normes de construction (le lot de la majeure partie des bâtiments anciens et de valeur historique de la rue Saint-Laurent) deviennent prétextes à des démolitions, les unes après les autres. Sur la base d’une telle démonstration, c’est une partie importante de la rue Saint-Laurent qui devrait être rasée.

Un bâtiment d’un tel gabarit offre en outre plusieurs options en termes d’usage et de réhabilitation et il se prête également à plusieurs sources publiques de financement, entre autres le Fonds patrimoine du MCC, auquel peuvent le cas échéant s’ajouter le programme de soutien aux coopératives de solidarité (auberge de jeunesse) ou un soutien de la SHQ (habitation à loyers abordables).

Nous voudrions souligner, en terminant, que les récentes années ont été éprouvantes pour bien des acteurs concernés par la sauvegarde du patrimoine culturel. Un débat national est actuellement engagé, notamment depuis le rapport à l’Assemblée nationale de la Vérificatrice générale recommandant de trouver les moyens d’y mettre un frein à l’hémorragie. On est tous interpellés, autant au niveau gouvernemental que municipal.

Nous sommes fermement persuadés que la Ville de Lévis peut se positionner comme cheffe de file à ce chapitre; elle jouit d’un site absolument incomparable sur le Saint-Laurent en interface à la capitale nationale et ses espaces sont fortement imprégnés de l’histoire du Québec. Ces atouts exceptionnels appellent à une capacité d’anticipation en matière de développement urbain et à un niveau plus élevé en termes d’attentes à signifier aux investisseurs de l’immobilier.

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